Récemment, la chaîne Thinkerview recevait Charles Gave et Olivier Delamarche. Tous deux ont des lectures intéressantes de l’économie. En revanche, Charles Gave a une foi en la « main invisible » du marché particulièrement aveugle.
La « main invisible »
Introduite par Adam Smith au XVIIIème siècle, le concept de « main invisible » est facile à comprendre. Adam Smith théorise que l’ensemble des gens qui s’affairent chacun très égoïstement à leurs propres intérêts finit en réalité par servir l’intérêt général.
La première hypothèse sous-jacente est qu’on n’est jamais aussi motivé que lorsqu’on s’affaire pour soi-même. Si Adam Smith, avait pu voir l’Union Soviétique, cela aurait apporté de l’eau à son moulin. Une nation toute entière devenue improductive à cause d’une planification globale où plus personne ne se sent impliqué, quelle aubaine ! Du coup, l’antithèse est que la compétition à outrance est le système le plus productif, et donc le meilleur pour l’ensemble de la société.
La deuxième hypothèse est que la somme de tous les intérêts tend vers l’intérêt général. En effet, on part du principe que chaque acteur de l’économie a des intérêts divergents. Du coup, il est logique de penser que la somme de tous ces intérêts est représentatif de l’intérêt commun.
Des contre-exemples
L’Union Soviétique semble donner une « preuve » que lorsqu’on n’utilise pas la « main invisible », tout part en cacahuète. Mais en logique, le fait de démontrer non-non-A ne veut pas dire que A est vrai.
L’interviewer demande à Charles Gave s’il faut rouvrir les dossiers du passé. Sous-entendu, toutes ces « affaires » où l’intérêt général n’était pas vraiment au rendez-vous. Charles Gave répond qu’il ne faut pas juger les actions du passé avec les standards d’aujourd’hui. C’est une évidence, il faut remettre les choses dans leur contexte. Pour autant, cela n’excuse pas les comportements prédateurs perpétrés en toute connaissance de cause. Il est particulièrement important de réouvrir ces dossiers. Apprendre du passé peut nous permettre de ne pas commettre à nouveau les mêmes erreurs.
Prenons quelques exemples, parmi les plus connus. Évidemment, il s’agit de cas où les fraudeurs ont été pris « la main dans le sac ». Il y a probablement beaucoup de cas que l’on ne connaîtra jamais.
Le Cartel Phœbus
Dans les années 20, les principaux fabricants d’ampoules signent un accord pour limiter la durée des ampoules à 1000 heures de fonctionnement. Eh oui, plus la durée de vie d’une ampoule est élevée, moins on vend d’ampoules. C’est un cas typique où tous les acteurs ont en réalité exactement le même intérêt : tous y gagnent à réduire la durée de vie des ampoules pour tous les fabricants.
La « main invisible » aurait-elle pu empêcher cette situation ? En théorie, oui. Il suffisait qu’une entreprise vende des ampoules à durée de vie très élevée. Dans la pratique, c’est effectivement arrivé. Mais il aura fallu attendre presque 10 ans. On fait plus efficace !
Mis à part le gaspillage et les coûts élevés pour les consommateurs, l’impact sur l’Humanité de cet épisode est assez faible. En revanche, lorsqu’on parle de santé, il y a d’autres scandales beaucoup plus graves.
L’industrie du tabac
Après la seconde guerre mondiale, l’industrie du tabac est un énorme cartel avec un but commun évident : montrer au monde que le tabac est sans danger pour la santé. Aucune entreprise du secteur ne serait assez folle pour démontrer que le tabac provoque des cancers, c’est une évidence. Cela signifierait mettre la clé sous la porte immédiatement.
À l’époque, les médecins sont même payés pour vanter les mérites de telle ou telle marque. Des études – bidon, évidemment – sont financées en masse par l’industrie pour montrer l’innocuité du tabac, voire même ses bénéfices ! « Autre temps, autres mœurs » ? Sans doute. Ce ne serait excusable que si les dirigeants ne savaient pas que le tabac était dangereux. Or, ils savaient. Niaient. Mentaient.
Il faudra attendre des décennies avant que leurs mensonges éclatent finalement au grand jour. Dans cette histoire, combien de millions de cancers la « main invisible » a-t-elle causé ?
Le DDT
Doit-on ouvrir les dossiers comme celui du DDT ? Oui, évidemment.
Le DDT est un insecticide qui a des effets terribles sur l’environnement… et sur les humains. En particulier, il provoque des cancers. Là encore, il me paraît évident, même si nous n’avons pas de preuves, que les fabricants connaissaient très tôt l’impact de leur produit sur l’environnement.
Il faudra attendre qu’une lanceuse d’alerte tire la sonnette d’alarme pour que le DDT soit interdit… aux États-Unis, mais toujours vendu et utilisé dans le reste du monde. Belle hypocrisie ! Où était donc la main du marché à ce moment-là ? On savait pourtant parfaitement que l’insecticide était nocif. Mais il valait mieux écouler les stocks dans les pays pauvres que de perdre de l’argent ! La main invisible ne prend pas de gants.
Entente dans les télécoms
Il y a évidemment bien d’autres histoires en-dehors de la santé – j’aurais pu parler du Mediator, par exemple.
Dans les années autour de 2000, les trois principaux opérateurs de téléphonie mobile français signent des accords secrets pour garder des prix élevés. Là encore, il ne s’agit pas d’une « erreur involontaire ». Il s’agit au contraire d’une très claire volonté de nuire… ou plus exactement de profiter au maximum aux dépens du consommateur. Où était donc la main du marché pour empêcher une telle entente ?
Le pillage des ressources
Il faut le reconnaître et ne pas hésiter à l’affirmer : dans la frénésie sans fin de concurrence actuelle, tout le monde dans l’industrie est totalement à l’unisson. Il est beaucoup plus profitable de piller les ressources que de ne pas les exploiter.
Où est donc la main du marché lorsqu’il s’agit d’arrêter la déforestation au Brésil ? Que fait-elle pour sauver forêts rasées en Océanie pour y planter des palmiers ? Dit-elle stop lorsqu’on détruit l’environnement absolument partout, jusqu’au fond des océans ? La main piétine, écrase, extermine. C’est un fait vérifiable, partout autour du globe. La main n’est jamais rassasiée, elle en veut toujours plus. Et si tout cela passe par raser la planète de A à Z, les requins n’hésiteront pas une seule seconde, pour être plus compétitifs que la concurrence.
Explication
L’explication de ces contre-exemples est en fait très simple.
La théorie de la main invisible part du principe que tous les acteurs n’ont pas les mêmes intérêts. Et pourtant, dans une économie de marché, toutes les entreprises ont en réalité un seul et même but : être les plus rentables possible. On pourra arguer qu’une entreprise peut également être « éthique », ou même à l’image du slogan initial de Google « ne pas être mauvaise ». Tout cela n’est que du marketing. Une entreprise qui n’est pas profitable comparée à ses concurrents est tout simplement vouée à disparaître. Et ce, quelles que soient les « valeurs » qu’elle communique.
D’une certaine manière, ils sont tous en conflit d’intérêts : tous ont en réalité le même but. Même si celui-ci peut être atteint de plein de manières différentes, il reste tout de même des constantes :
exploiter des enfants dans un pays en développement restera toujours beaucoup plus rentable que d’employer des adultes d’un pays développé où les salaires sont beaucoup plus élevés et les protections sociales plus strictes,
rejeter sauvagement les déchets toxiques dans la rivière d’à côté est toujours moins cher que de les retraiter avec des moyens chimiques et de les jeter dans des endroits sécurisés,
lorsque tous les autres mentent sur leurs publicités, il n’y a pas d’autre choix que de mentir à son tour si on ne veut pas disparaître,
une équipe marketing pour vendre du rêve est toujours plus efficace que de devoir réellement être totalement éthique, éco-responsable, éco-renouvelable, etc. L’esbrouffe ne coûte pas cher, une usine de traitement des déchets, si.
La magie du marketing
Il y a un autre argument classique mis en avant par les adeptes de la « main invisible ». Les entreprises « non éthiques » finissent par perdre leurs clients au profit d’entreprises « éthiques ». Typiquement, Charles Gave prétend dans l’interview que « toutes les entreprises sont éco-sociales ». Soit-disant, personne ne va acheter chez les entreprises qui ne le sont pas. La bonne blague !
À l’heure où l’écologie est présentée comme une préoccupation majeure, on voit parfaitement comment le « green washing » permet de faire avaler des couleuvres à la population. Dans mon livre « La monnaie : ce qu’on ignore », je parle des biais cognitifs. Ici, de nombreux biais entrent en jeu. Au final, ce n’est pas la vérité qui compte, mais uniquement la perception qu’ont les gens de l’entreprise. Et cette perception peut être forgée de toute pièces, grâce à la publicité et au marketing.
Il est très facile de clamer haut et fort qu’on est « éco-social ». Les services marketing savent parfaitement mettre un coup de pinceau vert sur les pires gabegies écologiques. Ils savent également mettre en avant le tout petit pourcentage de l’entreprise qui œuvre à être plus éco-responsable, même si ce n’est que pour camoufler tout le reste. Toutes les grandes entreprises ont des équipes dédiées uniquement à cette tâche. Et il n’y a pas à dire, elles font des miracles.
La cause des causes
Pendant trois heures de débat, il est tout de même curieux que ces économistes chevronnés n’aient pas soufflé mot du problème principal, de la cause des causes de tout cela. Il s’agit de la création monétaire.
Charles Gave pourrait probablement arguer que c’est effectivement la faute des banques centrales. En effet, selon lui tout est la faute de ces institutions qui mettent les pieds dans le plat du marché. Celui-ci devrait être laissé tranquille pour qu’il se régule tout seul. Mais Charles, c’est exactement ce qui se passe !
Effectivement les banques centrales créent un peu de monnaie. Mais pour rappel, l’essentiel de la monnaie est créé par les banques privées. Et ce, sans aucune intervention extérieure. Ce sont bien elles qui sont censées être les garantes de créer de la monnaie pour ce qui est « le plus efficace ». Ou plus exactement, le plus rentable.
La main invisible est déjà là !
Dans les faits, ce sont les banques privées, dont le but est toujours la rentabilité à tout prix, qui choisissent ce qui va être financé, et ce qui ne va pas l’être. Chaque banque œuvre dans son propre intérêt… mais de toute évidence la somme des intérêts particuliers du système bancaire n’équivaut pas exactement à l’intérêt général.
Où sont donc ces systèmes de santé qui devraient nous permettre de lutter efficacement contre des épidémies, alors que tout le système de santé est de plus en plus privatisé ? Où sont donc ces systèmes ultra-efficients du marché permettant d’éviter l’accumulation morbide de capital par une petite minorité d’acteurs, pendant que le reste de la population sombre toujours plus dans la pauvreté ? La privatisation de la « gestion des vieux » est là aussi totalement catastrophique, avec un rapport qualité-prix totalement ubuesque pour l’individu lambda, mais évidemment extrêmement profitable pour les gestionnaires. Et tout cela dans une période où on n’a cessé de privatiser les acteurs du secteur.
Tout cela n’est dû qu’à un seul facteur : ce sont les banques privées qui décident ce qui est financé ou non. Exemple typique de la « main du marché ». Nous devrions nous en inspirer pour comprendre que cette main invisible est destructrice, et qu’elle n’a rien à voir avec « l’intérêt général ».
La démocratie
Pour terminer leur démonstration, nos deux sbires finissent par parler de « démocratie ». De leur point de vue, l’État, quel qu’il soit, fait toujours n’importe quoi. Il n’y a rien de plus intelligent que le « chaos constructif », selon eux. L’État déstabilise l’équilibre, et tous les dysfonctionnements sont de sa faute.
Mais là encore, les hypothèses de départ sont fausses. L’État tel que nous le connaissons n’est en réalité rien d’autre qu’une oligarchie, un ensemble d’individus qui contrôlent toutes les décisions et font toujours pencher la balance de leur côté. Il n’est en aucun cas l’organisme impartial qu’on tente de nous vendre, et qui permettrait de faire régner « l’intérêt général ». L’État sous forme d’élites auto-proclamées élues n’est en réalité qu’un cartel de plus que la main invisible ne saurait éliminer.
Le rôle de l’État, le vrai, celui où « l’État, c’est nous », est de protéger les Citoyens des requins qui se revendiquent de la main invisible, en lui tordant le cou une bonne fois pour toutes. Et ce, sans pour autant tout transformer en plans, kolkhoses et sovkhoses. Car non, la vie n’est jamais juste toute blanche ou toute noire. Quiconque présente une dichotomie aussi absurde n’est qu’un manipulateur.
De retour de jet ski, Emmanuel Macron vient de s’exprimer sur ce qui nous attend à la rentrée. Toute la rhétorique du Great Reset de Klaus Schwab est là.
Pour une fois, Macron ne semble plus du tout optimiste, ce qui n’est pas bon signe. Les couleuvres qu’il veut nous faire avaler sont sans aucun doute à la hauteur de sa gravité. Mais où est donc passé l’Emmanuel Macron du « penser printemps » ?
