Depuis les accords de Bretton Woods en 1945, le monde entier est forcé d’utiliser le dollar pour acheter des hydrocarbures. Pourtant, depuis les dernières décennies, un vent de contestation souffle de plus en plus fort contre cet état de fait. À tel point qu’il n’est pas impossible que le roi pétrodollar puisse être un jour déchu.
Après autant de sanctions de la part de l’Occident, la Russie tente par tous les moyens de continuer à vendre son gaz à l’étranger. Évidemment, son économie a sérieusement besoin de rentrées d’argent pour équilibrer sa balance commerciale. Et les mesures qu’elle prend sont une tentative de détrôner le pétrodollar, ni plus ni moins.
La dette publique russe
La Russie est l’un des pays ayant la dette publique la plus faible au monde, comparée à son PIB. Contrairement à l’Occident qui vit littéralement sur la dette publique, la Russie a réussi le tour de force de s’en débarrasser presque totalement.
Où donc se trouve la Russie sur cette spirale du monde de la dette ? (désolé, c’est en anglais : Russia)
On a entendu parler d’un défaut possible de la Russie, mais très sincèrement ça me paraît être de la propagande. Oui, bien sûr, les sanctions ainsi que les dépenses liées à la guerre vont sacrément handicaper son économie. L’Union Européenne rigole en ce moment, en appliquant les sanctions ordonnées par les Américains, les unes après les autres. Entre nous, je me demande combien de temps cela va durer. Cette simple image résume la situation.
Les sanctions…
L’usage de sanctions économiques est assez répandu, pourtant leur effet réel est plutôt controversé. Tout d’abord, les perspectives de sanctions, aussi dures soient-elles, n’ont pas empêché Poutine d’envahir l’Ukraine. Ensuite, ceux qui prennent les sanctions de plein fouet sont les plus pauvres, pas les élites. On sait parfaitement que le résultat principal des sanctions économiques en général est d’augmenter la pauvreté.
Quant à ce milliardaire qui se plaint qu’il ne peut plus payer sa bonne, je ne verserai pas une larme pour lui. Au passage, la plupart des oligarques russes étaient en faveur de la guerre, car beaucoup craignaient de perdre du terrain si l’Ukraine venait à prendre ses distances avec la Russie.
Mais surtout, il semblerait que l’Occident ait épuisé toutes ses cartouches d’un coup. Ce n’était certainement pas une tactique très maline, car nous nous retrouvons maintenant démunis et sans aucun levier supplémentaire face à la Russie. Cela a laissé à l’« ennemi » le temps d’élaborer une contre-offensive adéquate. Franchement, n’importe qui avec une paire de neurones sait qu’il ne faut pas jouer toutes ses cartes d’un coup. On dirait que ça ne fait pas partie des cours à Science Po ou l’ENA. Quoi, ils ne jouaient même pas aux cartes entre les cours, là-bas ?
… ne servent à rien
Bien sûr, on peut se dire que faire crever les populations de faim peut les inciter à se retourner contre leurs dirigeants. Réfléchissons trois secondes. Même dans nos « démocraties », si notre gouvernement décide de se lancer dans une guerre, nous n’avons aucun poids pour l’en empêcher. D’ailleurs, nos gouvernements prennent des mesures suicidaires envers la Russie, et nous ne pouvons rien y faire. Comment donc imaginer un instant que les Russes aient une quelconque chance d’arrêter Vladimir Vladimirovitch Poutine ?
Mais il y a pire encore. Ces sanctions, particulièrement violentes, sont le prétexte parfait pour un dictateur de justifier ses actions. « Voyez comme nos ennemis sont haineux. Voyez comme j’ai bien raison de vous en protéger ! »
Il semblerait que nous soyons dirigés par des imbéciles sans un soupçon de bon sens. À moins peut-être qu’une guerre les arrange bien, histoire de détourner les esprits des problèmes internes dans leur propre pays. Une économie chancelante et un système financier au bord de l’implosion. Ou bien, dans le cas des États-Unis, un budget militaire de plus de 700 milliards de dollars par an, qui paraît bien excessif et difficile à justifier, surtout après s’être retiré d’Afghanistan.
La Russie amasse de l’or
Pendant les deux dernières décennies, des pays comme la France ou la Suisse se sont massivement débarrassés de leur or. À l’inverse, la Russie et la Chine ont amassé ce métal à un rythme sans précédent.
Par ailleurs, la Russie a la deuxième réserve d’or dans ses sous-sols au niveau mondial, juste derrière l’Australie.
Il est clair que la Russie a prévu de se protéger contre d’éventuelles sanctions grâce à son stock massif d’or. Sans surprise, les États-Unis tentent de bannir toute transaction impliquant de l’or avec la Russie. Le problème est que, contrairement à un système numérique avec lequel il suffit de cliquer sur un bouton, il est quasiment impossible de bannir les transactions en or. C’est un actif intraçable qui peut être échangé physiquement, fondu et transformé.
Valeur du rouble
Note préliminaire : SWIFT est un système électronique qui permet aux banques d’échanger de la monnaie dans le monde entier. L’essentiel du commerce mondial passe par là. À cause de son monopole, certains pays, comme la Russie, développent depuis quelques temps déjà des systèmes alternatifs. Par ailleurs, il est de notoriété publique que les Américains n’hésitent pas à tout faire pour siphonner les informations qui transitent par ce système… contre le terrorisme, bien sûr.
Les sanctions de l’Occident, y compris le bannissement de la Russie du réseau SWIFT, ont sérieusement affaibli le rouble. Pour la petite histoire, couper un pays entier de SWIFT est sans précédent. Des banques iraniennes ont subi ce genre de sanctions dans les affaires du nucléaire iranien, mais un tel ostracisme d’un pays entier n’a jamais eu lieu. Pourtant, cela n’a pas arrêté la guerre pour autant.
De plus, un autre de type de sanctions dont on parle peu proviennent des agences de notation. Elles ont baissé la note de la Russie, ce qui a pour effet d’augmenter les intérêts pour obtenir de la monnaie. C’est une sanction qui ne dit pas son nom, d’importance capitale, si je puis dire. Et elle vient exactement des mêmes acteurs occidentaux que les autres sanctions, puisque les agences de notation sont dirigées par les mêmes que les requins du système financier de toute façon.
En conséquence, la Russie est face à une menace de taille : l’effondrement possible du rouble. Ce pourrait être une bénédiction pour un pays croulant sous les dettes, mais ce n’est pas le cas de la Russie. La dépréciation du rouble signifie que la Russie risque d’avoir du mal à importer des produits à prix acceptable pour sa population.
Le levier de l’énergie
Malgré tout, en dépit du bannissement total de SWIFT, l’Allemagne a immédiatement levé la voix : hors de question de bannir les paiements pour le gaz russe, c’est une question de vie ou de mort pour les Allemands en plein hiver. Ainsi, tous les paiements sont suspendus, sauf ceux pour le gaz. Très pratique.
Au passage, cela laisse d’autant plus songeur. S’ils se préparaient à cette guerre depuis longtemps, pourquoi les Russes n’ont-ils pas attaqué l’Ukraine en novembre dernier ? Ils auraient eu une carte d’autant plus forte à jouer avec le gaz pendant tous les mois d’hiver. Par ailleurs, ils adorent le froid et ils auraient également pu utiliser le sol gelé pour déployer leurs tanks et autres véhicules par les champs plutôt que d’être coincés comme ils l’ont été sur les routes. Peut-être n’ont-ils pas eu le temps de peindre leurs chars en blanc ?
En tout cas, une chose est sûre : l’Union Européenne ne peut se passer totalement du gaz russe, c’est une question de survie. Certains experts affirment d’ailleurs que même le gaz américain ne peut être une alternative pour au moins les 10 prochaines années. L’infrastructure nécessaire, y compris les bateaux eux-mêmes, est massive. En effet, la totalité des bateaux gaziers dans le monde peut actuellement livrer environ un milliard de mètres cubes de gaz par an. L’UE en consomme 150 milliards par an.
