La guerre contre le pétrodollar

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Depuis les accords de Bretton Woods en 1945, le monde entier est forcĂ© d’utiliser le dollar pour acheter des hydrocarbures. Pourtant, depuis les derniĂšres dĂ©cennies, un vent de contestation souffle de plus en plus fort contre cet Ă©tat de fait. À tel point qu’il n’est pas impossible que le roi pĂ©trodollar puisse ĂȘtre un jour dĂ©chu.

AprĂšs autant de sanctions de la part de l’Occident, la Russie tente par tous les moyens de continuer Ă  vendre son gaz Ă  l’Ă©tranger. Évidemment, son Ă©conomie a sĂ©rieusement besoin de rentrĂ©es d’argent pour Ă©quilibrer sa balance commerciale. Et les mesures qu’elle prend sont une tentative de dĂ©trĂŽner le pĂ©trodollar, ni plus ni moins.

La dette publique russe

La Russie est l’un des pays ayant la dette publique la plus faible au monde, comparĂ©e Ă  son PIB. Contrairement Ă  l’Occident qui vit littĂ©ralement sur la dette publique, la Russie a rĂ©ussi le tour de force de s’en dĂ©barrasser presque totalement.

OĂč donc se trouve la Russie sur cette spirale du monde de la dette ? (dĂ©solĂ©, c’est en anglais : Russia)

Indice : la Russie se trouve en périphérie, en bas à droite. Source : Visual Capitalist

On a entendu parler d’un dĂ©faut possible de la Russie, mais trĂšs sincĂšrement ça me paraĂźt ĂȘtre de la propagande. Oui, bien sĂ»r, les sanctions ainsi que les dĂ©penses liĂ©es Ă  la guerre vont sacrĂ©ment handicaper son Ă©conomie. L’Union EuropĂ©enne rigole en ce moment, en appliquant les sanctions ordonnĂ©es par les AmĂ©ricains, les unes aprĂšs les autres. Entre nous, je me demande combien de temps cela va durer. Cette simple image rĂ©sume la situation.

Les sanctions


L’usage de sanctions Ă©conomiques est assez rĂ©pandu, pourtant leur effet rĂ©el est plutĂŽt controversĂ©. Tout d’abord, les perspectives de sanctions, aussi dures soient-elles, n’ont pas empĂȘchĂ© Poutine d’envahir l’Ukraine. Ensuite, ceux qui prennent les sanctions de plein fouet sont les plus pauvres, pas les Ă©lites. On sait parfaitement que le rĂ©sultat principal des sanctions Ă©conomiques en gĂ©nĂ©ral est d’augmenter la pauvretĂ©.

Quant Ă  ce milliardaire qui se plaint qu’il ne peut plus payer sa bonne, je ne verserai pas une larme pour lui. Au passage, la plupart des oligarques russes Ă©taient en faveur de la guerre, car beaucoup craignaient de perdre du terrain si l’Ukraine venait Ă  prendre ses distances avec la Russie.

Mais surtout, il semblerait que l’Occident ait Ă©puisĂ© toutes ses cartouches d’un coup. Ce n’Ă©tait certainement pas une tactique trĂšs maline, car nous nous retrouvons maintenant dĂ©munis et sans aucun levier supplĂ©mentaire face Ă  la Russie. Cela a laissĂ© Ă  l’« ennemi » le temps d’Ă©laborer une contre-offensive adĂ©quate. Franchement, n’importe qui avec une paire de neurones sait qu’il ne faut pas jouer toutes ses cartes d’un coup. On dirait que ça ne fait pas partie des cours Ă  Science Po ou l’ENA. Quoi, ils ne jouaient mĂȘme pas aux cartes entre les cours, lĂ -bas ?


 ne servent à rien

Bien sĂ»r, on peut se dire que faire crever les populations de faim peut les inciter Ă  se retourner contre leurs dirigeants. RĂ©flĂ©chissons trois secondes. MĂȘme dans nos « dĂ©mocraties », si notre gouvernement dĂ©cide de se lancer dans une guerre, nous n’avons aucun poids pour l’en empĂȘcher. D’ailleurs, nos gouvernements prennent des mesures suicidaires envers la Russie, et nous ne pouvons rien y faire. Comment donc imaginer un instant que les Russes aient une quelconque chance d’arrĂȘter Vladimir Vladimirovitch Poutine ?