L’évolution en cours est en effet une formidable opportunité pour saisir au vol plein de chantiers dont on sait pertinemment qu’ils auraient un impact positif pour l’essentiel de la population.
« La fin de l’abondance des liquidités sans coût »
Mais de quoi parle-t-il au juste ? Que je sache, je n’ai pas reçu de la monnaie tombée du ciel sur mon compte en banque !
En quelques mots, voici ce à quoi il fait référence. Voilà une quinzaine d’années que les taux d’intérêts bancaires n’ont cessé de baisser, pour atteindre des taux négatifs. En clair, lorsque la France emprunte de l’argent, elle doit parfois rembourser moins que ce qu’elle a emprunté ! De plus, depuis une dizaine d’années, la Banque Centrale Européenne inonde le système financier et les marchés de monnaie toute fraîche qu’elle crée à partir de rien. Tout cela, cela n’impacte directement ni vous ni moi. Indirectement, en revanche, cela a de nombreuses répercussions, dont la hausse des prix de l’immobilier – mais ce n’est pas le sujet de cet article.
Justement, les taux remontent fortement et la création monétaire s’arrête ou ralentit. D’où sa phrase, qui peut se résumer à : « la fin de l’abondance d’argent magique ». Une fin dont se réjouissait d’ailleurs il y a peu Bruno Le Maire, qui ne semblait pas avoir compris ce que cela impliquait à moyen et long terme pour la France, vouée à crouler sous la dette.
La fin de l’argent magique implique que la France ne pourra de toute façon jamais rembourser sa dette – elle ne le pouvait déjà pas avec les politiques extrêmement complaisantes de la BCE, mais cette fois les carottes sont cuites ! Il va donc falloir prendre le taureau par les cornes et trouver des solutions.
La plus simple et qui ne coûte rien est déjà de se réapproprier le pouvoir régalien de création monétaire, ce qui nous éviterait de donner des dizaines de milliards d’euros d’intérêts au système bancaire chaque année.
Bien sûr, il va falloir trouver des milliards pour renflouer les caisses. Or, il y en a à foison :
en jugulant l’évasion fiscale, c’est pas moins de 100 milliards d’euros par an de recettes que nous pourrions trouver, et encore ce n’est qu’en tapant dans l’optimisation fiscale, on pourrait parfaitement envisager d’augmenter les taxes et de rétablir l’ISF, par exemple, puisque l’État est en difficulté, il n’y a pas de raison que les plus riches ne contribuent pas,
en arrêtant les politiques de l’autruche, nous pourrions récupérer plus de 400 milliards d’euros d’impayés de la part des secteurs de la grande distribution,
comme dit plus haut, le système bancaire, financier et en particulier les bourses ont bénéficié de beaucoup d’argent magique ces dernières années, il y a donc énormément de monnaie en circulation, qui pourrait être capté aisément avec par exemple une micro-taxe sur les transactions financières, où même une taxe à 0,1 % (oui oui, un pour mille) permettrait de collecter des centaines de milliards d’euros tout en limitant la spéculation,
cette année, les rentiers ont perçu plus de 44 milliards d’euros en France, tout cela sans rien faire ni produire, seulement en plaçant du capital, qui on le rappelle a bénéficié d’argent magique depuis plus de 10 ans, pas étonnant que les bourses se portent à merveille pendant que l’économie réelle souffre comme jamais depuis des décennies.
De l’argent, il y en a à foison. Et ce n’est pas M. et Mme Michu qui vont rapporter des centaines de milliards nécessaires…
« … les produits, technologies qui nous semblaient perpétuellement disponibles », ne le sont plus
C’est une excellente nouvelle. Cela fait prendre conscience que notre modèle économique, basé sur une infinité de ressources, mérite d’être revisité. Cela permettrait peut-être de ne plus courir directement dans le mur à l’avenir.
Par ailleurs, cela peut également amener des réflexions qui permettrait enfin à l’État de lutter de manière sérieuse contre l’obsolescence programmée.
« la rareté de tel ou tel matériau »
Là encore, c’est une excellente nouvelle. Cela ne peut conduire qu’à favoriser le recyclage, la réutilisation plutôt que de jeter, ce qui veut dire que les gens auront moins souvent à racheter encore et encore le même produit qui tombe en panne. Personnellement, je trouve tout cela extrêmement positif ! Pour peu, bien évidemment, que le Gouvernement prenne les dispositions évidentes qui s’imposent.
« la fin de l’abondance de l’eau »
Pour commencer, l’année 2022 est exceptionnelle en terme de pluviométrie. Comme l’indique le site de Météo France, c’est l’année la plus sèche depuis 1959 :
On pourrait se faire vraiment beaucoup de soucis s’il y avait une tendance sur le long terme à avoir moins de pluie, mais ce graphique ne montre rien de tel. C’est juste une année totalement exceptionnelle en terme de sécheresse. Bien sûr, il y a beaucoup d’autres facteurs qui peuvent poser problème, dont l’augmentation des températures, mais en terme d’eau, rien ne permet de dire que cela va empirer d’année en année. À ce stade, c’est totalement conjoncturel et exceptionnel.
Ensuite, c’est malgré tout encore une bonne nouvelle, car il va peut-être être temps de taper sur ces industriels qui se gavent sur la financiarisation de l’eau, et qui privent nos sols d’une partie de l’eau qui devrait s’y écouler en pompant les nappes phréatiques comme des grands malades, et donc détruisent l’environnement tout en mettant en danger les populations locales.
L’autre excellente nouvelle, c’est que la gestion de l’eau ne peut que mettre en évidence un phénomène connexe : réhabiliter les sols en choisissant des solutions permacoles au lieu de déverser des pesticides à tout va ce qui détruit les sols, la santé des humains et toute la chaîne alimentaire, comme les abeilles. En effet, bourrer les sols de pesticides les rendent stériles et les empêchent de capter l’eau. C’est très simple : s’il n’y a pas de vers de terre pour créer des galeries, le sol devient comme un roc sur lequel l’eau s’écoule au lieu de s’y infiltrer. Cela a de nombreux effets pervers :
les nappes phréatiques ne se remplissent plus, et ce malgré la pluie
le sous-sol n’est plus irrigué, ce qui oblige à arroser les plantations en surface, or tout ce qui est en surface s’évapore plus vite, ce qui accentue encore davantage le problème,
en ruisselant, l’eau crée des inondations beaucoup plus violentes que si elle pénétrait en partie dans le sol et restait sur place, ce qui explique pourquoi nous sommes de plus en plus souvent inondés.
Il y a donc une vraie réflexion autour de la gestion de l’eau sur les systèmes agricoles que nous mettons en place. L’agriculture de conservation, par exemple, promue par Konrad Schreiber en France, a de nombreuses réponses sur le sujet, c’est l’occasion d’ouvrir le débat !
« la fin des évidences […] la démocratie, les droits de l’homme, si d’aucuns pensaient que c’était la téléologie* de l’ordre international »
(* ou comment utiliser un mot savant, en faisant une pause pleine de suffisance ensuite, sans comprendre le mot… car la « téléologie » est la science, l’étude des finalités, ce qui n’est vraisemblablement pas du tout ce qu’il voulait dire ici)
Alors non, je peux rassurer M. Macron. Nous ne pensons pas que la norme à l’échelle internationale est « la démocratie » et « les droits de l’homme ». Bien sûr, on peut penser à certains pays africains où la « démocratie » est bien loin des préoccupations quotidiennes de la population, mais évidemment viennent immédiatement à l’esprit la Corée du Nord, la Chine ou la Russie, dont on nous rabat sans cesse les oreilles que ce sont des dictatures sanguinaires.
Mais non, cher Emmanuel, ce n’est pas du tout à tous ces pays auxquels je pense lorsque le mot « démocratie » ou l’expression « droits de l’homme » sortent de ta bouche. C’est à la France. Ma France déchirée, les mains arrachées, les yeux crevés de ces gens qui voulaient simplement user de leur droit à s’opposer au monarque jupitérien, qui n’a eu qu’une seule et unique réponse : opprimer, par tous les moyens, quitte à faire couler le sang. Est-ce cela, ta démocratie ? Je pense aussi à ces fameuses « élections » censées garantir la soit-disant « démocratie », et qui se jouent avec des dés pipés. Non, à part les naïfs, personne ne croit encore ces mensonges de « démocratie » et de « droits de l’homme ».
« la montée des régimes libéraux »
Alors, très franchement, je ne m’attendais pas à ce lapsus. Car s’il y a bien une montée d’un régime libéral à marche forcée, si j’ose dire, c’est bien en France ! Et sous sa propre direction ! Magnifique ! Tout cela poursuivi par « le renforcement des régimes autoritaires »… dont le sien fait partie.
« la fin d’une forme d’insouciance »
Ah, enfin, les politiciens vont en finir avec l’insouciance, celle de laisser mourir de faim ou de froid leurs compatriotes, par exemple. Voilà qui est excellent ! Enfin, ils vont réellement prendre le taureau par les cornes et faire bouger les lignes pour prendre les décisions qui s’imposent pour protéger le peuple, ce qui est et a toujours été leur devoir le plus impérieux. Bien sûr, en « démocratie », là où les « élus » œuvrent pour le peuple. Bien sûr.
« La guerre a repris il y a six mois en Europe »
La faute à qui ? Qui n’a pas réussi à faire respecter les accords de Minsk ? Qui a toujours soutenu le pourtant si corrompu et menteur Zelensky et sa clique depuis toutes ces années ? Qui a totalement laissé pourrir la situation au Donbas au point où il devenait évident que cela exploserait un jour ou l’autre ?
Peut-être aussi n’était-ce pas vraiment une excellente idée de dire à Poutine, quatre jour avant le début de la guerre, « je ne sais pas où ton juriste a appris le droit ». Sachant que Poutine a lui-même fait des études de droit. En faisant semblant de jouer l’apaisement, notre Emmanuel national a au contraire montré qu’il n’y avait absolument aucun terrain d’entente, aucune négociation possible. Au passage, Poutine lui a bien rappelé que, pendant toutes ces années, Macron n’a fait que brasser du vent, verbatim : « Je sais (que tu essaies de convaincre les Ukrainiens), mais ce n’est pas efficace ». Du vent. Un ventilateur géant.
Cet homme ne sait que provoquer, il est bien possible qu’il ait d’ailleurs tellement exaspéré l’ours qu’il ait précipité les choses. Au passage, le vocabulaire russe s’est enrichi depuis quelques mois d’un nouveau verbe, « macronit’ », qui veut dire « blablater pendant des heures pour te jouer du pipeau ». Très représentatif.
On va me dire que, au contraire, Macron a tout fait pour éviter la guerre, en tentant de maintenir le dialogue. Mais pour qu’un dialogue ait des effets positifs, il faut qu’il soit suivi d’actes. Un dialogue où on tourne en rond et on pique l’adversaire sans arrêt, tout en agissant à l’inverse de ce qu’on prône, ne mène qu’à la frustration. Il s’est posé en « négociateur principal », et il faut se rendre à l’évidence, depuis qu’il l’a fait, tout s’est précipité.
« Pour beaucoup de générations dans notre pays, la guerre était une réalité qui n’existait plus sur le sol européen »
Pourtant, nous avons eu la guerre des Balkans, il n’y a pas si longtemps. C’est beaucoup plus proche de la France que l’Ukraine. Au passage, si l’on parle de l’Europe géographique, la Tchétchénie en fait partie, et a été le théâtre de deux guerres sanglantes depuis moins de 30 ans.
Mais surtout, notre président ment lorsqu’il dit que la guerre est revenue en Europe depuis si longtemps que des générations ont oublié ce que c’était. Il devrait peut-être en parler à ces enfants nés depuis 2014 dans l’est ukrainien, qui n’ont connu que ça pendant toute leur vie : les bombardements, la désolation, l’abri sous-terrain qui est leur seule maison. Mais c’est loin, et tout le monde s’en fout. Depuis que la Russie est entrée officiellement dans la danse, bien sûr cela donne une dimension nouvelle au conflit. Mais avant l’intervention russe, la guerre dans le Donbas avait déjà fait 13.000 morts. 13.000 morts tus dans tous les médias, comme s’ils n’avaient jamais existé. Comme s’il n’y avait jamais eu de guerre là-bas avant le 24 février 2022.
Pour revenir à la France, nous avons également la guérilla dans certains coins de notre pays, qui n’est pas une guerre à coups de chars, mais qui crée une insécurité latente pour beaucoup de Français. Et 2005, où des policiers se sont fait tirer dessus à balles réelles, suivi de couvre-feux et état d’urgence, n’est pas si lointain non plus, et encore dans les mémoires de tous.
Quant aux attentats, que ce soit à Nice en 2016 ou au Bataclan en 2015, même s’ils ne laissent pas des traces aussi persistantes dans les esprits qu’une guerre, c’est un traumatisme psychologique pour une grande partie de la population, en particulier avec tout le battage médiatique qui accompagne ce genre d’événements. Et bien sûr, l’état d’urgence, reconduit d’année en année sous divers prétextes, est tout sauf le symptôme d’un pays paisible et harmonieux.