Poutine est donc en train de tirer parti du talon d’Achille de l’Europe pour sauver le rouble. En d’autres termes, il dit clairement : vous voulez me mettre des sanctions, eh bien je vous propose un deal que vous ne pouvez pas refuser, et qui va annuler vos sanctions. Et du côté européen, on a déjà épuisé toutes nos cartouches.
Le pétrodollar
Pour rappel, depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, les hydrocarbures s’achètent uniquement en dollars. Les dollars accumulés par le vendeur s’appellent alors des « pétrodollars ». Aucun moyen de passer outre, et ceux qui ont essayé, comme Saddam Hussein ou Mouammar Khaddafi, ont rencontré… quelques problèmes « mineurs », menant à leur décès.
Mais les BRICS ne sont pas l’Irak ou la Libye. La Chine paie déjà une partie de son gaz à la Russie en petroyuan plutôt qu’en dollars depuis 2017. Pire encore, l’Arabie Saoudite, pourtant alliée de longue date aux États-Unis, déclare récemment qu’elle aussi est prête à accepter le petroyuan. C’est un véritable tremblement de terre géopolitique dont peu de monde parle.
En tout cas, la manœuvre de Poutine semble fonctionner, la chute du rouble a été arrêtée. En effet, si on se met à acheter du rouble afin de pouvoir acheter du gaz russe, cela augmente la demande, et donc la valeur, du rouble.
Dans le même temps, les dollars que tout le monde s’arrachait pour acheter des hydrocarbures perdent une partie de leur utilité, ce qui a évidemment un impact sur la valeur du dollar. Bien entendu, si on ne parle que du gaz russe, l’impact est négligeable. Mais si d’autres acteurs majeurs dans le monde se mettent à suivre la tendance et préférer d’autres monnaies pour échanger, les dollars actuellement en circulation vont retourner aux États-Unis, ce qui risque d’augmenter encore un peu plus la tendance inflationniste actuelle.
Les cryptomonnaies
En 2017, je prévenais déjà dans mon livre « La monnaie : ce qu’on ignore » que les Russes s’intéressaient de près aux cryptomonnaies. Typiquement, la Banque Centrale de la Fédération de Russie s’affaire à créer une monnaie digitale fédérale.
Évidemment, cette monnaie ne serait pas une cryptomonnaie décentralisée. La Russie est bien sûr opposée à des systèmes dont elle pourrait perdre le contrôle, au moins en partie.
Mais là encore, le principe de réalité prévaut : le Kremlin cherche à vendre son gaz coûte que coûte. Y compris avec des cryptomonnaies. Mais cela reste le privilège des pays « amis ». C’est une nouveauté, car les cryptomonnaies ont même été bannies un temps du sol russe.
La planche à billets
Mes lecteurs savent déjà que le nombre d’euros et de dollars en circulation a explosé de manière exponentielle ces dernières décennies. Typiquement, la masse monétaire en euros a doublé chaque décennies depuis sa création. Pas étonnant que l’inflation pointe finalement le bout de son nez !
Le rouble or
Depuis les réponses russes aux sanctions, les pays occidentaux n’ont plus le choix. Ils vont devoir payer leur gaz en roubles ou… en or. Et ce, à partir du 31 mars 2022. Ah, certes, des voix s’élèvent pour dire que les contrats sont clairs et qu’on ne peut les changer. On verra ce qu’on verra le jour où les Russes finiront par couper le gaz.
Mais ce n’est pas tout ! Par ailleurs, la banque centrale russe indique qu’elle est prête à acheter de l’or avec des roubles à un taux fixe. D’une certaine manière, cela revient à fixer un étalon or. C’est un message clair au monde que le rouble n’est pas comme les monnaies occidentales créées sur du vent.
La Russie semble donc vouloir faire un appel au retour de l’étalon or. Elle lance aussi un signal à tout investisseur que les sanctions peuvent être sans limite. L’Occident peut saisir tout ce qu’il a sous la main à tout instant et sous n’importe quel prétexte. Le message est clair : « Ne faites pas confiance aux banques occidentales, ne vous laissez pas impressionner par les marchés occidentaux extrêmement volatiles et qui peuvent s’évaporer en un instant ; non, pariez plutôt pour la valeur sûre qu’est l’or, ou bien même son équivalent, le rouble. »
Les étalons échouent toujours
Sur le court terme, on peut dire que ces actions peuvent payer, en particulier en réponse aux sanctions. En revanche, cela pourrait s’avérer néfaste sur le long terme.
Dans la culture populaire, il y a une vision manichéenne avec une vision en noir et blanc. D’un côté, des monnaies créées sur « du vent », sans valeur. De l’autre, des monnaies adossées à « du concret », typiquement de l’or. Malheureusement, l’histoire a montré que les étalons, en particulier sur l’or, sont particulièrement ravageurs.
Rappelons-nous ce qui est arrivé avec l’étalon or des dollars dans la deuxième moité du XXème siècle. Son abandon par Nixon en 1971 a causé les crises pétrolières des années 1970. Au XIXème siècle ainsi qu’au début du XXème siècle, les monnaies basées sur l’or ont causé beaucoup de misère dans les populations. Plus récemment, la chute du bolivar vénézuélien est due à un étalon fixé par le gouvernement entre le bolivar et le dollar.
Je pense que cette histoire de « 5000 roubles = 1 once d’or » est du grand spectacle. C’est un message au monde, un rappel cinglant que bâtir toute une économie sur de la dette est extrêmement risqué.
Une recette contre la guerre
Ceci est tiré d’un groupe constituant, et narré par Étienne Chouard. Ce dernier nous rappelle sans cesse qu’il est absurde de laisser les politiciens écrire le texte qui est censé les contrôler. C’est un peu comme désigner son chien comme gardien du sandwich. Désolé pour les chiens qui lisent cela, je sais que votre queue remue déjà.
Voici une recette simple pour éviter la guerre. Si tous les pays adoptaient cette règle, nous vivrions sans aucun doute dans un monde en paix.
Aucune guerre ne peut être déclarée sans un référendum ouvert.
Au cas où le « oui » l’emporterait pour la guerre, quiconque a répondu « oui » se voit attribué un fusil et doit aller au front illico. Aucune obligation pour quiconque a voté « non ».
Une fois que les premiers ont été tués, on refait un référendum pour savoir s’il y a de nouveaux volontaires pour continuer la guerre.
Les infos se déchaînent sur l’Ukraine. Ce qui se passe est très caractéristique du monde d’aujourd’hui : cela divise les gens. D’un côté, on clame que Poutine est le nouveau Staline opprimant les Ukrainiens. De l’autre, on raconte que Poutine nous sauve des néo-nazis ukrainiens.
Mais dans le fond, il ne s’agit en fait que d’une ènième guerre par procuration entre la Russie et les États-Unis d’Amérique.
La Russie ? Évidemment, elle est limitrophe de l’Ukraine. Mais les Américains ? Vraiment ? Qu’est-ce qu’ils feraient donc si loin de leur patrie ?
La géopolitique, la guerre et la manipulation
La géopolitique est toujours complexe. La guerre, en revanche, rend tout noir et blanc. Les médias se transforment immédiatement en outils de propagande. Ils « informent » le public pour pointer du doigt les méchants (eux) et les gentils (nous).
Bien sûr, la pièce de monnaie a toujours deux faces. Les « gentils » d’un côté sont les méchants de l’autre, et vice-versa.
Et pourtant, ce n’est jamais ni noir ni blanc.
La Première Guerre Mondiale a démarré soit-disant par l’assassinat de l’archiduc d’Autriche. Mais dès qu’on s’intéresse d’un peu plus près aux circonstances qui ont mené à la guerre, on se rend tout de suite compte que c’était beaucoup plus complexe que cela. La situation était déjà explosive, et cet événement n’a été qu’une petite étincelle qui a tout embrasé.