Mais il y a pire encore. Ces sanctions, particuliĂšrement violentes, sont le prĂ©texte parfait pour un dictateur de justifier ses actions. « Voyez comme nos ennemis sont haineux. Voyez comme j’ai bien raison de vous en protĂ©ger ! »

Il semblerait que nous soyons dirigĂ©s par des imbĂ©ciles sans un soupçon de bon sens. À moins peut-ĂȘtre qu’une guerre les arrange bien, histoire de dĂ©tourner les esprits des problĂšmes internes dans leur propre pays. Une Ă©conomie chancelante et un systĂšme financier au bord de l’implosion. Ou bien, dans le cas des États-Unis, un budget militaire de plus de 700 milliards de dollars par an, qui paraĂźt bien excessif et difficile Ă  justifier, surtout aprĂšs s’ĂȘtre retirĂ© d’Afghanistan.

La Russie amasse de l’or

Pendant les deux derniĂšres dĂ©cennies, des pays comme la France ou la Suisse se sont massivement dĂ©barrassĂ©s de leur or. À l’inverse, la Russie et la Chine ont amassĂ© ce mĂ©tal Ă  un rythme sans prĂ©cĂ©dent.

Beaucoup de pays occidentaux se dĂ©barrassent de leur or, tandis que la Russie et la Chine remplissent leur stock Ă  toute vitesse. Source : l’IMF.

Par ailleurs, la Russie a la deuxiĂšme rĂ©serve d’or dans ses sous-sols au niveau mondial, juste derriĂšre l’Australie.

Il est clair que la Russie a prĂ©vu de se protĂ©ger contre d’Ă©ventuelles sanctions grĂące Ă  son stock massif d’or. Sans surprise, les États-Unis tentent de bannir toute transaction impliquant de l’or avec la Russie. Le problĂšme est que, contrairement Ă  un systĂšme numĂ©rique avec lequel il suffit de cliquer sur un bouton, il est quasiment impossible de bannir les transactions en or. C’est un actif intraçable qui peut ĂȘtre Ă©changĂ© physiquement, fondu et transformĂ©.

Valeur du rouble

Note prĂ©liminaire : SWIFT est un systĂšme Ă©lectronique qui permet aux banques d’Ă©changer de la monnaie dans le monde entier. L’essentiel du commerce mondial passe par lĂ . À cause de son monopole, certains pays, comme la Russie, dĂ©veloppent depuis quelques temps dĂ©jĂ  des systĂšmes alternatifs. Par ailleurs, il est de notoriĂ©tĂ© publique que les AmĂ©ricains n’hĂ©sitent pas Ă  tout faire pour siphonner les informations qui transitent par ce systĂšme
 contre le terrorisme, bien sĂ»r.

Les sanctions de l’Occident, y compris le bannissement de la Russie du rĂ©seau SWIFT, ont sĂ©rieusement affaibli le rouble. Pour la petite histoire, couper un pays entier de SWIFT est sans prĂ©cĂ©dent. Des banques iraniennes ont subi ce genre de sanctions dans les affaires du nuclĂ©aire iranien, mais un tel ostracisme d’un pays entier n’a jamais eu lieu. Pourtant, cela n’a pas arrĂȘtĂ© la guerre pour autant.

De plus, un autre de type de sanctions dont on parle peu proviennent des agences de notation. Elles ont baissĂ© la note de la Russie, ce qui a pour effet d’augmenter les intĂ©rĂȘts pour obtenir de la monnaie. C’est une sanction qui ne dit pas son nom, d’importance capitale, si je puis dire. Et elle vient exactement des mĂȘmes acteurs occidentaux que les autres sanctions, puisque les agences de notation sont dirigĂ©es par les mĂȘmes que les requins du systĂšme financier de toute façon.