Alors, la guerre pour un Européen, c’est autre chose que pépé qui raconte ses aventures dans le maquis en 1944. Et au final, la guerre en Ukraine ne nous touche physiquement pas plus qu’une bombe au Yemen, un missile en Palestine ou en Israël, ou qu’une incursion de Boko Haram faisant 100 morts au Nigeria. C’est loin. À des milliers de kilomètres. Comme dirait l’autre, ça nous en touche une sans faire bouger l’autre. La guerre en Ukraine nous touche même moins qu’un vol à main armée dans l’épicerie au coin de la rue – ou l’incursion de cambrioleurs dans son logement, il y a plusieurs centaines de milliers de cambriolages en France chaque année !
L’insouciance, elle n’est pas vraiment là, Manu.
« La crise climatique »
Ah, oui, il ne fallait pas l’oublier, celle-la. Nous allons donc enfin appeler les industriels à arrêter leurs pollutions, puisque ce sont eux les plus pollueurs ? Relocaliser nos productions pour éviter d’avoir recours à des monstres marins qui polluent plus que toutes nos voitures réunies ? Taxer enfin le kérozène, responsable de beaucoup plus de pollution que le vélomoteur de papy ?
« Face à cela, je pense que nous avons quelques devoirs »
Ses devoirs, il les conçoit pour « réduire l’anxiété » de ses compatriotes. Mais Capitaine, on n’en veut plus de ton vent ! On veut des actes, il y a plein de solutions, que certains mettent d’ailleurs courageusement en œuvre de leur côté sans t’attendre. Mais pour que ces solutions aient un réel impact, il faut une impulsion forte qui touche le plus grand nombre.
Pour cela, il faudrait déjà résoudre la plus grosse cause de pollution et de destruction : la création monétaire par les banques privées. Car comme cette création monétaire s’accompagne d’une exigence de rentabilité qui met en concurrence tous les acteurs de l’économie, c’est à cause d’elle que :
la guerre est financée sans compter, car on ne peut se permettre d’être en retard par rapport à l’ennemi, et c’est l’État qui régale donc aucune limite ne saurait le brider,
le pillage des ressources accélère, car il n’y a rien de plus lucratif que de creuser le sol et y extraire or, diamant, palladium, … et eau !
tout ce qui saccage l’environnement est privilégié, au détriment de tout ce qui pourrait le préserver, car il est beaucoup plus rentable de jeter des déchets toxiques dans la rivière d’à côté que de les traiter pour s’en débarrasser de manière propre,
nous détruisons nos sols, car il vaut mieux rendre les paysans dépendants d’engrais, de semences infertiles, et de pesticides, pour les traire comme des vaches à lait, plutôt que de les laisser se débrouiller avec Mère Nature, qui elle ne rapporte pas grand-chose lorsqu’elle fait pousser toute seule l’abondance.
Et à l’inverse, c’est cette même création monétaire assortie de rendements qui bride tout ce qui pourrait être bénéfique pour les 99,999 % de la population humaine :
l’éducation, et je parle bien d’un système éducatif où l’on apprend à penser et raisonner par soi-même, en remettant tout en question sans avoir peur des vérités qui fâchent, car il ne faudrait tout de même pas que Monsieur Tout-Le-Monde comprenne comment fonctionne le système, il y aurait une révolution immédiatement !
la santé, devenue comme tout le reste un outil à traire les vaches à lait et où la maladie qu’il faut traiter est bien plus lucrative que la santé, surtout si elle est chronique !
la nourriture, car un corps rempli de sucre, de pesticides, de micro-plastiques et autres colorants et conservateurs cancérigènes est beaucoup plus susceptible de tomber dans la case « malade » – voir point précédent -, et il est beaucoup plus facile de rendre accro au sucre et autres aspartame qu’au brocolis,
tout service public, à l’instar des autoroutes, ou bien plus récemment d’EDF, doit être démantelé sur l’autel de la libéralisation lorsqu’il fonctionne bien pour être trait, et être ensuite renationalisé pour le renflouer avec l’argent du contribuable lorsqu’on l’a bien sucé jusqu’à la moelle,
les « vieux », dont il faut extraire le plus de jus possible avant de les laisser mourir.
Oui, la cause profonde de tous ces problèmes, c’est la création monétaire par les banques privées, qui choisissent de financer ce qui est le plus rentable pour elles. Sans compter, évidemment, le fait que les intérêts qui doivent être rembourser en plus du crédit sont à l’origine du besoin de « croissance », le Graal de tout économiste.
Alors, cher Emmanuel, toi qui sembles prendre à cœur le bien-être de tes compatriotes, tu sais ce qui te reste à faire !
En réalité…
Mais non, en réalité, tout cela ne provient que de l’imagination débridée d’un écrivain en mal de justice.
Ce qui nous sera proposé sera tout autre :
serrez-vous la ceinture sans broncher, bande de fainéants,
quant aux boomers qui ont bénéficié des trente glorieuses, on va leur diminuer leur pension, ils l’ont bien mérité !
l’inflation, prenez-là dans les dents avec sagesse, ne venez pas me demander si la Banque Centrale Européenne y est pour quelque chose avec ses politiques de création monétaire débridées : c’est la faute à Poutine de toute façon, ce dictateur sanguinaire !
chauffez-vous moins, et éteignez votre wifi, bande de sales gamins gaspilleurs,
arrêtez de partir en vacances, vous ferez des économies et en plus vous polluerez moins – certains ne t’ont pas attendu pour trouver l’astuce, hein !
il serait temps d’arrêter d’acheter le nouvel iphone avec l’aide de l’État pour les fournitures scolaires de vos enfants, bande d’irresponsables,
de toute façon vous n’êtes pas capables de gérer votre argent, nous allons donc saisir tout ce qui dépasse sur vos comptes en banque, et on va mettre en place un revenu universel pour que vous fermiez votre grand clapet et que vous soyez à jamais dépendants de l’État, sales Gaulois ; le premier qui l’ouvre je lui coupe le robinet monétaire, hop !
vous avez une coupure d’électricité, c’est la faute à Poutine ! Pensez quand même aux Ukrainiens qui vivent sous les bombes (russes bien sûr, les Ukrainiens n’envoient que des glaces au chocolat), et si vous avez trop froid vous savez ce que c’est une couverture bande d’ignares ?
vous allez changer de voiture, la vôtre est un danger public pour l’environnement, pour la planète, pensez à vos enfants, on doit vous interdire de rouler avec, pollueurs, terroristes du climat ! À la place, prenez une électrique, même si on n’arrive ni à les produire assez vite, ni à fournir les bornes de recharge sans compter qu’on n’a plus assez de courant de toute façon… au pire achetez un vélo, vous rendrez service à tout le monde ! Et pas un vélo électrique, hein ! Pédalez, bande de flemmards ! Vous pensez un peu aux pauvres enfants qui extraient le cobalt pour les batteries, hein, vous y pensez aux enfants ? Bon, moi je vais retourner dans mon avion avec la clim, y fait trop chaud. Et non, les clims on va les taxer un max car c’est dangereux pour l’environnement !
de manière générale, moins vous possédez, plus vous serez heureux alors on va tout vous saisir car il faut bien renflouer les caisses de l’État avec cette dette colossale dont vous avez bénéficié pendant toutes ces décennies, bande de profiteurs, hop plus de maison, patrimoine, sauf pour les copains, bien sûr, qui continueront de toucher leurs milliards en dividendes.
Dans l’absolu, la plupart des courants philosophiques font l’éloge de la sobriété heureuse, et il est tout-à-fait bénéfique que chacun d’entre-nous apprenne à se contenter de moins. Mais dans ce cas, il faudrait en faire une priorité nationale et l’appliquer à tous. Car nous allons clairement avoir besoin de monnaie pour faire la transition écologique et la réindustrialisation de la France.
Mais tout ce que savent faire les politiques, c’est culpabiliser la population. Les uns doivent se serrer la ceinture pendant que les autres vont faire du golf en jet privé. Ou bien s’offrent de la vaisselle digne de Marie-Antoinette.
Attention, Emmanuel. Lorsque les efforts énormes des uns sont totalement annihilés par les extravagances des autres, les têtes tombent.
Tous les médias caracolent : « Macron premier avec 27 % des voix. »
Mais il n’en est rien. Tout comme en 2017, Macron a été battu à plate couture par… l’abstention. Voici la réalité des chiffres qu’aucun média ne présente :
L’abstention, à laquelle j’ai ajouté les votes blancs et nuls. Ceux-ci ne sont pas non plus comptabilisés par les médias, ils représentent environ 2 %.
C’est là que l’on voit toute l’aberration du système électoral français. Quelle que soit l’issue du deuxième tour, le président en exercice bénéficiera du soutien d’à peine un cinquième de la population. Par ailleurs, le troisième candidat, d’un poids semblable aux deux autres n’a plus qu’à… se taire, comme ses électeurs.
Certains pointent du doigt les abstentionnistes : ce sont de mauvais citoyens, la racine du mal à cause desquels Macron risque d’être réélu. L’abstention, tout comme le vote blanc ou nul, est pour certains tout simplement la manifestation d’une résistance. Tout comme le fait de ne pas s’inscrire sur les listes électorales peut être un acte politique. C’est un refus de participer à la mascarade du système.
Il existe pourtant des alternatives simples à ce système aberrant. L’une d’entre-elles s’appelle le « jugement majoritaire ».
Le jugement majoritaire
L’Institut Rousseau a récemment conduit une étude sur le jugement majoritaire :
Tout d’abord, le premier constat est qu’une large portion des personnes interrogées sont favorables à l’instauration du jugement majoritaire :
Proportion de personnes interrogées en faveur ou non de l’instauration du jugement majoritaire.
Des résultats surprenants
Mais en allant plus loin, les résultats du sondage peuvent surprendre : Macron est deuxième, derrière… Valérie Pécresse.
Sondage prédisant les résultats de l’élection présidentielle si celle-ci était votée au jugement majoritaire. Source : Institut Rousseau
Ne nous voilons pas la face : ces deux candidats feront exactement la même politique. Alors, au vu de ce résultat, on peut clairement se demander : est-ce que ça vaut vraiment la peine de changer de type de scrutin pour élire Françoise à la place de François ?
Un garde-fou nécessaire
On peut avoir une autre lecture de ce résultat. En effet, dans le scrutin actuel, il y a bien une clause qui impose la majorité absolue pour qu’un président soit élu. C’est une mesure d’apparat puisqu’au deuxième tour il n’y a que deux candidats, et seuls sont comptés les votes pour l’un ou l’autre.
Dans le cas du jugement majoritaire, on pourrait parfaitement envisager une règle stipulant que le candidat choisi obtienne au moins une mention « assez bien » pour être élu. En effet, dans le sondage de l’Institut Rousseau, Pécresse est celle qui rassemble le plus de suffrages, mais avec une mention… « passable ». Par ailleurs, le sondage a eu lieu en décembre 2021, il y a fort à parier que les résultats ne seraient pas les mêmes mi avril 2022, vu la campagne déplorable de cette candidate.
En mettant en place ce garde-fou, seul un candidat ayant au moins un support populaire décent pourrait être élu. Si personne ne fait l’affaire au premier tour, alors tous les candidats sont écartés et la campagne repart avec de nouveaux candidats.
Évidemment, on peut craindre que personne ne puisse contenter globalement les Français. Mais qu’est-ce qui est préférable : choisir au petit bonheur la chance un candidat qui ne satisfait pas grand-monde, comme c’est actuellement le cas, ou bien tenter de faire mieux ?
Le système des partis
En réalité, tout cela provient en premier lieu du système des partis qui implique d’être d’accord sur tout ce que présente le parti.
Écoutons un personnage de mon roman, « Le Président Providentiel » :
« La meilleure preuve, c’est que les Verts soient un parti. L’écologie devrait être au cœur du débat de tous les partis. On cloisonne totalement les idées au sein d’un parti. Au lieu de proposer les idées à la carte, on propose un menu 100 % poisson ou bien un menu 100 % viande. Si vous voulez du poisson en entrée mais de la viande en plat principal, c’est impossible. Ou bien on vous présente un menu végétarien dans lequel la seule boisson comprise est une bouteille de vin. Si vous voulez du jus de fruit, vous n’avez pas le choix, ça sera une bouteille de vin. Et on vous oblige à la boire ! Présenté comme ça, ça semble totalement absurde, c’est pourtant ce que font les partis politiques avec les idées. Jusqu’au point où si vous êtes écologiste alors vous devez forcément être d’accord sur tout le reste, ce qui est totalement farfelu. Vous avez des écologistes qui sont à droite, d’autres à gauche, certains sont pour l’immigration et d’autres contre, certains sont pro-européens et d’autres anti-européens, etc. Ben oui, les idées c’est pas au menu, c’est à la carte ! »
Il s’agirait donc de voter non pas pour un menu, mais pour chaque idée, à la carte. C’est parfaitement atteignable, avec le RIC, plébiscité par plus de 70 % des Français. Ça a une autre dimension que des candidats qui peinent à récolter 20 % !