On peut en dire autant de la Deuxième Guerre Mondiale. Pour la comprendre, il faut se renseigner sur le contexte. Y compris les conséquences des traités de paix signés à la fin de la première, la crise économique des années 1930, les tensions existantes entre les différents peuples d’Europe, l’inaction de la France et de la Grande-Bretagne avant qu’il ne soit trop tard, et bien d’autres facteurs.
La guerre en Syrie est un autre exemple de complexité géopolitique. Le pétrole. Les intérêts économiques divers. Des cultures et religions différentes qui cohabitent. Des relations préexistantes entre les différents pays de la région, mais aussi à l’international, comme celles entre la Syrie et la Russie.
Ce n’est pas différent pour la crise ukrainienne.
Les ressources de l’Ukraine
L’Ukraine est un très grand pays en superficie. C’est également un partenaire économique extrêmement important pour quiconque arrive à négocier des partenariats. Elle est très riche en ressources naturelles, et a les industries qui permettent de transformer ces matières premières en produits finis. Cerise sur le gâteau, elle bénéficie d’un climat très propice et beaucoup d’eau, qui devient une ressource de plus en plus précieuse.
Par ailleurs, sa situation géographique en fait un passage obligé pour du transit économique, en particulier le gaz russe en direction de l’Europe.
C’est un tampon entre l’Europe et la Russie. Avec la crise énergétique en Europe, son importance est de plus en plus cruciale pour l’Europe.
L’Ukraine est riche en eau. Sais-tu, lecteur, que l’Ukraine a coupé la source principale d’eau potable de la Crimée lorsque celle-ci a déclaré son indépendance en 2014 ? Le barrage mis en place par les Ukrainiens a été l’une des toutes premières cibles lors de l’invasion russe pour rétablir l’eau en Crimée.
À cause de tous ces éléments, il est évident que l’Ukraine est un pays d’une importance capitale stratégiquement. Quiconque la contrôle ou s’en fait une alliée gagne considérablement en pouvoir. Mais pour comprendre ce qui se passe avec son invasion par la Russie, il est nécessaire de connaître aussi l’histoire de ces deux pays.
L’URSS, la Russie et l’OTAN
L’OTAN (Organisation Transatlantique de l’Atlantique Nord, NATO en anglais) ne s’est pas créée d’un coup. Il y a d’abord, au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale une série de traités entre pays européens. Les deux craintes majeures étaient un réveil de l’Allemagne nazie, d’une part, et une attaque de la part du bloc communiste, d’autre part. Finalement, les États-Unis entrent dans la danse et vont forger la direction principale suivie par l’OTAN : créer une union pour contrer le Pacte de Varsovie.
En effet, dans le camp communiste, l’URSS et les pays du bloc de l’est sont liés par ce pacte d’assistance militaire mutuelle. Voici à quoi ressemblaient les deux blocs en 1990, juste avant la dissolution de l’URSS :
Lors de l’effondrement de l’URSS en 1991, les anciens pays du bloc de l’est obtiennent enfin leur indépendance. Des pays qui existaient avant l’URSS, comme l’Ukraine, la Biélorussie et les trois pays baltes, renaissent de leurs cendres. Pour acter la défaite du communisme, la Russie perd des portions de territoire énormes. Et ce tant à l’ouest du côté européen qu’en Asie où le territoire immense du Kazakhstan ainsi que d’autres républiques sont maintenant indépendants.
Je pense que le découpage de l’époque est à la source de la crise que nous vivons aujourd’hui. Nous y reviendrons.
Les années 1990
Les années 1990 sont des années très sombres pour la Russie. La corruption est rampante et ronge le pays. La privatisation de l’ensemble du territoire est un terrain de jeu pour les oligarques qui achètent des villes entières, et se disputent des quartiers à coups de tanks.
Dans le même temps, la situation de la population est extrêmement précaire. L’inflation tue le pouvoir d’achat, les gens n’ont même pas de quoi se nourrir. Et, par-dessus tout, le président Eltsine, poivrot invétéré, est la risée du monde entier.
C’était également des temps difficiles pour tous les pays et nouvelles républiques qui venaient de gagner leur indépendance. Elles étaient souvent dans des états économiques catastrophiques. Sur le long terme, certaines d’entre-elles ont fini par s’en sortir très convenablement. D’autres sont encore rongées par la corruption. C’est même le cas pour des pays qui ont réussi à entrer dans l’Union Européenne comme la Bulgarie et la Roumanie. Mais c’est aussi le cas pour l’Ukraine.
Les difficultés des années 1990 culminent avec les deux guerres de Tchétchénie. La première, de 1994 à 1996 est une défaite cuisante qui ne résout absolument rien. Ce n’est finalement qu’en 2002, après la prise d’otages du théâtre à Moscou que la crise tchétchène prend un tournant décisif.
Renouveau dans les années 2000
Poutine résout le problème tchétchène, qui était secrètement soutenu par les Occidentaux, par une guerre sanglante. C’est un message très clair à ses « partenaires » occidentaux, comme il aime les appeler : « Ne jouez pas avec le feu avec moi ». C’est également un message très fort aux Russes : « Je ne suis pas Eltsine, je vous protégerai ainsi que votre honneur ».
Malgré tout, pendant ce temps, l’OTAN s’étend progressivement à l’est, en incorporant la Pologne, la Hongrie et la Tchéquie. On peut d’ailleurs se dire que, l’ours russe étant de toute façon en pleine décomposition et plus du tout une menace, l’OTAN ne servait en réalité plus à rien.
Poutine a commencé à remettre un peu d’ordre en Russie en arrêtant des oligarques, et à restaurer l’économie. Dans les faits, le rouble, qui plongeait comme dans un pays sous-développé, s’est stabilisé. La famine a quasiment disparu. Les infrastructures en ruine ont été reconstruites. Oh, tout n’était pas parfait, c’est certain. Mais il y a eu des progrès réels. On peut dire qu’il a ressuscité l’ours de ses cendres.
Pourtant, internationalement, c’en était fini de la Russie. Poutine était écarté, ridiculisé, ignoré, comme si la Russie était devenue un pays du Tiers Monde insignifiant. Il a tendu la main à de nombreuses reprises à l’ouest, sans succès. Beaucoup d’analystes internationaux, y compris américains, s’accordent à dire que cette humiliation constante a construit le Poutine d’aujourd’hui.
En 2007, il prononce un discours devenu célèbre aujourd’hui à Munich. Il y prévient les Occidentaux des dangers d’un monde unipolaire, où un seul pays, les États-Unis, tentent d’imposer leur marque partout.
L’expansion de l’OTAN
Pendant ce temps, l’OTAN continue de s’agrandir. Et ce, au mépris total des promesses faites par les États-Unis aux Russes en 1991. En effet, le Pacte de Varsovie n’a été dissout qu’après avoir eu des assurances que l’OTAN ne s’étendrait pas à l’est. Malheureusement, ces promesses n’étaient pas écrites, mais on en a encore des traces.
En 2004, l’OTAN se retrouve directement à la frontière avec la Russie, en intégrant les trois pays baltes. Cela déclenche l’ire des Russes. La Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie intègrent également l’OTAN la même année. La Roumanie autorise même les États-Unis à stationner des missiles nucléaires sur son sol.
En 2008, l’OTAN invite officiellement la Moldavie et l’Ukraine à rentrer dans l’OTAN, mais ce n’est encore qu’au stade de négociations. Poutine crie qu’il s’agit d’une ligne rouge à ne pas franchir, personne ne l’écoute.
Bon, après tout, l’Ukraine est un pays souverain, elle fait bien ce qu’elle veut ! Non ? Pourtant, il serait bien naïf de s’en tenir à la théorie sans regarder la réalité en face.
Il suffit de se rappeler ce qui s’est passé lorsque l’URSS a tenté d’installer des missiles sur le sol cubain. Nous étions au bord de la troisième guerre mondiale. Si les Russes n’avaient pas cédé, la première étape aurait été de raser Cuba, puis potentiellement de basculer dans un conflit ouvert entre les deux blocs. Ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine est exactement la même chose, les rôles sont simplement inversés.