En consĂ©quence, la Russie est face Ă  une menace de taille : l’effondrement possible du rouble. Ce pourrait ĂȘtre une bĂ©nĂ©diction pour un pays croulant sous les dettes, mais ce n’est pas le cas de la Russie. La dĂ©prĂ©ciation du rouble signifie que la Russie risque d’avoir du mal Ă  importer des produits Ă  prix acceptable pour sa population.

Le levier de l’Ă©nergie

MalgrĂ© tout, en dĂ©pit du bannissement total de SWIFT, l’Allemagne a immĂ©diatement levĂ© la voix : hors de question de bannir les paiements pour le gaz russe, c’est une question de vie ou de mort pour les Allemands en plein hiver. Ainsi, tous les paiements sont suspendus, sauf ceux pour le gaz. TrĂšs pratique.

Au passage, cela laisse d’autant plus songeur. S’ils se prĂ©paraient Ă  cette guerre depuis longtemps, pourquoi les Russes n’ont-ils pas attaquĂ© l’Ukraine en novembre dernier ? Ils auraient eu une carte d’autant plus forte Ă  jouer avec le gaz pendant tous les mois d’hiver. Par ailleurs, ils adorent le froid et ils auraient Ă©galement pu utiliser le sol gelĂ© pour dĂ©ployer leurs tanks et autres vĂ©hicules par les champs plutĂŽt que d’ĂȘtre coincĂ©s comme ils l’ont Ă©tĂ© sur les routes. Peut-ĂȘtre n’ont-ils pas eu le temps de peindre leurs chars en blanc ?

En tout cas, une chose est sĂ»re : l’Union EuropĂ©enne ne peut se passer totalement du gaz russe, c’est une question de survie. Certains experts affirment d’ailleurs que mĂȘme le gaz amĂ©ricain ne peut ĂȘtre une alternative pour au moins les 10 prochaines annĂ©es. L’infrastructure nĂ©cessaire, y compris les bateaux eux-mĂȘmes, est massive. En effet, la totalitĂ© des bateaux gaziers dans le monde peut actuellement livrer environ un milliard de mĂštres cubes de gaz par an. L’UE en consomme 150 milliards par an.

Poutine est donc en train de tirer parti du talon d’Achille de l’Europe pour sauver le rouble. En d’autres termes, il dit clairement : vous voulez me mettre des sanctions, eh bien je vous propose un deal que vous ne pouvez pas refuser, et qui va annuler vos sanctions. Et du cĂŽtĂ© europĂ©en, on a dĂ©jĂ  Ă©puisĂ© toutes nos cartouches.

Le pétrodollar

Pour rappel, depuis la fin de la DeuxiĂšme Guerre Mondiale, les hydrocarbures s’achĂštent uniquement en dollars. Les dollars accumulĂ©s par le vendeur s’appellent alors des « pĂ©trodollars ». Aucun moyen de passer outre, et ceux qui ont essayĂ©, comme Saddam Hussein ou Mouammar Khaddafi, ont rencontré  quelques problĂšmes « mineurs », menant Ă  leur dĂ©cĂšs.

Mais les BRICS ne sont pas l’Irak ou la Libye. La Chine paie dĂ©jĂ  une partie de son gaz Ă  la Russie en petroyuan plutĂŽt qu’en dollars depuis 2017. Pire encore, l’Arabie Saoudite, pourtant alliĂ©e de longue date aux États-Unis, dĂ©clare rĂ©cemment qu’elle aussi est prĂȘte Ă  accepter le petroyuan. C’est un vĂ©ritable tremblement de terre gĂ©opolitique dont peu de monde parle.

En tout cas, la manƓuvre de Poutine semble fonctionner, la chute du rouble a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e. En effet, si on se met Ă  acheter du rouble afin de pouvoir acheter du gaz russe, cela augmente la demande, et donc la valeur, du rouble.