Une image vaut mille mots :
C’est quand même autre chose, non ?
Conclusion
Les modalités de l’élection présidentielle permettent de nombreuses manipulations pour élire un candidat voulu. Pire encore, elles sont des outils formidables pour engendrer de la frustration et diviser le peuple. « Votez utile, sinon vous êtes des traîtres ! » Le spectacle des « consignes de vote » au deuxième tour est tellement loufoque qu’il vaut mieux en rire.
Mais à chaque fois que nous nous retournons contre nos pairs au lieu de tous tourner un doigt accusateur vers nos bourreaux communs, nous devrions nous poser la question :
Pourquoi ?
Comment en sommes-nous arrivés là ? Au lieu de se battre les uns contre les autres autour d’un problème dont les seules issues qui nous sont présentées ne sont pas des solutions, nous devrions prendre du recul. Sortir du cadre. Le cadre, c’est à nous de le définir.
En réalité, ces pièges ne sont que des techniques de base, le B.A. BA du manipulateur. En psychologie, cela s’appelle une injonction contradictoire, ou double bind en anglais. Il s’agit de présenter un problème et de n’offrir comme « solutions » que des portes de sortie perdantes. Ici, l’électeur est sans cesse tiraillé entre voter contre sa conscience pour être un « bon citoyen » et suivre sa conscience – quitte à ne pas aller voter – mais devenir un « mauvais citoyen ».
Tout psychologue sait que le seul moyen pour sortir de ces situations sans issue est de ne pas accepter les fausses solutions qui nous sont offertes. Il suffit de s’extraire du moule qu’on veut nous imposer.
J’invite le lecteur à lire cet article pour aller un peu plus en profondeur sur cette élection et sur le système de l’élection présidentielle française.
Depuis les accords de Bretton Woods en 1945, le monde entier est forcé d’utiliser le dollar pour acheter des hydrocarbures. Pourtant, depuis les dernières décennies, un vent de contestation souffle de plus en plus fort contre cet état de fait. À tel point qu’il n’est pas impossible que le roi pétrodollar puisse être un jour déchu.
Après autant de sanctions de la part de l’Occident, la Russie tente par tous les moyens de continuer à vendre son gaz à l’étranger. Évidemment, son économie a sérieusement besoin de rentrées d’argent pour équilibrer sa balance commerciale. Et les mesures qu’elle prend sont une tentative de détrôner le pétrodollar, ni plus ni moins.
La dette publique russe
La Russie est l’un des pays ayant la dette publique la plus faible au monde, comparée à son PIB. Contrairement à l’Occident qui vit littéralement sur la dette publique, la Russie a réussi le tour de force de s’en débarrasser presque totalement.
Où donc se trouve la Russie sur cette spirale du monde de la dette ? (désolé, c’est en anglais : Russia)
Indice : la Russie se trouve en périphérie, en bas à droite. Source : Visual Capitalist
On a entendu parler d’un défaut possible de la Russie, mais très sincèrement ça me paraît être de la propagande. Oui, bien sûr, les sanctions ainsi que les dépenses liées à la guerre vont sacrément handicaper son économie. L’Union Européenne rigole en ce moment, en appliquant les sanctions ordonnées par les Américains, les unes après les autres. Entre nous, je me demande combien de temps cela va durer. Cette simple image résume la situation.
Les sanctions…
L’usage de sanctions économiques est assez répandu, pourtant leur effet réel est plutôt controversé. Tout d’abord, les perspectives de sanctions, aussi dures soient-elles, n’ont pas empêché Poutine d’envahir l’Ukraine. Ensuite, ceux qui prennent les sanctions de plein fouet sont les plus pauvres, pas les élites. On sait parfaitement que le résultat principal des sanctions économiques en général est d’augmenter la pauvreté.
Quant à ce milliardaire qui se plaint qu’il ne peut plus payer sa bonne, je ne verserai pas une larme pour lui. Au passage, la plupart des oligarques russes étaient en faveur de la guerre, car beaucoup craignaient de perdre du terrain si l’Ukraine venait à prendre ses distances avec la Russie.
Mais surtout, il semblerait que l’Occident ait épuisé toutes ses cartouches d’un coup. Ce n’était certainement pas une tactique très maline, car nous nous retrouvons maintenant démunis et sans aucun levier supplémentaire face à la Russie. Cela a laissé à l’« ennemi » le temps d’élaborer une contre-offensive adéquate. Franchement, n’importe qui avec une paire de neurones sait qu’il ne faut pas jouer toutes ses cartes d’un coup. On dirait que ça ne fait pas partie des cours à Science Po ou l’ENA. Quoi, ils ne jouaient même pas aux cartes entre les cours, là-bas ?
… ne servent à rien
Bien sûr, on peut se dire que faire crever les populations de faim peut les inciter à se retourner contre leurs dirigeants. Réfléchissons trois secondes. Même dans nos « démocraties », si notre gouvernement décide de se lancer dans une guerre, nous n’avons aucun poids pour l’en empêcher. D’ailleurs, nos gouvernements prennent des mesures suicidaires envers la Russie, et nous ne pouvons rien y faire. Comment donc imaginer un instant que les Russes aient une quelconque chance d’arrêter Vladimir Vladimirovitch Poutine ?
Mais il y a pire encore. Ces sanctions, particulièrement violentes, sont le prétexte parfait pour un dictateur de justifier ses actions. « Voyez comme nos ennemis sont haineux. Voyez comme j’ai bien raison de vous en protéger ! »
Il semblerait que nous soyons dirigés par des imbéciles sans un soupçon de bon sens. À moins peut-être qu’une guerre les arrange bien, histoire de détourner les esprits des problèmes internes dans leur propre pays. Une économie chancelante et un système financier au bord de l’implosion. Ou bien, dans le cas des États-Unis, un budget militaire de plus de 700 milliards de dollars par an, qui paraît bien excessif et difficile à justifier, surtout après s’être retiré d’Afghanistan.
La Russie amasse de l’or
Pendant les deux dernières décennies, des pays comme la France ou la Suisse se sont massivement débarrassés de leur or. À l’inverse, la Russie et la Chine ont amassé ce métal à un rythme sans précédent.
Beaucoup de pays occidentaux se débarrassent de leur or, tandis que la Russie et la Chine remplissent leur stock à toute vitesse. Source : l’IMF.
Par ailleurs, la Russie a la deuxième réserve d’or dans ses sous-sols au niveau mondial, juste derrière l’Australie.
Il est clair que la Russie a prévu de se protéger contre d’éventuelles sanctions grâce à son stock massif d’or. Sans surprise, les États-Unis tentent de bannir toute transaction impliquant de l’or avec la Russie. Le problème est que, contrairement à un système numérique avec lequel il suffit de cliquer sur un bouton, il est quasiment impossible de bannir les transactions en or. C’est un actif intraçable qui peut être échangé physiquement, fondu et transformé.
Valeur du rouble
Note préliminaire : SWIFT est un système électronique qui permet aux banques d’échanger de la monnaie dans le monde entier. L’essentiel du commerce mondial passe par là. À cause de son monopole, certains pays, comme la Russie, développent depuis quelques temps déjà des systèmes alternatifs. Par ailleurs, il est de notoriété publique que les Américains n’hésitent pas à tout faire pour siphonner les informations qui transitent par ce système… contre le terrorisme, bien sûr.
Les sanctions de l’Occident, y compris le bannissement de la Russie du réseau SWIFT, ont sérieusement affaibli le rouble. Pour la petite histoire, couper un pays entier de SWIFT est sans précédent. Des banques iraniennes ont subi ce genre de sanctions dans les affaires du nucléaire iranien, mais un tel ostracisme d’un pays entier n’a jamais eu lieu. Pourtant, cela n’a pas arrêté la guerre pour autant.
De plus, un autre de type de sanctions dont on parle peu proviennent des agences de notation. Elles ont baissé la note de la Russie, ce qui a pour effet d’augmenter les intérêts pour obtenir de la monnaie. C’est une sanction qui ne dit pas son nom, d’importance capitale, si je puis dire. Et elle vient exactement des mêmes acteurs occidentaux que les autres sanctions, puisque les agences de notation sont dirigées par les mêmes que les requins du système financier de toute façon.
En conséquence, la Russie est face à une menace de taille : l’effondrement possible du rouble. Ce pourrait être une bénédiction pour un pays croulant sous les dettes, mais ce n’est pas le cas de la Russie. La dépréciation du rouble signifie que la Russie risque d’avoir du mal à importer des produits à prix acceptable pour sa population.
Le levier de l’énergie
Malgré tout, en dépit du bannissement total de SWIFT, l’Allemagne a immédiatement levé la voix : hors de question de bannir les paiements pour le gaz russe, c’est une question de vie ou de mort pour les Allemands en plein hiver. Ainsi, tous les paiements sont suspendus, sauf ceux pour le gaz. Très pratique.
Au passage, cela laisse d’autant plus songeur. S’ils se préparaient à cette guerre depuis longtemps, pourquoi les Russes n’ont-ils pas attaqué l’Ukraine en novembre dernier ? Ils auraient eu une carte d’autant plus forte à jouer avec le gaz pendant tous les mois d’hiver. Par ailleurs, ils adorent le froid et ils auraient également pu utiliser le sol gelé pour déployer leurs tanks et autres véhicules par les champs plutôt que d’être coincés comme ils l’ont été sur les routes. Peut-être n’ont-ils pas eu le temps de peindre leurs chars en blanc ?
En tout cas, une chose est sûre : l’Union Européenne ne peut se passer totalement du gaz russe, c’est une question de survie. Certains experts affirment d’ailleurs que même le gaz américain ne peut être une alternative pour au moins les 10 prochaines années. L’infrastructure nécessaire, y compris les bateaux eux-mêmes, est massive. En effet, la totalité des bateaux gaziers dans le monde peut actuellement livrer environ un milliard de mètres cubes de gaz par an. L’UE en consomme 150 milliards par an.
Poutine est donc en train de tirer parti du talon d’Achille de l’Europe pour sauver le rouble. En d’autres termes, il dit clairement : vous voulez me mettre des sanctions, eh bien je vous propose un deal que vous ne pouvez pas refuser, et qui va annuler vos sanctions. Et du côté européen, on a déjà épuisé toutes nos cartouches.
Le pétrodollar
Pour rappel, depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, les hydrocarbures s’achètent uniquement en dollars. Les dollars accumulés par le vendeur s’appellent alors des « pétrodollars ». Aucun moyen de passer outre, et ceux qui ont essayé, comme Saddam Hussein ou Mouammar Khaddafi, ont rencontré… quelques problèmes « mineurs », menant à leur décès.
Mais les BRICS ne sont pas l’Irak ou la Libye. La Chine paie déjà une partie de son gaz à la Russie en petroyuan plutôt qu’en dollars depuis 2017. Pire encore, l’Arabie Saoudite, pourtant alliée de longue date aux États-Unis, déclare récemment qu’elle aussi est prête à accepter le petroyuan. C’est un véritable tremblement de terre géopolitique dont peu de monde parle.
En tout cas, la manœuvre de Poutine semble fonctionner, la chute du rouble a été arrêtée. En effet, si on se met à acheter du rouble afin de pouvoir acheter du gaz russe, cela augmente la demande, et donc la valeur, du rouble.
Dans le même temps, les dollars que tout le monde s’arrachait pour acheter des hydrocarbures perdent une partie de leur utilité, ce qui a évidemment un impact sur la valeur du dollar. Bien entendu, si on ne parle que du gaz russe, l’impact est négligeable. Mais si d’autres acteurs majeurs dans le monde se mettent à suivre la tendance et préférer d’autres monnaies pour échanger, les dollars actuellement en circulation vont retourner aux États-Unis, ce qui risque d’augmenter encore un peu plus la tendance inflationniste actuelle.
Les cryptomonnaies
En 2017, je prévenais déjà dans mon livre « La monnaie : ce qu’on ignore » que les Russes s’intéressaient de près aux cryptomonnaies. Typiquement, la Banque Centrale de la Fédération de Russie s’affaire à créer une monnaie digitale fédérale.
Évidemment, cette monnaie ne serait pas une cryptomonnaie décentralisée. La Russie est bien sûr opposée à des systèmes dont elle pourrait perdre le contrôle, au moins en partie.
Mais là encore, le principe de réalité prévaut : le Kremlin cherche à vendre son gaz coûte que coûte. Y compris avec des cryptomonnaies. Mais cela reste le privilège des pays « amis ». C’est une nouveauté, car les cryptomonnaies ont même été bannies un temps du sol russe.
La planche à billets
Mes lecteurs savent déjà que le nombre d’euros et de dollars en circulation a explosé de manière exponentielle ces dernières décennies. Typiquement, la masse monétaire en euros a doublé chaque décennies depuis sa création. Pas étonnant que l’inflation pointe finalement le bout de son nez !
Le rouble or
Depuis les réponses russes aux sanctions, les pays occidentaux n’ont plus le choix. Ils vont devoir payer leur gaz en roubles ou… en or. Et ce, à partir du 31 mars 2022. Ah, certes, des voix s’élèvent pour dire que les contrats sont clairs et qu’on ne peut les changer. On verra ce qu’on verra le jour où les Russes finiront par couper le gaz.