Malgré tout, l’OTAN continue de s’étendre, pays par pays, ignorant ostensiblement l’ours qui gronde : l’Albanie et la Croatie en 2009, le Monténégro en 2017, la Macédoine du Nord en 2020.
Géorgie – 2008
Les Occidentaux continuent leur politique de déstabilisation de l’ancien bloc de l’est. C’est une tentative évidente des USA d’obtenir un contrôle total tout autour de la Russie, afin de la neutraliser pour de bon. La géopolitique est une histoire d’influence. Plus une nation unique en a d’autres à ses pieds, plus nous avançons vers un monde unipolaire. Et plus l’OTAN et les États-Unis ajoutent des missiles autour de la Russie, plus nous nous rapprochons d’une troisième guerre mondiale. Est-ce que la Russie ou même la Chine installent des missiles tout autour des États-Unis ? Pas à ma connaissance.
Mais revenons à la Géorgie. Tout ne s’est pas vraiment passé comme prévu. En voyant que le Gouvernement était de plus en plus phagocyté par l’Occident, les Russes ont commencé par soutenir des rebelles au nord de la Géorgie. En août 2008, les Géorgiens attaquent un bataillon russe qui aidait des rebelles. La réponse ne s’est pas fait attendre : l’armée russe envahit soudainement la Géorgie, provoquant un retrait des troupes géorgiennes jusqu’à la capitale.
Un accord de paix fut signé très vite. Depuis, la Géorgie est très « amicale » avec la Russie, tout en continuant à pas mesurés son rapprochement avec l’ouest.
Conclusion sur l’OTAN
L’OTAN est bien évidemment une menace pour la Russie, tout comme les missiles soviétiques à Cuba menaçaient les États-Unis. Au passage, c’est quand même pour ça qu’elle a été créée ! Aucun politicien de bonne foi ne peut le nier. Par ailleurs, l’OTAN s’est tellement développée en Europe qu’elle est maintenant aux portes de la Russie, avec des missiles capables de frapper Moscou et au-delà. Une carte vaut mille explications :
Pour conclure, j’ajouterais simplement que le diplomate américain Zbigniew Brzeziński a écrit que si les États-Unis parvenaient à mettre la main sur l’Ukraine, ce serait la fin de l’influence russe dans le monde. Rien de moins. Après avoir pris sa retraite, il a prévenu qu’il ne serait pas une bonne chose de prendre l’Ukraine dans l’OTAN.
Les révolutions populaires
Pour comprendre pourquoi les Américains jouent un rôle prépondérant dans la crise ukrainienne, il faut déjà comprendre leur mode opératoire.
Les printemps arabes
Les printemps arabes ont ébranlé le monde arabe depuis 2010. En Tunisie, en Égypte, au Bahreïn, en Libye, dans les États Arabes Unis, au Yémen, en Arabie Saoudite, le procédé est toujours le même.
Ça démarre par une étincelle qui entraîne des protestations populaires. Les gens descendent dans la rue, pacifiquement au début. Il suffit de financer des milices qui vont alors mettre le feu aux poudres. Elles ont pour cible principale le gouvernement, et créent l’environnement nécessaire pour fomenter un coup d’état.
Bien sûr, cette recette ne fonctionne que s’il y a déjà des résistances importantes contre le gouvernement en place. Les régimes autoritaires sont des cibles parfaites pour ce genre de manipulations.
L’avantage est énorme : il est possible de renverser un régime avec très peu d’efforts. Par ailleurs, comme tout cela est fait de manière non officielle, personne ne va venir pointer du doigt le manipulateur.
Malheureusement, les résultats ne bénéficient pas forcément à la population locale. Bien au contraire. Oui, les dictateurs, c’est pas cool, c’est évident. Mais le chaos, l’instabilité, la guerre, ont des conséquences encore bien plus funestes pour l’ensemble de la population.
Au passage, aucun pays de ce monde ne va dépenser des millions d’euros, mettre ses propres citoyens en danger, pour « libérer » des populations civiles étrangères des griffes d’un dictateur. Il faut être très naïf pour croire un conte de fées pareil. La démocratie, ça s’amène par l’éducation, pas autrement.
La Libye
La Libye est l’un des exemples le plus frappant, si je puis dire. Il n’y a aucun doute sur le fait que Kadhafi était un dictateur. Il réprimait brutalement toute opposition à son régime. On ne va pas m’accuser de le nier.
Malgré tout, son pays était en paix, bénéficiait d’une économie prospère aux infrastructures modernes, l’éducation et les soins médicaux étaient gratuits. Aujourd’hui, 10 ans après la « libération », c’est un champ de ruines qui manque d’eau et de ressources de première nécessité, et la guerre continue. C’est également devenu une porte corrompue pour faire passer les migrants africains en direction de l’Europe.
Par ailleurs, l’intervention militaire de la France était totalement illégale car non autorisée dans le territoire d’un pays souverain. Au passage, les motivations n’étaient pas du tout pour « amener la démocratie » ou je ne sais quelle fable. Pour résumer, Kadhafi était une menace pour le pétrodollar, risquait de miner l’influence du franc CFA dans l’ouest africain avec son « dinar or », et Nicolas Sarkozy, alors Président de la France, avait un intérêt personnel à faire tomber son ancien « pote ».
Dans tous les cas, vis-à-vis du droit international, l’intervention française était tout aussi illégale que ce que fait Poutine actuellement. Mais c’était la France. Pas un « dictateur ». Mais des « soldats de la paix ». Bien sûr. Exemple typique de propagande noir et blanc que je mentionnais en début d’article.
La Syrie
Il y aurait beaucoup à dire sur la Syrie. Je vais m’en tenir à l’essentiel. Les interventions militaires des pays occidentaux (États-Unis, France, Grande-Bretagne, Turquie, Israël entre-autres) sont totalement illégales vis-à-vis du droit international. Le moins qu’on puisse dire, c’est que, le droit international, on s’assoit volontiers dessus. Mais on est les gentils, nous. Alors pas besoin de droit.
D’un autre côté, les Russes ont été invités par le pouvoir en place pour venir apporter leur aide. Peu importe ce qu’on pense du sentiment de Poutine pour le Dictateur Assad, je vais donner ma lecture en quelques mots.
La Russie n’a qu’une seule base navale sur la Méditerranée. Elle se trouve à Tartous, une ville syrienne. Curieusement, la Russie n’est intervenue que lorsque les « rebelles » syriens ont commencé à s’approcher de cette base. Pas avant. Est-ce vraiment une coïncidence ? Je ne sais pas ce qui se serait passé si cette base n’avait pas existé.
De mon point de vue, la Syrie a été un tournant dans la psychologie de Poutine. Il a soudain réalisé que sa puissance militaire était plus importante qu’il ne le pensait. Au passage, il a envoyé un message clair à la communauté internationale : l’Occident qui se mêle des affaires d’un pays souverain, ça ne se passe pas toujours comme prévu.
C’est une humiliation pour les USA, qui ont évidemment des velléités de revanche.
La Biélorussie et le Kazakhstan
Je connais des Biélorusses, et comme eux, je ne suis pas particulièrement fan de leur gouvernement. Tout comme je n’aime pas du tout tous ces dictateurs aux quatre coins du monde. Il y a eu beaucoup de remous en Biélorussie dans la dernière décennie. Plus récemment, on a pu y voir les mêmes tactiques qui ont été utilisées lors des Printemps Arabes. Mettre le bazar. Armer des milices pour que ça dégénère. Tenter de déstabiliser le régime.
Mais cette fois, ça n’a pas fonctionné. La Russie soutient la Biélorussie et ces tactiques commencent à prendre de l’âge.
La même chose est arrivée au Kazakhstan encore plus récemment. Cette fois avec des islamistes radicaux. La Russie a réagi très rapidement, la tactique a échoué, comme en Biélorussie. La Russie ne peut pas se permettre de perdre le Kazakhstan, territoire immense et qui abrite l’un de ses principaux cosmodromes, Baïkonour.