Dans le mĂȘme temps, les dollars que tout le monde s’arrachait pour acheter des hydrocarbures perdent une partie de leur utilitĂ©, ce qui a Ă©videmment un impact sur la valeur du dollar. Bien entendu, si on ne parle que du gaz russe, l’impact est nĂ©gligeable. Mais si d’autres acteurs majeurs dans le monde se mettent Ă  suivre la tendance et prĂ©fĂ©rer d’autres monnaies pour Ă©changer, les dollars actuellement en circulation vont retourner aux États-Unis, ce qui risque d’augmenter encore un peu plus la tendance inflationniste actuelle.

Les cryptomonnaies

En 2017, je prĂ©venais dĂ©jĂ  dans mon livre « La monnaie : ce qu’on ignore » que les Russes s’intĂ©ressaient de prĂšs aux cryptomonnaies. Typiquement, la Banque Centrale de la FĂ©dĂ©ration de Russie s’affaire Ă  crĂ©er une monnaie digitale fĂ©dĂ©rale.

Évidemment, cette monnaie ne serait pas une cryptomonnaie dĂ©centralisĂ©e. La Russie est bien sĂ»r opposĂ©e Ă  des systĂšmes dont elle pourrait perdre le contrĂŽle, au moins en partie.

Mais lĂ  encore, le principe de rĂ©alitĂ© prĂ©vaut : le Kremlin cherche Ă  vendre son gaz coĂ»te que coĂ»te. Y compris avec des cryptomonnaies. Mais cela reste le privilĂšge des pays « amis ». C’est une nouveautĂ©, car les cryptomonnaies ont mĂȘme Ă©tĂ© bannies un temps du sol russe.

La planche Ă  billets

Mes lecteurs savent dĂ©jĂ  que le nombre d’euros et de dollars en circulation a explosĂ© de maniĂšre exponentielle ces derniĂšres dĂ©cennies. Typiquement, la masse monĂ©taire en euros a doublĂ© chaque dĂ©cennies depuis sa crĂ©ation. Pas Ă©tonnant que l’inflation pointe finalement le bout de son nez !

 

Le rouble or

Depuis les rĂ©ponses russes aux sanctions, les pays occidentaux n’ont plus le choix. Ils vont devoir payer leur gaz en roubles ou
 en or. Et ce, Ă  partir du 31 mars 2022. Ah, certes, des voix s’Ă©lĂšvent pour dire que les contrats sont clairs et qu’on ne peut les changer. On verra ce qu’on verra le jour oĂč les Russes finiront par couper le gaz.

Mais ce n’est pas tout ! Par ailleurs, la banque centrale russe indique qu’elle est prĂȘte Ă  acheter de l’or avec des roubles Ă  un taux fixe. D’une certaine maniĂšre, cela revient Ă  fixer un Ă©talon or. C’est un message clair au monde que le rouble n’est pas comme les monnaies occidentales crĂ©Ă©es sur du vent.

La Russie semble donc vouloir faire un appel au retour de l’Ă©talon or. Elle lance aussi un signal Ă  tout investisseur que les sanctions peuvent ĂȘtre sans limite. L’Occident peut saisir tout ce qu’il a sous la main Ă  tout instant et sous n’importe quel prĂ©texte. Le message est clair : « Ne faites pas confiance aux banques occidentales, ne vous laissez pas impressionner par les marchĂ©s occidentaux extrĂȘmement volatiles et qui peuvent s’Ă©vaporer en un instant ; non, pariez plutĂŽt pour la valeur sĂ»re qu’est l’or, ou bien mĂȘme son Ă©quivalent, le rouble. »

Les Ă©talons Ă©chouent toujours

Sur le court terme, on peut dire que ces actions peuvent payer, en particulier en rĂ©ponse aux sanctions. En revanche, cela pourrait s’avĂ©rer nĂ©faste sur le long terme.

Dans la culture populaire, il y a une vision manichĂ©enne avec une vision en noir et blanc. D’un cĂŽtĂ©, des monnaies crĂ©Ă©es sur « du vent », sans valeur. De l’autre, des monnaies adossĂ©es Ă  « du concret », typiquement de l’or. Malheureusement, l’histoire a montrĂ© que les Ă©talons, en particulier sur l’or, sont particuliĂšrement ravageurs.