Mais ce n’est pas tout ! Par ailleurs, la banque centrale russe indique qu’elle est prête à acheter de l’or avec des roubles à un taux fixe. D’une certaine manière, cela revient à fixer un étalon or. C’est un message clair au monde que le rouble n’est pas comme les monnaies occidentales créées sur du vent.
La Russie semble donc vouloir faire un appel au retour de l’étalon or. Elle lance aussi un signal à tout investisseur que les sanctions peuvent être sans limite. L’Occident peut saisir tout ce qu’il a sous la main à tout instant et sous n’importe quel prétexte. Le message est clair : « Ne faites pas confiance aux banques occidentales, ne vous laissez pas impressionner par les marchés occidentaux extrêmement volatiles et qui peuvent s’évaporer en un instant ; non, pariez plutôt pour la valeur sûre qu’est l’or, ou bien même son équivalent, le rouble. »
Les étalons échouent toujours
Sur le court terme, on peut dire que ces actions peuvent payer, en particulier en réponse aux sanctions. En revanche, cela pourrait s’avérer néfaste sur le long terme.
Dans la culture populaire, il y a une vision manichéenne avec une vision en noir et blanc. D’un côté, des monnaies créées sur « du vent », sans valeur. De l’autre, des monnaies adossées à « du concret », typiquement de l’or. Malheureusement, l’histoire a montré que les étalons, en particulier sur l’or, sont particulièrement ravageurs.
Rappelons-nous ce qui est arrivé avec l’étalon or des dollars dans la deuxième moité du XXème siècle. Son abandon par Nixon en 1971 a causé les crises pétrolières des années 1970. Au XIXème siècle ainsi qu’au début du XXème siècle, les monnaies basées sur l’or ont causé beaucoup de misère dans les populations. Plus récemment, la chute du bolivar vénézuélien est due à un étalon fixé par le gouvernement entre le bolivar et le dollar.
Je pense que cette histoire de « 5000 roubles = 1 once d’or » est du grand spectacle. C’est un message au monde, un rappel cinglant que bâtir toute une économie sur de la dette est extrêmement risqué.
Une recette contre la guerre
Ceci est tiré d’un groupe constituant, et narré par Étienne Chouard. Ce dernier nous rappelle sans cesse qu’il est absurde de laisser les politiciens écrire le texte qui est censé les contrôler. C’est un peu comme désigner son chien comme gardien du sandwich. Désolé pour les chiens qui lisent cela, je sais que votre queue remue déjà.
Voici une recette simple pour éviter la guerre. Si tous les pays adoptaient cette règle, nous vivrions sans aucun doute dans un monde en paix.
Aucune guerre ne peut être déclarée sans un référendum ouvert.
Au cas où le « oui » l’emporterait pour la guerre, quiconque a répondu « oui » se voit attribué un fusil et doit aller au front illico. Aucune obligation pour quiconque a voté « non ».
Une fois que les premiers ont été tués, on refait un référendum pour savoir s’il y a de nouveaux volontaires pour continuer la guerre.
Pour beaucoup de Français, l’élection présidentielle est un moment fort et un symbole évident de la vivacité de la démocratie en France. Au premier abord, la théorie et les principes sont louables, paraissent tenir parfaitement debout.
Mais quelle est donc cette théorie ? Passons en revue ses principes de base.
D’abord, le peuple élit qui il veut. Il est souverain dans le choix de son chef. De toute évidence, il choisit quelqu’un qui a les qualifications, l’intelligence, le charisme, le panache même, pour endosser la fonction présidentielle. Cela ne peut pas être n’importe qui. Ainsi, il est bien normal que nous n’ayons pas de présidents ouvriers, machinistes, profs, serveuses ou serveurs, infirmières ou infirmiers. On appelle cela la « méritocratie ». Nous voulons les meilleurs, les plus capables, pour diriger le pays.
Il est donc parfaitement normal que tous les présidents aient une formation ad hoc. L’ENA. Science Po. Et de préférence un homme fort d’un certain âge, qui va en imposer et à qui on ne peut pas conter d’histoires. Au passage, la France n’a jamais eu de présidente. Jusqu’à maintenant.
Le peuple choisit l’individu qui brille le plus par sa carrure, et les mauvais présidents ne sont pas réélus, comme Sarkozy ou Hollande. Le chef est faillible, il sera écarté en cas de manquements aux prochaines élections.
Tout cela semble parfaitement logique.
Un goût amer
Il y a tout de même un hic. Il suffit de faire un petit sondage autour de soi pour s’en apercevoir. « La démocratie fonctionne-t-elle parfaitement ? Permet-elle d’éviter les inégalités ? Le Gouvernement élu met-il en œuvre tous les désirs des Français ? » En toute logique, il le devrait. Sinon il ne sera pas réélu. Et pourtant…
Une très récente enquête Ifop est plutôt parlante. Difficile de dire avec le graphique suivant que tout le monde est content :
Réponses de l’ensemble des Français à la question : « Diriez-vous qu’en France la démocratie fonctionne très bien, assez bien, pas très bien ou pas bien du tout ? » Source : IFOP
D’ailleurs, le taux de mécontents varie au cours du temps, ils étaient plus de 70 % en 2014 et 2016 !
Les réponses surprennent le plus souvent. Le constat d’échec est flagrant. Une large majorité semble avoir l’intuition qu’il y a quelque chose qui cloche. Pourquoi, alors, ne pas en changer ? La réponse, souvent sans appel, ne se fait pas attendre : « c’est le meilleur modèle qu’on connaît, donc il faut faire avec ».
Des échecs partout ailleurs
Cela rappelle trop toutes ces tentatives occidentales d’amener la « démocratie » un peu partout dans le monde. Avec sans cesse des effets particulièrement ravageurs, des pays transformés en ruines, politiquement et économiquement. Et ce malgré la tenue « d’élections démocratiques » dans les pays concernés.
Il semble que la « démocratie » telle que nous la concevons mène toujours aux mêmes dysfonctionnements. Partout, elle autorise des empires financiers à prendre le dessus. Les multinationales n’en font qu’une bouchée grâce à des lobbys toujours plus puissants. Elle court systématiquement après le petit voleur de pâtes pour quelques euros parce que le frigo est vide. En revanche, elle ne touche pas au milliardaire qui pourtant provoque des milliards de manque à gagner pour l’État en évasion fiscale et autres malversations, qui provoquent en retour inégalités, pauvreté, insécurité. Elle laisse en liberté les politiciens corrompus. Au lieu de rassembler les peuples, elle les divise, parfois très profondément. Elle s’attaque systématiquement à des problèmes secondaires, sans jamais régler l’essentiel.
Elle finit même par justifier des mesures extrêmement autoritaires dans certaines situations. Mais c’est pour notre bien, évidemment. Sous prétexte de « sécurité », d’anti-terrorisme. Ou bien « sanitaires ». Ou encore de « sauvegarde de l’emploi ». Malgré tout, on sent que le système est… perfectible, c’est le moins qu’on puisse dire !
Partout, le terme « démocratie » est associé à « élections ». D’ailleurs, on le confirme généralement par des expressions du type « On a les dirigeants qu’on mérite ». Mais est-ce bien ça, l’élection de « dirigeants », la démocratie ?
C’est quoi, une démocratie ?
Partons de la définition large du terme :
Régime politique dans lequel le peuple dispose du pouvoir souverain
Ainsi, c’est un régime politique où les décisions communes sont prises par le peuple.
Pourtant, aujourd’hui, ce n’est pas le peuple qui prend réellement les décisions. Ce sont ses « représentants élus ».
Ah. Nous sommes donc dans un « système représentatif », une République. Certains parlent de « démocratie représentative ». Pour qu’il s’agisse réellement de démocratie, il faudrait que le peuple ait le contrôle total sur ses représentants, ce qui n’est pas du tout le cas, comme nous allons le voir plus loin.
D’autres systèmes représentatifs…
Mais alors… en quoi est-ce que la France différerait-elle donc tant de la Russie ? En effet, la Russie a également un président élu, un gouvernement et des ministres, un parlement d’élus aux suffrage direct, la Douma. Cette dernière a d’ailleurs le pouvoir de contester les décisions gouvernementales. C’est une république fédérale, comme l’Allemagne. L’organisation est un peu différente des pays occidentaux, mais sur l’essentiel, cela revient strictement au même.
Même la Chine fonctionne sur un système parlementaire, avec des élections plus indirectes, mais cela ne change pas grand-chose, dans le fond.
Pour rappel, en France, le Gouvernement a aussi le droit de s’opposer à une loi votée par le Parlement. Il peut également forcer ses propres lois par le fameux mécanisme de l’article 49-3. Dans ces cas-là, le peuple n’a rien à dire, il devra patienter jusqu’aux prochaines élections s’il n’est pas content.
La corruption
Mais alors, pourquoi diable la Chine et la Russie seraient des dictatures et la France une démocratie ? Pour faire la distinction, on va s’appuyer sur d’autres critères, comme le degré de corruption. Évidemment, les gouvernants russes et chinois sont corrompus, les élections sont truquées, c’est en cela que ce sont des dictatures.
Pourtant, en terme de corruption, la France n’est certainement pas en reste ! Chacun de nos présidents a été mêlé de près ou de loin à des scandales. Parmi les élus, on ne compte plus les procès. Le Parlement vote régulièrement des lois qui favorisent les inégalités – où est donc l’égalité ? De la même manière, il bloque des lois qui pourtant serviraient le peuple. Par ailleurs, les parlementaires votent eux-mêmes à une large majorité leurs propres augmentations. Ce n’est pas le même refrain lorsqu’il faut augmenter le SMIC. N’est-ce pas du conflit d’intérêt majeur et parfaitement évident ?
Emmanuel Macron lui-même navigue dans des eaux peu claires. Il a vendu la sécurité nationale de la France aux Américains avec l’affaire Alstom. C’est également un maître manipulateur, comme on peut le constater dans l’affaire des journalistes du Monde. Au passage, il n’a rien à envier à un Poutine dans les tentatives de faire taire quiconque s’oppose à lui. Deux des épisodes de « Off Investigation » ont déjà été censurés par Youtube. La liste est bien trop longue. Alexandre Benalla, l’un de ses plus proches gardes du corps ayant commis d’innombrables fautes est totalement protégé par le pouvoir, quelles que soient ses exactions. Y compris en permettant à l’intéressé de vider son appartement de ses preuves avant son inspection par la police. On se croirait dans un mauvais scénario de dictature.
La liberté d’expression
Alors, très certainement, on peut aussi s’intéresser à un autre axe : la liberté d’expression. On peut dire qu’elle est mieux respectée en France qu’elle ne l’est en Russie ou en Chine. Il semblerait pourtant que c’est valable uniquement tant qu’il ne s’agit que de paroles. En d’autres termes, tant que c’est du blabla, nous pouvons toujours dire ce que nous voulons. Mais il ne faudrait pas que cela se traduise en actes.
Exemple criant : tous ces gilets jaunes qui se sont fait tirer comme des lapins, alors que la majorité ne représentait aucun danger. On ne compte plus les blessés, les éborgnés, les mains arrachées. Combien de mains arrachées en Russie ? Combien d’éborgnés ? Aucun, à ma connaissance. En Hollande, un manifestant est même abattu à balles réelles.
Et ceux qui dérangent vraiment l’ordre établi, comme les lanceurs d’alerte, sont persécutés. Stéphanie Gibaud, employée dans une banque, se retrouve dans une situation très précaire après avoir dénoncé des pratiques illégales de son employeur. Mais où est donc l’« État protecteur », garant des libertés et de la transparence ? La France n’a jamais offert l’asile politique à Julian Assange. Ni à Edward Snowden. Qui a été accueilli, ironie du sort, en Russie. Bien évidemment, il ne représente pas une menace pour l’État russe, même s’il en dénonce parfois les écarts.
On sent clairement le « deux poids, deux mesures ». La Russie et la Chine sont des dictatures et tout y va très mal. La France est une démocratie et tout va très bien, Mme la Marquise.
Museler les trouble-fête « à l’ancienne »…
Certes, Poutine a ses méthodes pour se débarrasser des journalistes ou politiciens. C’est un ancien du KGB, la vieille école. Une balle entre les yeux. Ou bien le si classique poison. Au mieux, l’emprisonnement.
Mais à moins d’être aveugle, il est loin d’être le seul. Nous avons également droit à ce genre d’épisodes dans les pays occidentaux. Ils sont certes un peu moins « flagrants ». On se rappelle trop facilement des disparitions assez curieuses de Coluche ou Balavoine, ainsi que Bérégovoy. Plus récemment, Bruno Gaccio a bien failli y passer aussi. Et ceux qui disparaissent en prison ne sont pas en reste. Comme par exemple récemment Jean-Luc Brunel en France et son alter ego Epstein aux États-Unis.