On dirait bien que les États-Unis devraient envisager de changer leur modus operandi.
La russophobie
La phobie des oppresseurs
Les abus perpétrés par un groupe finissent toujours par générer une réaction de haine qui traverse les générations. Elle reste parfois pendant des siècles. Dans le même temps, les oppresseurs tendent de leur côté à avoir un sentiment de supériorité envers les opprimés, même longtemps après que la domination se soit arrêtée.
Partout dans le monde, on peut voir ce phénomène à beaucoup de niveaux :
les Américains sont perçus comme des impérialistes,
les Français sont haïs dans leurs anciennes colonies,
les « blancs » en général sont vus par les « noirs » comme des colonialistes et des esclavagistes, aux États-Unis, mais aussi en Afrique du Sud, etc.
la Chine ne s’est toujours pas remise des abus des Occidentaux aux 19ème siècle,
etc.
L’impérialisme soviétique
Évidemment, le régime autoritaire soviétique n’était pas seulement autoritaire envers sa propre population. Il était encore pire avec les « républiques » qui étaient sous son contrôle. Il n’hésitait pas à procéder à des purges ethniques, à déplacer des populations entières, voire à organiser volontairement des famines comme cela a été le cas en Ukraine.
La plupart des gens d’un certain âge des pays du bloc de l’est connaissent la langue russe : ils ont été obligés de l’apprendre à l’école. Ils cultivent également la haine du Russe. C’est particulièrement vrai en Pologne, en Tchéquie ainsi que dans les pays baltes. Les bruits des bottes et des chars soviétiques dans les rues de leurs villes sont encore des cauchemars très vivaces.
Qui pourrait leur en vouloir ? Pas moi.
Dans les pays baltes, ça se traduit par une situation un peu particulière. Sous les Soviets, ils ont enduré des déportations, et surtout une tentative de remplacer la population locale par des Russes, venus d’ailleurs. Vraiment pas chouette. Au passage, ils ont des cultures et langues très différentes des Russes. Le sentiment nationaliste à leur libération a littéralement explosé. Là encore, difficile de leur en vouloir. Certains Russes qui y vivent ont un statut un peu particulier. Par exemple, en Estonie, ils ne sont ni russes ni estoniens. Ils ont un « passeport gris ». Cela ne pose pas de problème particulier pour vivre mais c’est dire l’impact du passé sur le présent. C’est le reflet de cette appréhension du Russe.
Il y a de l’espoir
Malgré toutes ces difficultés, il y a de l’espoir. Je pense ici à l’exemple de l’Allemagne et des Nazis.
Inutile de rappeler la brutalité des Nazis à travers toute l’Europe, l’histoire est connue. Pourtant, la « haine du Boche » n’a pas persisté très longtemps. C’est par une auto-flagellation quasiment à l’extrême que l’Allemagne a fini par faire accepter au monde entier qu’ils ne sont pas des Nazis dans leur ensemble et que l’Allemand moyen n’est pas un SS.
Malheureusement, le sentiment anti-allemand revient en force ces dernières décennies, mais il a d’autres sources : elles sont économiques. Il devient de plus en plus évident que l’euro ne sert que l’Allemagne au détriment des autres pays d’Europe. Mais c’est vraiment un autre sujet.
Ce qu’il est intéressant de noter ici, c’est qu’un vocabulaire bien particulier peut être utilisé. Il suffit de distinguer ce qui caractéristique l’oppresseur d’un individu lambda. Lorsqu’on parle de « Nazis » d’un côté, et d’« Allemands » de l’autre, les choses sont plus claires. La haine diminue plus facilement.
Il est peut-être temps de prendre des bonnes habitudes et de nommer un chat un chat. L’occupation du Politburo vs citoyens russes. L’État Profond vs citoyens américains. « Le Gouvernement » plutôt que « les Français ». Les marchands d’esclaves vs des citoyens de la France, des USA, etc. Au passage, les « slaves » ont donné leur nom à l’« esclavage », car ils étaient des esclaves de choix au Moyen-Âge.
Enfin, peut-être que les Polonais peuvent également se rappeler que, sans l’intervention de l’URSS, nous serions peut-être tous encore sous le joug nazi.
Vue d’ensemble de la crise ukrainienne
L’Ukraine est le berceau de tous les Slaves. Les Rus de Kiev sont à l’origine de toute la culture russe. Ainsi, l’Ukraine est vue par la grande majorité des Russes comme la sœur de la Russie. Beaucoup d’Ukrainiens ont d’ailleurs également une vision très positive de la Russie. Une guerre entre ces deux pays est une guerre fratricide. Et il y a fort à parier que cela va renforcer le sentiment anti-russe.
Les frontières de l’Ukraine ont beaucoup changé au cours de l’histoire. Malgré tout, son territoire central a fait partie de la « Grande Russie » pendant des siècles, et l’essentiel de son existence. Le problème étant que le découpage actuel de l’Ukraine regroupe des populations qui ont subi des influences très diverses.
Une population non uniforme
À l’ouest, la grande majorité de la population parle ukrainien, une langue slave qui ressemble de loin au russe, mais qui a été fortement influencée par des langues aux frontières : le polonais à l’ouest, le biélorusse et les langues baltes au nord. Ces parties de l’ouest ukrainien ont également fait partie d’autres pays dans leur histoire : la Pologne et l’Empire Austro-hongrois notamment. Elles sont définitivement tournées vers l’ouest et le reste de l’Europe.
Au contraire, plus on se déplace à l’est, plus les gens parlent russe en passant par des dialectes qui sont des mélanges d’ukrainien et de russe. De manière générale, il y a de plus en plus de sympathie pour la Russie dès qu’on se déplace vers l’est.
Plus on s’éloigne du centre du pays, plus les liens culturels et économiques se font naturellement avec les pays qui bordent le pays des deux côtés. Avec les plus extrémistes d’un côté et de l’autre de part et d’autre du pays.
Pour ceux qui seraient sceptique de cette vision qui peut paraître caricaturale, il suffit de regarder les résultats des élections, comme par exemple celles de 2004 :
L’ultra nationalisme
Le sentiment ultra-nationaliste, accompagné d’une russophobie aiguë, n’existe vraiment que dans l’ouest ukrainien. Le parti nazi Svoboda, le Parti National Socialiste de l’Ukraine (ça ne s’invente pas) en est la manifestation typique. Il a créé son emblème avec des références particulièrement parlantes :
Alors, qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit. Les partis ultra-nationalistes et les malades existent partout. Autre point à noter, Svoboda n’a à l’heure actuelle qu’un seul siège au Parlement. C’est totalement vrai, ces nazis ne sont qu’une toute petite minorité lorsqu’on considère l’Ukraine dans son ensemble. Mais malheureusement, ils sont proches de la majorité dans certaines petites régions en fonction des circonstances.
Par ailleurs, ce qui les distingue particulièrement des autres pays, c’est qu’ils sont aidés et armés par le pouvoir en place.
Le multiculturalisme existe ailleurs
Bien sûr, il y a plein de pays dont les populations sont parfois très hétérogènes, et qui s’en sortent très bien sans se taper dessus. Mais pour que ça fonctionne vraiment, je ne connais que deux recettes. Un dictateur qui va étouffer tout sentiment indépendantiste. Ou bien une intention scellée sur le papier de respecter son voisin et d’être en paix.
La Suisse nous en donne un parfait exemple. Quatre cultures et langues cohabitent, et le pays n’a connu aucune guerre depuis deux siècles.
Pour prendre un autre exemple, la situation interne en Ukraine n’est finalement pas très différente de celle des États-Unis, avec les Républicains au sud qui correspondent aux états sécessionnistes lors de la guerre civile, et les Démocrates au nord. Le problème en Ukraine, c’est que ces divisions sont utilisées par des puissances étrangères pour semer le trouble.