Rappelons-nous ce qui est arrivĂ© avec l’Ă©talon or des dollars dans la deuxiĂšme moitĂ© du XXĂšme siĂšcle. Son abandon par Nixon en 1971 a causĂ© les crises pĂ©troliĂšres des annĂ©es 1970. Au XIXĂšme siĂšcle ainsi qu’au dĂ©but du XXĂšme siĂšcle, les monnaies basĂ©es sur l’or ont causĂ© beaucoup de misĂšre dans les populations. Plus rĂ©cemment, la chute du bolivar vĂ©nĂ©zuĂ©lien est due Ă  un Ă©talon fixĂ© par le gouvernement entre le bolivar et le dollar.

Je pense que cette histoire de « 5000 roubles = 1 once d’or » est du grand spectacle. C’est un message au monde, un rappel cinglant que bĂątir toute une Ă©conomie sur de la dette est extrĂȘmement risquĂ©.

Une recette contre la guerre

Ceci est tirĂ© d’un groupe constituant, et narrĂ© par Étienne Chouard. Ce dernier nous rappelle sans cesse qu’il est absurde de laisser les politiciens Ă©crire le texte qui est censĂ© les contrĂŽler. C’est un peu comme dĂ©signer son chien comme gardien du sandwich. DĂ©solĂ© pour les chiens qui lisent cela, je sais que votre queue remue dĂ©jĂ .

Voici une recette simple pour Ă©viter la guerre. Si tous les pays adoptaient cette rĂšgle, nous vivrions sans aucun doute dans un monde en paix.

  1. Aucune guerre ne peut ĂȘtre dĂ©clarĂ©e sans un rĂ©fĂ©rendum ouvert.
  2. Au cas oĂč le « oui » l’emporterait pour la guerre, quiconque a rĂ©pondu « oui » se voit attribuĂ© un fusil et doit aller au front illico. Aucune obligation pour quiconque a votĂ© « non ».
  3. Une fois que les premiers ont Ă©tĂ© tuĂ©s, on refait un rĂ©fĂ©rendum pour savoir s’il y a de nouveaux volontaires pour continuer la guerre.
  4. Retour à la case départ.

« La monnaie : l’essentiel » est sorti !

AprĂšs le succĂšs du livre « La monnaie : ce qu’on ignore », je publie un autre livre de vulgarisation sur le mĂȘme sujet : la monnaie.

Autant mon premier livre sur le sujet est Ă©pais et intimidant Ă  la fois pour ceux qui ne connaissent rien au sujet et pour les allergiques Ă  la lecture, autant « La monnaie : l’essentiel » ne paye pas de mine : 80 pages au format poche (60 pages sur Amazon, un peu plus grand), il ressemble plus Ă  un petit livret qu’Ă  un vĂ©ritable livre. Pour autant, c’est un condensĂ© d’information.

Histoire de la monnaie, banques centrales, monnaie crĂ©dit, monnaies alternatives, blockchain, etc. Plus personne n’aura d’excuse pour dire qu’il « ne savait pas » comment est crĂ©Ă©e la monnaie, l’origine de la dette publique, le pouvoir des agences de notation, les effets de la spĂ©culation et de l’effet de levier, les consĂ©quences de l’Ă©talon-or
 Tout y est !

Ce n’est pas non plus un rĂ©sumĂ© de « La monnaie : ce qu’on ignore ». Pas un seul paragraphe n’a Ă©tĂ© repris, tout a Ă©tĂ© rĂ©Ă©crit. Seuls deux graphiques essentiels sont identiques entre les deux livres. Ceux qui ont aimĂ© le premier livre peuvent parfaitement lire celui-ci : les explications et la perspective sont diffĂ©rentes et trĂšs complĂ©mentaires du premier.

Il est disponible au format papier et au format Ă©lectronique sur les plate-formes suivantes :

Bonne lecture, et n’hĂ©sitez pas Ă  laisser des commentaires sur ces sites pour donner envie aux visiteurs de le lire !