… et beaucoup plus simplement
Pourtant, il y a une recette extrêmement simple et efficace pour se débarrasser des voix « encombrantes » : les médias. Il suffit de virer tel journaliste ou animateur qui sort un peu trop du rang, voire le reléguer à un média « de seconde zone » où sa voix portera peu. Pour les autres, le simple fait qu’ils ne passent pas sur les grands médias les rend muets. Littéralement.
Patrick Sébastien. Natacha Polony. Les « guignols de l’info », supprimés. Frédéric Taddeï, obligé de passer sur RT pour avoir le droit d’inviter qui il veut dans son émission. Le monde à l’envers ! Et au pire, on demande à la justice de museler les plus gênants, comme Denis Robert avec l’affaire Clearstream. Là encore, la liste est trop longue.
Ce qui est vrai pour les temps de parole lors de l’élection présidentielle l’est évidemment pour tout le reste. Il faut et il suffit que les médias focalisent l’attention sur un sujet pour éviter de parler du reste. C’est digne des techniques de prestidigitation. Regarde bien ma main droite, et pendant ce temps, ma main gauche va chercher une balle dans ma poche. Et hop, le tour est joué.
Or, il se trouve que tous les principaux médias en France sont entre les mains d’une minorité, une dizaine de milliardaires. Et l’État, qui travaille pour son compte – ou plus exactement pour le compte des « Élus ». Eux-mêmes à la solde des milliardaires précités.
Le Président Providentiel
Dans mon roman, l’ascension au pouvoir du Président est justement due à une exposition accrue dans les médias. Cela aura pu paraître un peu tiré par les cheveux pour certains lecteurs.
C’est pourtant ce qui s’est passé avec Emmanuel Macron en 2017. Certes, il a été Ministre de l’Économie peu avant, mais il était quasiment inconnu des Français. Et ceux qui le connaissaient ne l’appréciaient pas forcément, ce qui peut se comprendre au vu de certaines mesures hallucinantes qu’il a prises. Comme par exemple le remplacement des trains par des bus… mesure qui a d’ailleurs subi un rétro-pédalage sous son mandat présidentiel. En 2010, il avait même proposé de supprimer la dissuasion nucléaire française, « pour faire des économies ». Heureusement, Jacques Attali était là pour le remettre à sa place.
Je n’aurais jamais imaginé un jour écrire une phrase faisant l’éloge de Jacques Attali !… qui l’eût cru ?
Dans les faits, n’importe quelle personne qui connaît un minimum les artifices de la rhétorique est présidentiable. De ce point de vue, Emmanuel Macron s’y connaît. Il a particulièrement appris cet art à la banque Rothschild, comme l’explique son directeur.
Ainsi, il est tout-à-fait réaliste que même un inconnu comme Pierre puisse se présenter et gagner les élections présidentielles. Il faut et il suffit qu’il soit adoubé par une dizaine de milliardaires.
Qui sont nos « représentants »?
Ce sont donc nos oligarques, au contrôle des médias, qui font et défont les présidents. Le peuple ne fait que suivre les candidats qui lui sont présentés, à hauteur de leur exposition dans les médias. À l’heure où j’écris cet article, le monde est une grande mosaïque d’oligarchies.
Oui, j’ai bien écrit « oligarchies ». Définition :
Gouvernement politique où l’autorité souveraine est entre les mains d’un petit nombre de personnes
Alors, en Russie, oui, sans doute. En Chine, aussi. Ah, en Corée du Nord, bien évidemment. Et puis, certainement d’autres états corrompus. Mais en France, sûrement pas, tout de même ?
Une caste dirigeante
Certes, les dirigeants ne se passent plus le pouvoir de père en fils comme le faisaient jadis les rois.
Dans les faits, les « représentants » en France forment une caste à part entière. Ils sont constitués d’individus au statut particulier : les politiciens. Ces gens font carrière en politique, leur fonction est de « représenter ». Ils ne savent rien faire d’autre. Et ils sont sélectionnés au sein d’un club bien privé. Club du Cercle. Young Leaders. Institut Montaigne. Il faut être introduit aux bons endroits et auprès des personnes les plus influentes. Et une fois élu, on voit mal celui qui a accédé à la fonction présidentielle trahir ceux-là mêmes qui l’ont fait élire.
Des élus « hors sol »
C’est là que le glissement sémantique entre « représentant » et « représentatif » s’effectue bien trop souvent dans les têtes. Justement, ces « représentants » ne sont en rien représentatifs de l’ensemble de la population pour laquelle ils sont censés être les porte-voix.
Ils ne l’ont d’ailleurs jamais été. Pendant la Révolution Française, lors des États Généraux, ce sont déjà principalement des notables qui représentent le Tiers État. À l’époque, cela pouvait éventuellement se justifier. Et encore. Le fait est que la majorité des membres du Tiers État était illettrée et aurait eu bien du mal à défendre ses propres intérêts face à des professionnels de la magouille juridique.
Le problème, c’est qu’un « représentant » qui n’a pas les mêmes intérêts que celui qu’il prétend défendre se trouve en conflit d’intérêts. Il est logiquement porté à défendre les idées favorables à son statut et à sa caste en général. Ces idées sont potentiellement totalement opposées à celles qui favoriseraient le peuple.
L’absence de contrôle
On pourrait éventuellement parler de démocratie si effectivement le peuple avait le pouvoir total sur ses représentants. Or, dans le système français actuel, il n’en est rien. Si un élu trahit le peuple, ce dernier n’a aucun moyen de recours. Impossible de révoquer un élu ni même une loi scélérate. Impossible de toucher à la Constitution pour y ajouter un peu de contrôle sur les élus. Le seul levier du peuple est d’attendre les prochaines élections.
Ce ne serait pas forcément catastrophique s’il s’agissait d’un cas isolé : il suffirait de voter pour un « bon » représentant la prochaine fois.
Mais lorsque c’est l’ensemble du corps des « représentants » qui trahit sans cesse, et qu’il n’y en a pas un pour rattraper l’autre, le peuple se trouve effectivement totalement impuissant. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’abstention augmente à chaque élection. À force d’être trahi de manière répétée, le peuple finit par comprendre qu’il ne sert à rien d’élire un pantin qui n’en fera qu’à sa tête, comme ses prédécesseurs.
Une large portion de citoyens comprennent que, en tant qu’électeurs, ils n’ont en réalité aucun pouvoir.
Le piège de l’élection présidentielle
En France comme ailleurs, les artifices permettant de perpétuer cette caste au pouvoir sont finalement très simples. La principale épine dans la « démocratie » est l’élection présidentielle elle-même ainsi que ses modalités.
J’entends déjà des voix qui protestent : « Pas du tout, c’est le peuple qui décide qui il élit ». Par ailleurs, l’élection est très contrôlée, avec l’Arcom (ancien CSA) qui veille au grain et le vote aux urnes est l’un des plus fiables au monde.
Aux États-Unis, la manière d’élire le Président est particulièrement tirée par les cheveux. Mais en France, nous votons directement pour nos dirigeants, et chaque bureau de vote est dûment contrôlé par tous les partis. Pour l’instant, pas de vote par correspondance, pas de vote électronique, il semble impossible de tricher.
Pourtant, nous allons voir que le système des élections en France est loin d’être neutre, en particulier celui de l’élection du Président de la République. Il est truffé de pièges, de subtilités qui peuvent aisément être exploitées pour faire voter le peuple « comme on le leur dira », comme disait Tocqueville.
Analysons ensemble ce système pour comprendre pourquoi depuis plus d’un demi-siècle, la France part à la dérive :
pertes de souveraineté, tant avec l’euro que la soumission à l’UE,
inégalités et insécurité grandissantes,
système de santé et infrastructures publiques qui tombent en ruine,
perte de résilience et dépendance accrue à des pays étrangers,
libertés de plus en plus bafouées sous divers prétextes,
etc.
Les tours de magie
L’élection présidentielle se déroule en plusieurs temps :
présélection de candidats : primaires,
obtention de soutiens municipaux,
premier tour,
deuxième tour.
Chacune de ces étapes est parsemée d’embûches. Et celles-ci rendent le beau tableau « le peuple souverain élit son président » un peu… terne.
Présélection de candidats
La logique des partis impose que chaque camp politique choisisse un représentant et un seul, pour avoir un peu de chance de faire le poids face aux autres partis. L’idée est de choisir celui qui fait le plus consensus. Au risque de choisir le plus gros moulin à vent qui ne propose rien pour éviter de froisser quiconque.
Par ailleurs, cette présélection est totalement livrée à l’imagination des différentes forces en puissance. Dans certains partis, c’est un leader auto-proclamé. Dans d’autres partis, c’est celui qui est désigné par ses pairs comme « le meilleur ». D’autres organisent des élections internes dont les modalités peuvent parfois être douteuses.
Dans la mesure où cette étape n’est pas encadrée, il n’est pas toujours facile de comprendre pourquoi et comment tel ou tel candidat a été mis en avant plus qu’un autre.
Déjà, très tôt dans le calendrier électoral, les médias ont une influence énorme. Évidemment, quiconque est mis en avant plus que les autres dans les médias a beaucoup plus de chances de l’emporter au sein de son propre parti que les autres.
À ce moment, l’Arcom, anciennement CSA, commence tout juste à comptabiliser les temps… pour rire. Dans la mesure où il n’y a pas encore de candidats « officiels », ça compte pour du beurre. Et pourtant…
Les parrainages
Être sélectionné au sein de son propre parti ne suffit pas. En effet, dans un monde sans filtre, on pourrait parfaitement imaginer avoir 500 candidats à la présidentielle. Cela rendrait l’organisation de la campagne à l’échelle nationale un peu complexe, sans aucun doute. Pour éviter d’avoir trop de candidats, ceux-ci doivent obtenir des promesses de soutien auprès des maires de France. Cela n’a pas toujours été le cas, pour avoir l’historique, c’est ici.
Cette mesure n’est toutefois pas anodine. En effet, elle détermine réellement le choix des « représentants » pour qui les électeurs vont ensuite pouvoir voter. Quiconque n’obtient pas les parrainages nécessaires n’aura plus aucune voix dans la campagne. Pire encore, le candidat déchu risque tout simplement de perdre en crédibilité pour le reste de sa carrière.
Divers paramètres entrent en jeu ici, qui ont subi des modifications aux impacts majeurs.
Première barrière officielle
Le premier levier pour mettre les bâtons dans les roues de candidats « non voulus » par l’oligarchie est tout simplement de demander un nombre assez grand de parrainages. Seuls les candidats parvenant à récolter suffisamment de parrainages ont alors une chance d’exposer leurs idées devant les Français. Les autres, tout comme les journalistes gênants, n’ont plus qu’à parler dans leur coin. Tant que leur voix ne porte pas, ils ne représentent aucun danger.
Pour résumer, le nombre de signatures nécessaires a augmenté progressivement. De 50 en 1958, elles sont passées à 100 puis à 500 en 1976.
Pour ajouter un peu de difficulté, il faut également que les parrainages proviennent d’un nombre suffisant de départements. Ceci évidemment pour éviter qu’un candidat ratisse les petits villages de sa région et soit totalement inconnu ailleurs.
Deuxième barrière officielle
Le nombre de signatures s’est avéré être une mesure insuffisante pour contenir le nombre de candidats – y compris les plus gênants. Une nouvelle mesure a été mise en place dès 1976, avec pour prétexte « la transparence de la démocratie ». Cette mesure est déterminante malgré son air innocent : il s’agit de publier les noms des soutiens pour chaque candidat.
Effets directs…
En apparence, 500 signatures peut paraître un nombre assez faible au regard du nombre de maires en France – plusieurs dizaines de milliers. Pour un maire, donner une signature n’a aucun impact personnel tant que cette signature reste anonyme. Or, dès que les noms des soutiens deviennent publics, les élus mettent leur tête en jeu. En effet, soutenir un candidat qui n’aura aucun poids peut avoir un impact négatif non négligeable sur la future carrière politique d’un élu.
C’est en particulier le cas pour les candidats des extrêmes. Si effectivement cela augmente la transparence, l’autre effet immédiat est de permettre de clouer publiquement au piloris les élus ayant soutenu des candidats jugés « extrémistes ».
Évidemment, le but recherché, limiter les candidats, est atteint. Les candidats les plus extrêmes ont beaucoup de mal à obtenir des soutiens. Il en va de même avec des candidats « loufoques » qui n’ont aucune chance. À la rigueur, cela peut se justifier dans ces cas-là. Malheureusement, cela va plus loin. En effet, pour un maire qui a été élu le plus souvent avec le soutien d’un parti politique, il est extrêmement difficile d’apporter un soutien à une voix dissonante. Bon courage pour la suite de sa carrière !
… et Effets de bord
De mon point de vue, cette mesure a favorisé la consolidation du Front National, en éliminant mécaniquement toute tentative de concurrence. Il semblerait toutefois que cette tactique ait échoué en 2022 : Marine Le Pen a maintenant deux adversaires qui vont lui « voler » des voix : Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan. Il n’est d’ailleurs du coup pas étonnant que Florian Philippot ait fait un « flop » en terme de signatures…
De la même manière, de l’autre côté du spectre, Jean-Luc Mélenchon se retrouve avec trois épines dans le pied, même s’ils « pèsent » moins que leurs équivalents à droite : Nathalie Arthaud, Philippe Poutou et Fabien Roussel. On notera d’ailleurs que Christiane Taubira, qui aurait également pu faire de l’ombre à gauche, est loin d’avoir obtenu ses 500 signatures malgré une couverture médiatique correcte.