Au 20ème siècle
L’Ukraine tente une première fois de prendre son indépendance en profitant de la Révolution d’Octobre en Russie. Mais ça ne dure pas, l’URSS toute neuve fait main basse sur l’Ukraine en 1922.
Au début de la Deuxième Guerre Mondiale, les Ukrainiens de l’est voient dans la guerre le moyen de se détacher du joug russe. Pour rappel, ce sont les plus nationalistes, et certains vont jusqu’à sympathiser avec les Nazis. Les partis extrémistes d’aujourd’hui n’en sont qu’un héritage.
À la fin de la guerre, au vu de la résistance des Ukrainiens contre les Bolcheviks, Staline provoque une famine et fait du « nettoyage ». Mais en 1954, l’Ukraine est devenue le « bon élève » et est l’un des plus gros producteurs du bloc soviétique. Khrouchtchev décide de donner la Crimée à l’Ukraine en signe de reconnaissance. Une action non sans conséquences plus tard…
Dans tous les cas, le sentiment anti-russe, surtout dans l’ouest, provient évidemment de ces décennies d’abus. Les premières actions d’un régime autoritaire sont de détruire toute culture et langue locale. Mais les gens ont tendance à oublier que le Russe moyen d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec Staline.
1991-2004
Avec la chute de l’URSS, l’Ukraine obtient finalement son indépendance pour de bon. Elle signe des accords avec les USA, la Grande-Bretagne et la Russie qui assurent qu’elle restera un pays souverain, à la condition qu’elle renonce à tout l’arsenal nucléaire provenant de l’ex-URSS.
De mon point de vue, c’est le découpage géographique lors de ces accords qui a donné lieu à la situation que nous vivons aujourd’hui. Mettre ensemble deux populations qui ont la tête tournée à l’opposé l’une de l’autre n’était peut-être pas la meilleure idée qui soit. Peu de gens comprennent cela. La Yougoslavie nous a montré dans les années 1990 les conséquences que peuvent avoir une erreur de ce genre. Il y a probablement une leçon à en tirer.
La corruption
Je m’autorise une petite pause historique pour m’arrêter sur un autre problème qui est également en partie responsable de la situation actuelle.
La corruption est profondément ancrée en Ukraine, du même style que la corruption en Russie dans les années 1990.
Depuis, la Russie a su faire un peu de ménage, même s’il reste beaucoup à faire. Mais des oligarques ont été arrêtés, des sanctions et mesures prises pour tenter de limiter les dégâts. Elle a aussi relevé son économie et la redistribution de richesses fonctionne déjà un peu mieux. Elle est parmi les pays du monde ayant la dette publique la plus faible. Tout cela malgré les sanctions imposées par l’Occident depuis 2014. Il y a encore beaucoup de défis à relever et la corruption y est encore élevée, mais la situation n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était dans les années 1990. Et avant de critiquer, nous pourrions déjà nous regarder dans la glace…
En Ukraine, en revanche, tout cela n’a pas eu lieu. Le résultat est que, malgré une industrie et un secteur agricole extrêmement productifs, des ressources naturelles en pagaille, la pauvreté est toujours un problème énorme. Je recommande un documentaire qui montre l’un des symptômes : les orphelins de la rue (en anglais). En 2012, Ernst and Young classe l’Ukraine parmi les trois premiers pays les plus corrompus du monde. Elle est neuvième en 2017. La situation s’améliore très très lentement, mais l’Ukraine reste l’un des pays les plus corrompus au monde.
L’Ukraine est parmi les 4 pays les plus cités dans les dernières révélations en date, l’affaire du Crédit Suisse :
Au passage, le président lui-même est aussi enfoncé dans la boue, malgré de grands discours anti-corruption.
2004 : La Révolution Orange
Revenons à notre voyage dans le temps. En 2004, deux candidats sont en lice pour la présidence :
Viktor Iouchtchenko appuyé par Ioulia Tymochenko => camp occidental
Viktor Ianoukovytch => pro-russe
Tous deux reçoivent de l’aide de leur camp respectif. Russes d’un côté, et de l’autre des fondations comme la Fondation Soros ou la Freedom House et autres organisations américaines « pour la démocratie » (lire : pour faire des coups d’état et renverser les gouvernements qui ne sont pas alignés avec les USA).
Il se trouve que, manque de chance, le pro-russe Ianoukovytch est élu de justesse. Des manifestations sont organisées à Kiev, évidemment organisées et orchestrées par les Occidentaux, pas trop contents. Les élections sont annulées. Iouchtchenko est mystérieusement empoisonné (je te laisse deviner par qui) mais survit. Il est cette fois élu lui-aussi de justesse. Pas de protestations. Les gentils ont gagné.
L’un des facteurs majeurs ici est de savoir que Kiev se situe dans la partie « pro-occidentale » de l’Ukraine. Il est donc beaucoup plus facile d’y organiser un renversement de régime pour les Occidentaux que pour les Russes.
La claque de 2010
La crise de 2008 passe par là, le bilan de Iouchtchenko est assez catastrophique, et c’est Ianoukovytch qui l’emporte lors des élections de 2010, cette fois sans protestations. Il semblerait que les Russes aient gagné. Mais c’est seulement parce que Ianoukovytch a lancé des signes qui indiquent qu’il a l’intention de se rapprocher de l’Occident.
En effet, il commence à négocier des accords économiques avec l’Union Européenne. Cela ne fait pas du tout l’affaire des gens de son parti, qui sont particulièrement inquiets des répercussions qu’un accord avec les Européens pourraient avoir sur leurs propres relations avec la Russie côté est. Malgré tout, il donne l’espoir à la population qu’une ouverture est possible. Quelques mois plus tard, il envoie tout balader d’un coup et se tourne soudain vers Moscou. Difficile de savoir ce qui a provoqué ce changement d’humeur.
2013 Maïdan
Malheureusement, si l’espoir fait vivre, la déception est source de violence. Des manifestations commencent à Kiev, dans la place Maïdan, pour protester contre ce revirement soudain.
Là où ça devient intéressant, c’est qu’on voit des diplomates européens et américains venir soutenir les manifestants en personne. Que dirions-nous si des diplomates russes venaient se mêler aux manifs des gilets jaunes pour les soutenir ? Ce serait clairement inacceptable.
Ah, mais non. Nous, on est les gentils. Donc ça va.
Et dans le même temps, les Américains utilisent la même tactique que dans les Révolutions Arabes. Ils se servent cette fois des extrémistes nazis de l’ouest pour faire le sale boulot. Ces organisation radicales jouent un rôle décisif dans la tournure que vont prendre les événements. Ne reculant devant rien, des snipers tirent dans les manifestants et dans les policiers pour provoquer l’escalade.
Ça fonctionne. Le gouvernement est renversé.
L’implication occidentale
Bon, mis à part les sénateurs occidentaux qui vont faire les beaux dans les manifs, on pourrait se dire que tout ça est finalement une affaire interne à l’Ukraine. Mais ça ne s’arrête pas là.
L’Occident a soutenu financièrement des organisations nazies. Tout est bon dans le cochon. Pire, les soutiens sont carrément officiels. D’ailleurs, un enregistrement révélera plus tard que la Sous-Secrétaire d’État américaine, Victoria Nuland, a appelé l’ambassadeur américain en Ukraine pour lui indiquer qui il fallait mettre au pouvoir. Tout en ajoutant « que les Européens aillent se faire voir » (avec le mot en F en anglais, oui oui).
La photo suivante est particulièrement parlante. L’homme au milieu est le chef de Nuland, John Kerry, Secrétaire d’État des États-Unis. On comprend qu’il soit content, mais quand même… à gauche Oleksandr Tourtchynov le nouveau président par intérim de l’Ukraine après le coup d’état, et à droite le Premier Ministre Arseni Yatsenjouk. Mais pas d’inquiétude, on est les gentils !
Si j’étais ukrainien, avec tout ça j’aurais un peu l’impression d’être pris pour un imbécile. Mais passons.