La guerre du Kippour n’a pas causĂ© le choc pĂ©trolier des annĂ©es 1970 (en fait, c’est l’inverse)

Dans mon livre « La monnaie : ce qu’on ignore », j’Ă©cris que l’abandon de l’Ă©talon or par Nixon est le dĂ©clencheur du premier « choc pĂ©trolier » des annĂ©es 70. En lisant cela, tu peux te dire : « C’est faux, ça. On sait tous que les mĂ©chants de l’OPEP sont Ă  l’origine de la crise et que c’est la guerre du Kippour qui est le dĂ©clencheur. »

Je ne vais pas nier que certaines raisons politiques ont pu avoir une influence. MalgrĂ© tout, j’affirme ici qu’elles ne sont pas le facteur principal. Des preuves ? Elles arrivent.

PlutĂŽt que de croire inconditionnellement ce qu’on nous raconte, regardons les chiffres.

Hausse des prix

VoilĂ  ce qu’on nous prĂ©sente : les Saoudiens avec leurs copains de l’OPEP ont dĂ©marrĂ© un embargo sur le pĂ©trole en 1973. La principale raison aurait Ă©tĂ© de protester contre les Ă©tats qui soutenaient IsraĂ«l dans la guerre contre les pays arabes. Ou au pire, on nous dit que c’est juste les types cupides de l’OPEP qui voulaient tirer un maximum de jus de leur pĂ©trole. RĂ©sultat : les prix du pĂ©trole flambent.

Effectivement, les prix ont grimpĂ© lorsqu’on regarde les prix en dollars sans correction (la courbe bleue). Ils ont aussi grimpĂ© en « dollars constants », c’est-Ă -dire tenant compte de l’inflation.

On doit alors se poser deux questions :

  • la guerre a-t-elle Ă©tĂ© la cause de l’embargo ?
  • le « dollar constant » est-il une rĂ©fĂ©rence fiable et non faussĂ©e ?

RĂ©pondons Ă  ces deux questions.

Les Saoudiens : rois du pétrole

Tout d’abord, les Saoudiens Ă©taient les rois du pĂ©trole Ă  l’Ă©poque. En fait, ils rivalisaient avec les États-Unis en terme de production :

Non seulement ils Ă©taient l’un des principaux producteurs au niveau mondial, mais ils basaient aussi leur Ă©conomie sur le pĂ©trole.

Jetons un coup d’Ɠil Ă  leur dĂ©pendance Ă©conomique au pĂ©trole :

En 1970, 30 % de leurs revenus provenaient du pĂ©trole, ce qui n’est pas rien. C’est passĂ© Ă  70 % en 1974. Peut-ĂȘtre Ă©taient-ils vraiment cupides, finalement ?

Mais comment sont-ils passĂ©s de 30 Ă  70 % ? Est-ce grĂące Ă  la hausse des prix ? Est-ce que, par hasard, ce pourrait ĂȘtre parce qu’ils ont exportĂ© beaucoup plus ? Regardons un peu la courbe de leurs exportations :

Effectivement, leurs exportations ont littĂ©ralement explosĂ© entre 1970 et 1979. La multiplication par 3 de leurs exportations entre 1970 et 1975 explique dĂ©jĂ  Ă  elle seule largement la hausse des revenus pĂ©troliers. Si c’Ă©tait de la cupiditĂ©, ils n’ont pas obtenu plus par un simple gain de prix, on peut mĂȘme ĂȘtre surpris qu’ils n’aient pas gagnĂ© plus vu l’augmentation de leurs exportations.

Mais une premiĂšre question vient Ă  l’esprit : au vu de la hausse des prix du pĂ©trole, oĂč donc est passĂ©e la chute vertigineuse des exportations qui devrait en ĂȘtre la cause ? Il y a bien une petite baisse de moins de 10 % vers 1973, mais cela suffirait-il Ă  justifier la hausse brutale des prix du pĂ©trole ? Est-ce qu’il pourrait y avoir d’autres raisons Ă  cette hausse ?

Les productions mondiales et Ă©tats-unienne

Jetons un coup d’Ɠil Ă  la production mondiale de pĂ©trole dans la pĂ©riode qui nous intĂ©resse.