Le paramètre caché
Tout cela semble bien beau et logique. Pourtant, il existe un paramètre invisible qui détermine tout.
Comment un candidat se fait-il connaître ? Par les médias, évidemment. Ainsi, un candidat totalement inconnu qui se présente comme une fleur a-t-il une chance d’obtenir ces parrainages ? Étudions le nombre de parrainages en fonction du temps d’antenne dans la période de récolte des signatures :
Nombre de parrainages en fonction du temps de parole du candidat et de ses soutiens (échelles logarithmiques, temps en secondes). En-dessous de 3h d’exposition dans les médias, les candidats n’ont aucune chance d’obtenir les 500 parrainages nécessaires. Sources : Arcom et Conseil Constitutionnel
Le constat est très clair : le nombre de parrainages est proportionnel au temps d’exposition du candidat et de ses soutiens.
Ce n’est pas une règle absolue, car on voit qu’il y a une zone d’indécision entre 10.000 secondes (environ 3 heures) et 100.000 secondes (30 heures) où certains candidats peuvent tirer leur épingle du jeu. Cela peut être dû à leur ancienneté en politique, à un programme axé sur un sujet absent chez les autres candidats, ou bien à leur réelle popularité. D’autres s’en sortent moins bien dans cette zone.
En-dessous de 3 heures, il est clairement impossible d’obtenir les 500 parrainages nécessaires. Et au-delà de 30 heures, les 500 parrainages sont garantis. Bien sûr, cela peut rester tendu pour certains candidats, en particulier aux extrêmes, à cause de la publication des parrainages.
Une mesure farfelue qui en cache une autre
Ainsi, cette histoire de signatures est totalement grotesque. Et surtout, extrêmement hypocrite. Pour être transparent, il suffirait de mettre le critère suivant : obtenir 30h d’exposition dans les médias en janvier et février. Ce serait peut-être choquant pour le public, mais cela refléterait beaucoup plus la réalité.
Du coup, le constat est un peu effrayant. Dans notre « démocratie », ne peuvent se présenter à la Présidence de la République que les candidats ayant le soutien des milliardaires qui possèdent les médias. Ceux-ci font donc une présélection, sans que jamais cette règle ne soit écrite.
Par ailleurs, une partie des médias sont possédés par l’État. On pourrait se dire que eux, au moins, donneraient une audience aux « sans voix ». Il faut pourtant se rendre à l’évidence, les médias d’état filtrent tout autant. À croire que les donneurs d’ordre sont finalement exactement de la même caste dans le public et dans le privé.
Du coup, le CSA peut s’amuser à jouer au gendarme jusqu’à l’élection présidentielle. C’est totalement inutile, dans la mesure où les seuls candidats retenus à ce stade sont déjà ceux qui ont les faveurs des médias. Il est déjà trop tard, toutes les voix dissidentes ont déjà été éliminées.
Le piège du premier tour
L’élection présidentielle se joue actuellement à deux tours. Au premier tour, chaque votant choisit un candidat et un seul. Il y a un choix assez large dans le spectre politique. Pourtant, certains candidats se ressemblent fortement.
Des galaxies…
En 2022, je crois que nous n’avons jamais eu autant de clones qui se présentent. Certains thèmes sont décidément sur-représentés par les candidats qui ont tiré leur épingle du jeu.
Les galaxies :
Macron et son clone féminin Pécresse dont la médiocrité criante porterait presque à sourire si elle n’était pas celle ayant bénéficié de la plus grande exposition médiatique jusqu’à présent,
Le Pen et son clone Zemmour, ainsi que Dupont-Aignan dans une ligne légèrement moins dure,
Mélenchon et les communistes à sa suite (Arthaud, Poutou, Roussel),
Hidalgo et son ombre Jadot sur un fond de toile vert et bordeaux,
le seul rescapé de la purge médiatique, Lassalle…
Au passage, les médias continuent impunément leur sélection arbitraire, en n’invitant pas par exemple Jean Lassalle dans la plupart des émissions. « Ah, mais de toute façon c’est un clown qui fera à peine 1 % ». Petite question : est-ce qu’il fait 1 % parce qu’il n’est pas présenté dans les médias, ou bien est-ce qu’il n’est pas présenté dans les médias parce qu’il est annoncé dans les sondages à 1 % ? Une histoire de poule et d’œuf…
… et du vide
À l’inverse, certains pans majeurs des préoccupations des Français ne sont pas du tout représentés.
Les sujets favoris des Français…
Une étude de France Bleu s’est intéressée aux propositions citoyennes des Français et en a tiré les principales préoccupations. En toute première position vient la « démocratie », ce qui inclut la transparence de la vie publique, mais aussi la relocalisation de nos industries et la souveraineté de la France.
Or, la plupart de ces préoccupations sont maintenant absentes des propositions des candidats qui ont été présélectionnés par les médias.
Le vide :
les questions de transparence des élus, restaurer la confiance dans la politique, tout cela est totalement absent des débats, même Macron, qui avait hypocritement axé sa campagne de 2017 sur le sujet, n’en parle plus,
le RIC, avec Clara Egger largement sous-exposée dans les médias, alors que le RIC est plébiscité par une très large majorité de Français, souvent à plus de 70 %, cela été montré par tous les sondages sur le sujet… et la seule candidate portant le projet a bénéficié de 20 minutes d’antenne en tout et pour tout en janvier et février, évidemment très loin des 3 heures fatidiques…
la santé, le système de soins et les infrastructures publiques sont totalement absents des débats,
l’écologie, dont on ne peut pas vraiment dire qu’elle soit représentée par des candidats pastiches comme Hidalgo ou Jadot… l’écologie devrait d’ailleurs être au cœur des programmes de tous les candidats, mais c’est une autre affaire,
la souveraineté nationale avec Asselineau, le seul à avoir une ligne claire sur la sortie de l’UE et de l’OTAN, accompagné d’analyses géopolitiques très justes… Lassalle ne fait clairement pas le poids dans le domaine, Dupont-Aignan en parle mais n’est pas aussi précis – on peut douter qu’il sortirait réellement de l’UE – et il n’est de toute façon jamais présent dans les médias,
les gilets jaunes, qui avaient pourtant plusieurs candidats et qui représentent une portion importante de la population,
les restrictions de libertés ont fait couler beaucoup d’encre lors de la crise de la covid, mais on n’en entend plus beaucoup parler à moins de 2 mois de l’élection…
L’omerta
Évidemment, d’autres sujets capitaux dont peu de gens se soucient et qui n’apparaissent jamais dans les médias font l’objet d’une censure absolue.
Par exemple, le silence est assourdissant sur les réseaux pédocriminels, qui impliquent très vraisemblablement de hauts responsables politiques. Et ce, malgré de nombreuses tentatives de Karl Zéro pour remettre le sujet sur la table. Comme pour les autres, il suffit qu’il ne passe pas dans les grands médias pour le faire taire. Aucunement besoin de poison…
Évidemment, personne ne parle jamais de création monétaire. C’est pourtant le sujet le plus essentiel. En effet, c’est elle qui permet de financer les projets présentés par les candidats. Un projet sans réfléchir à son financement est par avance mort-né. Pourtant, absolument personne ne remet en cause la création monétaire par les banques privées. Ainsi, tout le monde est de facto d’accord pour que ce soit les banques qui décident des projets qui verront réellement le jour. Et ce, quel que soit le candidat qui gagnera l’élection.
Les sujets phares
Les médias ne se contentent pas de mettre en avant des candidats. Ils ont également une influence déterminante dans le façonnement de l’opinion publique en général. En mettant en avant certains sujets plutôt que d’autres, ils tournent les têtes vers tel ou tel sujet. Et bien sûr, ils vont tourner les têtes vers les sujets qui les arrangent.
En période électorale, c’est d’autant plus crucial que chaque candidat a un certain nombre de sujets de prédilection. Ainsi, multiplier les reportages sur l’insécurité, par exemple, fait mécaniquement le jeu de l’extrême droite, sans jamais mentionner leurs candidats. Cela n’est évidemment pas pris en compte par l’Arcom (ex-CSA).
Parler d’un sujet n’est d’ailleurs pas suffisant. La manière dont le sujet est traité est également primordiale. Par exemple, cet article de l’Express – propriété de Patrick Drahi… – sur le RIC qui traite le sujet de manière plutôt… orientée. C’est le moins qu’on puisse dire. Évidemment, nos chers milliardaires seraient un peu embarrassés si le peuple pouvait obtenir un peu plus de pouvoir.
Non, les médias ne doivent surtout pas parler des sujets qui rassemblent. Au contraire, ils doivent absolument diviser, se faire caisses de résonances des fractures sociales, monter les gens les uns contre les autres. C’est là tout le pouvoir de l’élection de « partis ».
Préparer l’opinion
Les prophéties
Les gens de pouvoir aiment les prophéties. En 2014, Jacques Attali indiquait nonchalamment que Macron, « un garçon très brillant », était un bon élève « présidentiable ». Ce à quoi il a rajouté en riant : « J’irais même plus loin. Je crois que je connais celle qui viendra après lui ».
Or, il se trouve que Valérie Pécresse est passée comme Macron par le cursus des « Young Leaders », ces « talents présidentiables » recrutés par les élites. Et elle est celle qui a effectivement la plus grande exposition médiatique depuis janvier lorsqu’on compte également ses soutiens… On voit une sorte de trame bien ficelée se dérouler sous nos yeux.
Les sondages
Les sondages d’opinion, pour l’essentiel eux-aussi financés par exactement les mêmes qui possèdent les médias, sont un autre instrument, une autre maille du filet présidentiel. En effet, s’ils sont censés recueillir l’opinion du moment, ils forgent également l’opinion future. Ils sont consultés par une large portion de la population, et permettent aux hésitants de faire un choix final. Or, dans la présidentielle, il suffit de quelques petits pourcents, quelques centaines de milliers de votes, pour tout faire basculer.
Bien sûr, lorsqu’Attali lâche une bombe en direct en indiquant les futurs présidents, il fait une prophétie. Mais les sondages, en manipulant l’opinion, vont plus loin puisqu’ils influencent à grande échelle le cours de l’histoire. Ils font des prophéties auto-réalisatrices.
Le « vote utile »
Les sondages sont particulièrement influents lors du premier tour de l’élection présidentielle. En effet, chaque votant ne peut choisir qu’un seul candidat. Peu importe ses préférences pour les autres candidats, il n’a droit qu’à un seul. Ainsi, un votant « de droite » a le choix entre Macron et Pécresse. Am-stram-gram. De même, le votant « de gauche » a un peu l’embarras du choix cette année.
Bien évidemment, les inconditionnels de tel ou tel candidat ne vont probablement pas changer d’avis à cause d’un sondage. Seuls les indécis sont malléables. Mais dans le cas d’un duel équilibré, ce sont bien ces derniers qui ont le dernier mot.
Au premier tour, les électeurs sont priés de ne pas « gaspiller » leur vote pour un candidat « qui n’a aucune chance ». Ainsi, plutôt que de voter en fonction de leurs opinions, ils vont voter pour un candidat « qui leur déplaît le moins » parce qu’il a plus de chances de l’emporter… selon les sondages. Curieuse manière de choisir un président !
Le piège du deuxième tour
Une fois le premier tour terminé, il ne reste que deux candidats en lice. Inutile de dire que, pour la majorité des Français, il s’agira d’une déception. En effet, ces deux candidats réunissent généralement à eux deux environ 40 % des suffrages au premier tour, même pas la majorité. 60 % des Français sont des laissés-pour-compte.
La confusion
Cette fois, ce système provoque une confusion tant au sein des partis qui n’ont pas gagné que dans la tête des électeurs. Eh oui, les chefs des différents partis perdants donnent alors des « conseils de vote » à leurs troupes. Généralement, ils se prennent des volées de bois vert quel que soit leur choix. Au pire, ils courent à droite et à gauche, faisant des alliances sans queue ni tête, avec l’espoir de se faire des amis dans le camp gagnant pour les 5 années à venir. Et ils n’ont qu’une seule semaine pour sceller ces alliances, autant dire qu’on assiste à un bal des plus comiques.
Certains se compromettent pour longtemps en faisant alliance avec des candidats sans en mesurer les conséquences. Nicolas Dupont-Aignan s’est ainsi « grillé », pour ainsi dire, en négociant un futur poste de ministre avec Marine Le Pen lors des élections de 2017. Beaucoup l’ont abandonné alors – et s’en rappellent encore aujourd’hui.
Pour les électeurs, la situation n’est pas bien meilleure. Malgré tout, généralement il y a un candidat « de droite » et un « de gauche », et la France coupée en deux se rabat vers celui vers lequel elle penche le plus. Mais toujours en faisant des compromis scabreux, pour ne pas dire des compromissions. Dans tous les cas, beaucoup vont au bureau de vote à reculons.