Évidemment, sans surprise, le nouveau gouvernement est composé quasiment de membres pro-ouest.
Au passage, comme je m’intéresse beaucoup à la monnaie, voici le nouveau billet ukrainien de 500 Hryven :
Il y a tout de suite un truc qui m’a sauté aux yeux… si je puis dire. Au centre, on a un clin d’œil… enfin une référence assez évidente, quoi, au billet américain :
En tout cas, ces événements sont une véritable catastrophe pour les Russes qui n’ont pas réussi à stopper le coup d’état. Et la partie russophone de l’est ukrainien ne voit pas tout cela d’un bon œil, justement.
Imaginons un instant le Mexique…
D’une certaine manière le Mexique est aux États-Unis ce que l’Ukraine est à la Russie. Une large frontière commune. Des interactions économiques fortes. Un relatif continuum de populations à la frontière.
Imaginons maintenant un soulèvement au Mexique, orchestré par la Russie qui financerait des guérilleros mexicains pour éjecter le gouvernement, avec en plus le soutien ouvert des officiels russes. Par-dessus le marché, une fois le nouveau gouvernement fantoche mis en place par les Russes, le Mexique signe une coopération militaire avec la Russie, en mémoire de la guerre perdue contre les États-Unis au XIXème siècle, permettant l’installation d’ogives nucléaires au nord du Mexique, histoire aussi de bien montrer leur désaccord avec le mur à la frontière.
Il se passerait quoi à ton avis, cher lecteur ? Les États-Unis resteraient-ils les bras croisés ?
Oui, je suis d’accord, Poutine n’est pas tout blanc, loin de là. Mais la nature explosive de la situation en Ukraine est causée en premier lieu par les abus et l’arrogance visible des Occidentaux. Pour clore le débat, voici le président ukrainien (à gauche), Volodymyr Zelensky implorant l’OTAN en décembre 2021 d’accepter l’Ukraine en son sein. Ce qui peut expliquer en grande partie les événements qui ont suivi.
Le Donbass et la Crimée
Le Donbass, une région à l’extrême est de l’Ukraine, et la Crimée, une péninsule au sud, ont une large majorité de locuteurs russes. Après le coup d’état de Maïdan, ces deux parties du pays rejettent massivement Porochenko, le nouveau président.
Par ailleurs, le nouveau gouvernement de Kiev s’attaque de plus en plus à la langue russe et tente d’en bannir l’usage par des lois, ce qui provoque un mécontentement bien compréhensible à l’est.
La Crimée
En Crimée, le processus est rapide. L’une des raisons est que la péninsule est isolée géographiquement de l’Ukraine par un isthme, et donc beaucoup plus difficile à atteindre pour les forces ukrainiennes. Un référendum est organisé, lors duquel les criméens appellent à rejoindre la Russie avec un score sans appel de 96,77 %.
Bien sûr, la Russie est derrière tout cela, c’est une évidence. Peut-on questionner la légitimité du référendum ? Sans doute. Mais il est tout de même avéré que les criméens sont historiquement beaucoup plus proches des Russes que des Ukrainiens. Pour rappel, elle n’a été donnée à l’Ukraine qu’en 1954.
Alors, est-ce pour le meilleur ou pour le pire ? Je pense que si la Crimée était restée en Ukraine, son sort n’aurait pas été bien différent de celui du Donbass. Pourquoi Poutine est-il intervenu si rapidement dans la péninsule, alors qu’il a laissé pourrir la situation plus au nord ? La réponse me paraît évidente : Sébastopol, la ville principale, qui est la plus grande base militaire russe sur la Mer Noire. La ville a d’ailleurs un statut spécial et est restée russe même après l’indépendance de l’Ukraine.
En tout cas, l’« annexion » de la Crimée par la Russie, donc par les méchants, a donné lieu à des sanctions internationales contre l’économie russe.
Quant à la légalité du procédé, il a un précédent. En 2008, le Kosovo, une province officielle de la Serbie, a déclaré son indépendance, approuvée « légalement » par les États-Unis et une bonne partie des pays du monde. Mais c’était les gentils, alors ça ne pose pas de problème.
Le Donbass
Au Donbass, en revanche, la situation est beaucoup plus compliquée. Les insurgents ont pourtant eux-aussi saisi les bâtiments administratifs et on pris de facto le contrôle des territoires et déclaré leur indépendance. La Russie n’a pourtant pas reconnu ces territoires. Évidemment, les Occidentaux non plus. Il ne faudrait tout de même pas exagérer. Quelle différence avec le Kosovo ? Il y a eu aussi des massacres de pro-Russes en Ukraine en particulier lors de l’épisode Maïdan ainsi qu’à Odessa, ce qui rend la situation finalement très proche de celle du Kosovo en son temps.
En tout cas, depuis, c’est la guerre civile, aidée bien évidemment par les Russes, tout contents de pouvoir créer de l’instabilité dans cette Ukraine tombée dans les mains occidentales. Quand je dis « guerre civile », il ne s’agit pas de quelques coups de feu par-ci par-là. Cette guerre a fait la bagatelle de 14.000 morts depuis 2014, dont au moins 3.000 civils. C’est une vraie guerre, au milieu des civils.
Peu de gens parlent de cette guerre, comme si elle n’existait pas et que tout allait bien en Ukraine. Il est indispensable de comprendre que la population locale est particulièrement remontée contre le pouvoir central et soutient activement les séparatistes, sinon cette guerre n’aurait pas pu durer aussi longtemps.
Les accords de Minsk (1 et 2)
Les séparatistes et le gouvernement ukrainien tentent des négociations. Ils signent par deux fois des accords de paix et de désescalade des tensions militaires à Minsk. Mais ceux-ci ne sont pas respectés, en particulier par les Ukrainiens. Il est clair qu’après 8 ans à s’envoyer des tirs de mortiers et autres obus, la situation n’est pas près d’être résolue.
Bien sûr, comme je l’ai déjà mentionné, les Russes n’y sont pas pour rien dans cette histoire. Poutine ne veut évidemment pas que l’Ukraine devienne un vassal des États-Unis. La frontière entre l’Ukraine et la Russie fait 1500 km. De ce point de vue, avoir les troupes américaines tout le long deviendrait un cauchemar. Non seulement pour la Russie, mais pour la paix dans le monde tout court. Pas besoin d’être sorti des Mines pour le comprendre.
Les USA utilisent la force partout où ils le jugent nécessaire… c’est-à-dire partout. Comme je l’ai mentionné dans mon livre « La monnaie : ce qu’on ignore », la section 301 de la loi américaine de 1974, qui est toujours appliquée aujourd’hui, « autorise le Président à prendre toute mesure appropriée […] pour obtenir le retrait de tout acte, politique ou pratique d’un gouvernement étranger […] qui restreindrait le commerce avec les États-Unis ». Impérialisme, quand tu nous tiens.
Volodymyr Zelensky
Faisons un petit zoom sur le président Zelensky. Il a accédé au pouvoir par des moyens assez peu conventionnels. On peut d’ailleurs le comparer à Macron en France, ou Trudeau au Canada. Sa campagne n’a pas été « classique » :
il n’est pas politicien professionnel, c’est un comédien héros d’une série télé où il jouait justement son propre rôle de « type normal » devenant président, une sorte de prophétie auto-réalisatrice, et promet un « renouveau en politique »,
un homme assez jeune pour la fonction présidentielle, avec une campagne particulièrement axée sur sa personne plutôt que sur des idées,
l’usage de nouvelles technologies et des réseaux sociaux,
beaucoup de promesses non tenues et une chute dans les sondages peu après son élection.
Par ailleurs, alors qu’il a juré de combattre la corruption, le « serviteur du peuple » est lui-même en plein dedans. Son principal soutien, Igor Kolomoisky, un oligarque anti-américain, possède la plus grande chaîne de télévision. Mais il est aussi régulièrement impliqué dans des scandales de corruption.