Le plus surprenant dans l’histoire, c’est que la production saoudienne (Middle-East en vert) n’ait pas plongĂ© plus que cela en 1973 pour un embargo qui a tout de mĂȘme durĂ© 6 mois. Plus surprenant, la production Ă©tats-unienne a elle-aussi baissĂ© dans la mĂȘme pĂ©riode. Auraient-ils fait un embargo sur eux-mĂȘmes ? Ça n’a aucun sens ! Penchons-nous sur la question d’un peu plus prĂšs et focalisons-nous sur la production de pĂ©trole des États-Unis sur la pĂ©riode :

Effectivement, on voit la production amĂ©ricaine baisser significativement entre 1970 et 1980, en plein choc pĂ©trolier. Elle ne remonte lĂ©gĂšrement qu’en 1980. N’est-ce pas surprenant ? Devrions-nous peut-ĂȘtre regarder d’autres sources ?

Aucun doute, en pleine crise du pĂ©trole, les États-Unis ont rĂ©duit leur production. On peut voir une trĂšs lĂ©gĂšre inflexion des importations pendant l’embargo, mais sans pour autant avoir un arrĂȘt total, trĂšs loin de lĂ , puis une accĂ©lĂ©ration trĂšs impressionnante des imports. La logique de l’Ă©poque, qui n’a Ă©tĂ© cassĂ©e que rĂ©cemment sous Obama Ă©tait : « Épuisons les rĂ©serves de tout le monde, puis quand ils seront Ă  cours de pĂ©trole, on pourra puiser dans les nĂŽtres ». Ils y sont d’ailleurs arrivĂ© partiellement puisqu’ils deviennent en 2017 le premier producteur de pĂ©trole au monde. Le prix Ă  payer Ă©tait peut-ĂȘtre la crise pĂ©troliĂšre des annĂ©es 1970.

Biais culturels

Le monde arabe, comme bien d’autres parties du monde, est trĂšs traditionnel. Il est basĂ© sur la stabilitĂ© des valeurs ancestrales. Il fonctionne sur des valeurs « sĂ»res » comme l’or. Encore aujourd’hui, les frasques dorĂ©s des princes du pĂ©troles sont mondialement connus, en plus d’autres choses.

Par ailleurs, l’or prend une place importante pour afficher ses richesses :

L’Ă©talon or

Ceux qui ont lu mon livre sur la monnaie savent qu’Ă  la suite des accords de Bretton Woods en 1945, l’Ă©conomie mondiale repose sur le dollar amĂ©ricain pour les Ă©changes internationaux, chaque dollar est Ă©changeable contre de l’or Ă  taux fixe. Malheureusement, les États-Unis impriment beaucoup plus de dollars qu’ils n’ont d’or et le prĂ©sident Nixon est forcĂ© d’abandonner l’Ă©talon or en 1971.

Le rĂ©sultat direct est la chute immĂ©diate du cours du dollar par rapport Ă  l’or :

D’un autre cĂŽtĂ©, tous les Ă©changes internationaux continuent Ă  ĂȘtre payĂ©s en dollars. Le pĂ©trole ne fait pas exception, puisqu’on parle mĂȘme en pĂ©trodollars. C’Ă©tait encore le cas trĂšs rĂ©cemment, et quiconque dĂ©fiait ce monopole Ă©tait immĂ©diatement Ă©cartĂ©. Saddam Hussein et Khaddafi en sont deux exemples frappants, si j’ose dire. Il n’y a que les Chinois et les Russes pour se lancer dans l’aventure ces derniĂšres annĂ©es.

Revenons en 1973. Mets-toi dans la peau d’un Saoudien. Tu chĂ©ris l’or. Mais en Ă©change de ton pĂ©trole, tu reçois des bouts de papier avec lesquels tu pourrais tapisser ta chambre tellement ils ne valent plus rien. Ce que tu vois, c’est que ton or noir a une valeur qui dĂ©gringole par rapport Ă  l’or sonnant et trĂ©buchant, il perd mĂȘme quasiment la moitiĂ© de sa valeur :

Prix d’un barril de pĂ©trole en onces d’or

Que faire ? Tu te souviens que le dernier embargo en 1967 a remontĂ© les prix rapidement, on le voit d’ailleurs sur le graphique ci-dessus. Il faut absolument trouver une excuse pour obliger le prix du pĂ©trole Ă  remonter au niveau oĂč il se trouvait sous l’Ă©talon or.