Les Pandora Papers révèlent en outre que Zelensky possédait un compte offshore, cédé peu avant son élection à un ami… hum. Serviteur du peuple, mon œil.
En fait, les Ukrainiens eux-mêmes ne sont pas ravis de leur président. Voici les résultats de sondages en 2021, par un site qui n’a pas d’affiliation avec les Russes et qu’on peut donc qualifier de « neutre » :
Sa popularité, déjà bien entamée en juin 2021, descend encore davantage avec 28 % d’opinion favorable.
Je ne serais pas surpris d’apprendre que l’oligarque s’est senti trahi et s’est finalement tourné vers Poutine.
Les demandes russes
En décembre 2021, les Russes envoient aux Occidentaux une liste formelle de demandes. C’est de mon point de vue un piège car Poutine sait parfaitement que ses « partenaires » ne signeront jamais. Ils l’auraient fait depuis longtemps s’ils l’avaient voulu. Mais il veut tenter de tendre la main une dernière fois.
Évidemment, ces demandes sont purement et simplement ignorées, et la réponse parle de demandes de la part des Occidentaux, totalement différentes.
Aurions-nous pu éviter la guerre en Ukraine ? Oui. J’en suis persuadé. Si les Européens ou les Américains avaient au moins pris ces demandes au sérieux, il y avait de très fortes chances d’éviter une guerre militaire. À la place, Macron nous a fait un grand cirque, a joué des mécaniques en se faisant passer pour le Saint Sauveur en clamant que Poutine lui avait promis de ne pas attaquer l’Ukraine. Ce que le Kremlin a formellement démenti dans la foulée. Quel clown !
Il est bien malheureux de constater que personne n’a pris Poutine au sérieux. Comme toujours. Mais évidemment, cela ne justifie pas, ne justifiera jamais, un conflit armé.
La décision d’attaquer
Difficile de dire ce qui a déclenché la décision finale de lancer l’assaut contre l’Ukraine. C’est d’autant plus surprenant que la date choisie est un contresens total en terme militaire. En effet, c’est la période de l’année où les champs se transforment en boue. De fait, les colonnes militaires sont totalement coincées sur les axes routiers, ce qui fait des cibles parfaites. Si l’attaque avait été prévue de longue date, elle aurait eu lieu en été ou en plein cœur de l’hiver.
Difficile, donc, de savoir ce qui a motivé Poutine à prendre cette décision soudaine. Je pense que c’est un ensemble de facteurs. Il me semble que l’expérience syrienne lui a donné une assurance de ce dont son armée était capable. Les récents événements au Kazakhstan l’ont probablement sérieusement irrité. Et la récente provocation de Zelensky demandant à rejoindre l’OTAN a vraisemblablement été la goutte de trop.
Petit rappel d’événements marquants de l’attaque sur l’Ukraine, qui ne sont de toute façon que des prétextes, la décision était déjà prise à mon avis à ce moment-là :
21 février : attaques d’une position russe à la frontière par les Ukrainiens,
22 : la Russie reconnaît les deux républiques séparatistes à l’est dans le Donbass, envoie des troupes pour « maintenir la paix »,
23 : déploiement au Donbass, Poutine déclare vouloir « démilitariser » et « « dénazifier » l’Ukraine qui menace l’intégrité de la Russie, un discours de guerre très classique pour faire peur,
24 : attaque de l’Ukraine par le nord, l’est et le sud, avec bombardement de zones militaires pour tenter de prendre le contrôle de l’espace aérien,
25 : l’armée russe fonce sur Kiev.
Personne ne peut prédire ce qui va advenir. Il semblerait que les Ukrainiens, armés massivement par les Occidentaux, offrent plus de résistance que prévu à l’avance des troupes russes.
Les buts de Poutine
Évidemment, je ne suis pas dans sa tête. Malgré tout, il me semble que les buts qu’il poursuit sont très clairs.
Je ne crois pas une seconde qu’il veuille occuper l’Ukraine sur le long terme. Toutes les invasions de ce type ont conduit à des conflits de guérilla interminables et impossibles à gagner lorsqu’on n’a pas le soutien de la population, et il le sait. Peu importe ce qu’on pense de lui, c’est un fin tacticien, il ne ferait pas une erreur aussi grossière.
Il veut se débarrasser de Zelensky, c’est indéniable. Et probablement mettre un président pro-russe au pouvoir. Le peut-il ? Cela reste à voir.
Il est parfaitement possible qu’il veuille couper l’Ukraine en deux. Cela aurait l’avantage de régler les problèmes internes. Et cela lui ferait le pays tampon dont il a besoin du côté est. Tant pis si l’ouest bascule du côté atlantiste. Ce serait en tout cas gagnant-gagnant pour lui, surtout s’il contrôle le fleuve Dniepr au milieu. L’est ukrainien contient beaucoup de ressources et des industries lourdes, ce qui lui permettrait de renforcer et diversifier l’économie russe.
Évidemment, l’un des autres buts est de délivrer un message très clair aux Occidentaux : ne m’ignorez plus, je ne rigole pas, ne franchissez pas mes lignes rouges. En d’autres termes, l’Ukraine ne devrait jamais faire partie de l’OTAN, inutile d’en rêver.
Une guerre mondiale ?
Est-ce que Poutine veut un conflit international ? Non, je ne pense pas.
Les États-Unis et l’Union Européenne, en revanche, ne refuseraient probablement pas une petite guerre en ce moment. Je parle évidemment des fous qui nous gouvernent, pas du peuple, qui n’a jamais envie de guerre. Mais les pays occidentaux ont beaucoup de problèmes avec des populations de plus en plus opposées à leurs gouvernements, une dette massive et irremboursable, une crise économique et énergétique qui n’ont pas de solutions.
À l’inverse, la Russie n’a quasiment pas de dette, a du gaz à ne pas savoir qu’en faire, et le gouvernement n’a pas particulièrement de problèmes avec sa population. Poutine n’a aucune raison particulière de faire la guerre, si ce n’est pour montrer qu’il en a raz-le-bol qu’on se paie sa tête. Une chose est sûre, l’ours est énervé.
Conclusion
Que va-t-il se passer ? Je n’en sais rien, je ne suis pas médium. Même si elle ne semble pas vraiment se passer comme prévu, je pense que cette guerre ne va pas durer très longtemps. Les Russes ont à mon avis attaqué beaucoup trop tard dans la saison, ils auraient dû attaquer au cœur de l’hiver pour un « blitz ». Nous allons tous suer pendant un moment… il va y avoir des dégâts. Mais je pense que Poutine va finalement obtenir ce qu’il demande depuis des années, voire des décennies : être entendu.
Les Occidentaux ne sont pas vraiment préparés à une guerre. La Russie, elle, l’est, et a un avantage technologique au niveau militaire. Les Ukrainiens vont devoir se bagarrer tout seuls, et il me semble qu’il n’est que pure folie de leur donner davantage de matériel. Cela ne fait que retarder l’inévitable, tout en augmentant les chances de dérapages et les morts. Mais il faut bien écouler le matos et se faire des cacahuètes en or.
Bien sûr, si l’OTAN décidait d’intervenir, cela pourrait conduire à la catastrophe. C’est impossible. Enfin, ça le serait si on n’était pas gouvernés par des pyromanes.
Est-ce que j’aime la situation actuelle ? Non, évidemment. J’aime la France suffisamment pour être atterré de voir qu’on en est arrivés là. Est-ce que Poutine est seul coupable ? Je pense qu’après avoir lu autant de paragraphes, il est évident que la situation n’est ni blanche ni noire. En fait, les pays Occidentaux sont totalement responsables de l’escalade de ces deux dernières décennies.
C’est un peu comme quelqu’un qui te harcèle continuellement en te filant des claques à répétition. Exaspéré, tu lances le premier coup de poing et du coup tu es seul responsable. Vraiment ?
Ma seule inquiétude est que cela crée un précédent qui inviterait les Chinois à attaquer Taïwan. Pas sûr que ça se passe aussi bien.