La guerre du Kippour est l’excuse rĂȘvĂ©e. Surtout quand on sait que les Saoudiens en ont Ă©tĂ© secrĂštement les artisans puis ouvertement actifs dans le conflit.

Comparaison pétrole-or

Continuons notre analyse et Ă©tudions comment le pĂ©trole et l’or se sont comportĂ©s dans les dĂ©cennies qui nous intĂ©ressent. Peut-ĂȘtre allons-nous trouver une forme de stabilitĂ©. N’oublions pas qu’Ă  cette pĂ©riode, le monde entier entre en crise, les monnaies subissent des dĂ©valuations importantes, on l’a vu avec le dollar qui plonge par rapport Ă  l’or, etc.

Il semblerait bien qu’au milieu du chaos mondial, on trouve une certaine stabilitĂ© dans ce graphique. Jusqu’en 1985, il y a des vagues, certes, mais la tendance globale est trĂšs stable : le pĂ©trole remonte systĂ©matiquement Ă  ses niveaux d’avant la crise autour de 0,08.

Analysons cette fois ce graphique avec en tĂȘte les Ă©vĂ©nements historiques de l’Ă©poque. Soudain, tout s’Ă©claire.

Pour rĂ©sumer, les Saoudiens et leurs alliĂ©s forcent le prix du pĂ©trole en or Ă  revenir Ă  ses niveaux de la pĂ©riode de l’Ă©talon or. Ils le font mĂȘme monter encore plus loin pour s’approcher de 0.1. Visiblement, d’autres Ă©taient aussi en train de regarder ce mĂȘme graphique : les dirigeants de l’OPEP sont attaquĂ©s physiquement pour leur rappeler qui est le patron. L’opĂ©ration marche bien, les prix du brut redescendent.

Cinq ans plus tard, le prix du pĂ©trole en or est de nouveau redescendu bien bas. C’est compter sans la perspicacitĂ© des Saoudiens. Ils lancent un embargo sur le long terme en rĂ©duisant de maniĂšre drastique leur production et leurs exports. MalgrĂ© tout, ils doivent finalement cĂ©der autour de 1985 : de nouveaux concurrents indĂ©pendants sont apparus dans le secteur pĂ©trolier comme l’Alaska, la SibĂ©rie ou encore la NorvĂšge en Mer du Nord. Les Saoudiens voient qu’en retenant trop leur production, ils perdent du terrain et leurs revenus s’effritent, ils remettent les gaz, si on peut dire, faisant descendre le prix du pĂ©trole cette fois pour plus longtemps. Adieu Ă©talon or-pĂ©trole !

Conclusion

Si tu crois encore qu’il n’y a aucun lien entre le pĂ©trole et l’or dans cette pĂ©riode, exprime-toi ! Depuis, d’autres Ă©vĂ©nements ont eu lieu qui peuvent brouiller les cartes. Pourtant, Ă  l’Ă©poque, je suis persuadĂ© que ce graphique explique tout.

Quant au graphique « en dollars constants » du dĂ©but, il est Ă©vident que le calcul de ce « dollar constant » est de la pure fantaisie. Les Saoudiens n’en avaient rien Ă  faire des « papelards constants » ou de l’« inflation » calculĂ©e par un panel obscur quelque part dans le monde. Ils se basaient sur l’or qu’ils pouvaient entasser dans leurs coffres.

La guerre du Kippour n’a Ă©tĂ© qu’une excuse et les Occidentaux savaient trĂšs bien ce qu’ils faisaient Ă  l’Ă©poque, ils voulaient se servir de l’excuse de l’abandon de l’Ă©talon or pour rĂ©cupĂ©rer du pĂ©trole Ă  bas prix !