Voter « contre »
Et puis, il y a les cas un peu particuliers comme en 2017, avec Emmanuel Macron d’un côté et Marine Le Pen de l’autre. Exactement la même situation qu’en 2002 avec le duel Chirac – Le Pen. Tout le monde crie alors au « barrage contre le fascisme ». Il semblerait en l’occurrence qu’en 2017, il n’y avait pas tant de différences que ça entre les deux candidats.
Pour rappel, Macron a quelques casseroles avec des remarques racistes que même la « fasciste » de service n’aurait probablement pas osé proférer en public. Par ailleurs, il ne s’est pas privé de jouer à l’autocrate en matant toute révolte plutôt que de négocier avec le peuple. Non, je n’appelle pas à voter Marine ! Je fais simplement un constat des faits. Un fascisme peut en cacher un autre.
Dans tous les cas, cette situation amène une grande majorité à « voter contre » le candidat « à bloquer », plutôt que « pour » la personne qui va prendre toutes les décisions à votre place pour votre pays pendant les cinq prochaines années. Alors, un communiste va préférer voter à droite que de laisser passer le fascisme. Bravo la démocratie ! De qui se moque-t-on ?
Il serait amusant d’assister à un duel Le Pen – Zemmour au deuxième tour cette année, cela pourrait être sacrément comique ! Le pire étant que c’est parfaitement possible statistiquement.
Les contrôles des votes
Dans beaucoup de pays, on peut douter de l’exactitude des résultats. En effet, il est possible de tricher sur le nombre de votes pour tel ou tel candidat à beaucoup de niveaux.
Le bureau de vote
En France, la partie la plus proche des citoyens, le bureau de vote, est très contrôlé. En particulier, ceux qui dépouillent sont de partis différents et se surveillent mutuellement. C’est une fierté française, car cela limite l’un des modes de fraude électorale les plus simples : le « bourrage » d’urnes. En effet, lorsque de multiples yeux sont braqués en permanence vers l’urne et les petites enveloppes, difficile d’en substituer une large portion par de faux votes.
Un autre élément essentiel est l’isoloir, qui permet d’enlever toute pression des pairs au moment du vote.
En France, on estime généralement qu’il est difficile de tricher, tout simplement parce que la partie la plus visible, le bureau de vote, est jugé « très sûr ». Mais on oublie trop souvent que le bureau de vote n’est qu’un petit maillon de la chaîne électorale.
Préparer l’opinion
Or, la fraude ne commence pas du tout avec le vote lui-même. Elle peut être préparée par de multiples moyens bien avant.
On a déjà vu que la propagande médiatique et les sondages sont des instruments essentiels de fraude forge de l’opinion. Avec les nouvelles technologies, d’autres outils émergent pour manipuler encore davantage le public.
Des entreprises comme Facebook ou Google ont un poids grandissant dans la fabrique des avis populaires. Un lanceur d’alertes a par exemple prévenu que Google changeait les résultats de recherche pour manipuler l’élection aux États-Unis. De la même manière, Facebook peut parfaitement favoriser certains contenus pour soutenir tel ou tel candidat.
D’autre part, les réseaux sociaux sont devenus un outil formidable pour récolter des informations sur les électeurs. Facebook affirme qu’il suffit à un utilisateur de laisser plus de 70 « likes » pour le connaître mieux que ses amis. Avec 300 « likes » ou plus, Facebook le connaît encore mieux que son conjoint, voire mieux qu’il ne se connaît lui-même !
On sait alors quels quartiers d’une ville seront plus susceptibles de changer d’opinion lors d’une campagne de porte-à-porte, ou encore d’appels téléphoniques. Emmanuel Macron a fait appel pour sa campagne de 2017 à un cabinet spécialisé dans le domaine : SelfContact.
Faux électeurs, procurations…
En plus des techniques de manipulation de l’opinion, la triche reste parfaitement possible, en particulier en amont de la chaîne. Cela peut se faire en ajoutant de faux électeurs à la liste électorale comme les morts ou même des personnes imaginaires, utiliser des procurations pour faire voter des non votants, etc. On peut même acheter des votes auprès de populations peu regardantes sur l’éthique et en manque de monnaie…
En 2017, beaucoup d’électeurs se sont vus radiés des listes sans aucune notification préalable. On parle là de dizaines de milliers d’électeurs. Des mauvaises langues murmurent qu’il s’agissait d’une purge pour diminuer les chiffres de l’abstention. Par ailleurs, certains électeurs ont parfois la possibilité de voter deux fois… on parle d’environ 500.000 doublons en 2017.
Les référendums
Le référendum, où il ne s’agit pas de voter pour une personne, mais pour un sujet, est un peu à part. En effet, la question posée lors d’un référendum est particulièrement importante car elle peut induire psychologiquement les indécis à pencher d’un côté ou de l’autre de la balance.
Un contre-exemple flagrant est le vote de ralliement de l’Autriche au Troisième Reich en 1938 :
Alors, 𝕵𝖆 ou 𝔑𝔢𝔦𝔫 – avec le pistolet sur la tempe -, mon cœur balance. Sans surprise, le résultat a été 99 % de « oui ».
Mais il y a plus subtil. Par exemple, lors du référendum sur le Brexit au Royaume Uni, une commission a écrit un document de 53 pages pour expliquer qu’il fallait changer la question envisagée. La question d’origine était :
Le Royaume Uni doit-il rester membre de l’Union Européenne ?
Après modification, la question a été changée en :
Le Royaume Uni doit-il rester membre de l’Union Européenne, ou bien quitter l’Union Européenne ?
Au passage, même la deuxième formulation n’est pas totalement neutre à cause du placement des deux possibilités. Qui sait, lorsque le score est extrêmement serré dans l’opinion entre les deux options, l’ordre peut avoir un effet décisif.
On pourrait parfaitement imaginer imprimer la moitié des bulletins avec une formulation et l’autre avec la formulation inversée… mais cela poserait des problèmes d’erreurs au dépouillement.
Les médias et les questions
Pourquoi mentionner les questions lors des référendums alors que cet article parle de l’élection présidentielle ? Tout simplement parce que, lors de leurs passages dans les médias, les candidats sont soumis à des questions de la part des animateurs et journalistes.
Évidemment, certaines techniques simples peuvent décrédibiliser un candidat. Par exemple, lui poser des questions totalement à côté de ses sujets favoris ou du fer de lance de sa campagne. Orienter les questions de manière à ce que ses réponses attendues paraissent loufoque. Ne pas lui laisser le temps d’expliquer pourquoi ses réponses diffèrent de ce que l’on attendait. Tout l’arsenal de manipulation est à disposition. À lire impérativement sur le sujet « L’art d’avoir toujours raison » de Schopenhauer.
L’après…
Autant le bureau de vote en France est extrêmement contrôlé, autant la suite de la chaîne est assez opaque. Il n’y a en tout cas quasiment jamais de communication dessus. C’est « de la technique », qu’on laisse aux experts. Tout cela est ensuite publié en accès libre sur le portail gouvernemental.
Chacun est invité par exemple à vérifier que les résultats présentés en préfecture, qui sont des agrégés des résultats des différents bureaux de votes, correspondent bien à ce qui est attendu. Mais qui le fait vraiment ? Des anomalies sont souvent relevées par des voix, mais ces voix ne portent jamais. Là encore, pas besoin d’une balle dans la tête.
Les moyens alternatifs
Les choses se compliquent encore davantage lorsqu’on autorise le vote à distance par courrier. Hors des clous des bureaux de vote hyper contrôlés, la fraude peut exploser tranquillement.
Quant au vote électronique, à moins d’avoir un système dont le code source est publié et vérifiable, il y a toujours des tas de moyens de tricher. Les États-Unis sont devenus assez connus pour le flou entourant le vote électronique, avec des soupçons de fraude massive quasiment à chaque élection.
Conclusion sur le système actuel
Ce sont les médias qui sélectionnent les candidats finalistes lors de la campagne. En fonction de leur popularité auprès des différents médias, chaque candidat est également passé par un filtre plus ou moins positif et avec une exposition différente. Nos « élus » sont donc choisis, sélectionnés, filtrés, et finalement élus, par 10 milliardaires.
Les instances censées veiller à l’égalité des temps de parole dans les médias, les seules à pouvoir éventuellement rétablir l’équilibre, ne sont que des coquilles vides. Plus exactement, elles sont des hochets que les « démocrates » peuvent brandir à tout moment pour indiquer que tout va pour le mieux.
Clara Egger représente un projet plébiscité par plus de 70 % des Français, le Référendum d’Initiative Citoyenne. On peut difficilement en dire autant de toutes les autres mesures portées par les candidats en lice. Mais le RIC signifierait une perte énorme de pouvoir pour les oligarques français. Il serait totalement inadmissible pour ces derniers que le RIC entre dans les débats lors de la campagne présidentielle. Ainsi, il est très facile pour eux d’éliminer de telles voix dangereuses dès le départ.
Mais cela ne s’arrête pas là. Une fois élu, le peuple n’a absolument aucun moyen de lutter contre les décisions prises par cette personne qui ne représente qu’une petite fraction de la population.
Le peuple n’a aucun pouvoir
Rectifions. Les élus « représentent » le peuple sur le papier, mais dans la réalité, le Président prend des décisions qui l’arrangent… ou qui arrangent ses amis. Il prend toute action qui bénéficie au cercle de ceux qui l’ont élu. Car il sait parfaitement que ce n’est pas le peuple qui l’a choisi. Ce sont les médias. Et il sait qu’il en sera de même aux prochaines élections.
Emmanuel Macron, avec moins de 30 % d’approbation dans la population au cœur de son mandat, de l’aveu même des sondages payés par ses propres amis, ose même se représenter à l’élection, avec une exposition médiatique conséquente. Où est la représentativité ? En réalité il a été élu au premier tour en 2017 avec 28 % des voix. Et forcément pas beaucoup plus au deuxième tour en réalité. Non seulement il n’est pas représentatif des Français, mais il ne représente même pas un tiers d’entre eux.
Le peuple n’a qu’à se taire. Ah, évidemment, il peut parler. Le bla-bla n’est jamais vraiment dangereux s’il n’est pas accompagné d’actes concrets. Et si les plus exaspérés daignent montrer un peu les crocs, les milices armées du Gouvernement leur règlent violemment leur compte. Comme disait Guillemin : « Silence aux pauvres ! À la niche, une bonne fois, les gens de rien !»
Les alternatives
Critiquer sans proposer de solution est rarement constructif.
La critique est toutefois nécessaire pour que nous ayons conscience de la réalité. Pourquoi donc chercher des alternatives à ce qui serait déjà parfait ? Comprendre les limites et les failles de l’existant est d’autant plus important que cela évite de reproduire nos erreurs.
Dans le cas particulier de l’élection présidentielle, il y a tellement de facteurs à revoir que la tâche semble bien ardue. Voyons quelques améliorations que l’on pourrait envisager. Il y en a d’autres, mais j’ai retenu ici les principales, par ordre croissant d’impact.
Prendre en compte les votes blancs
Avec le système actuel, les votes blancs, ainsi que l’abstention, ne comptent pas pour obtenir la « majorité absolue ». Ainsi, en théorie, si seulement un seul Français se rendait aux urnes le jour de l’élection et votait pour le candidat X, le soir même tous les médias reprendraient en chœur que le candidat X a été élu avec 100 % des voix. C’est totalement absurde !
L’abstention est comptabilisée, mais est totalement ignorée ensuite par les médias lors de l’annonce des résultats. Dans tous les cas, elle ne change strictement rien concrètement. Il en va de même aujourd’hui pour les votes blanc. Ils sont comptabilisés, mais ils n’interviennent pas pour calculer la majorité.
Il faudrait impérativement, en considérant que l’on garde le système actuel, avoir un quorum sur l’élection, en prenant en compte les votes blancs. Et de mon point de vue, l’abstention également. Dans le cas où la majorité absolue ne serait pas atteinte, il faudrait refaire une élection complète en repartant à zéro. Et évidemment, aucun candidat s’étant présenté au premier passage n’aurait le droit de se représenter. Eh oui, tous ces candidats ont en réalité été rejetés par les électeurs, qui n’ont pas voulu d’eux. Cela changerait totalement la donne. Il faudrait d’ailleurs faire de même lors des autres élections.
Un changement mineur…
Prendre en compte les votes blancs avec un quorum serait totalement insuffisant pour rendre réellement le pouvoir au peuple. Malgré tout, un changement en apparence aussi mineur aurait un impact significatif sur tout le processus de l’élection. En effet, imaginons un instant qu’en 2017 il ait été appliqué.
Voici le résultat du vote au deuxième tour tel qu’il nous a été présenté dans tous les médias :
Résultat du 2ème tour de l’élection présidentielle de 2017, sans tenir compte de l’abstention ni des votes blancs et nuls.
… aux conséquences majeures
Mais le tableau est totalement différent lorsqu’on considère l’abstention ainsi que les votes blancs et nuls :
Résultat du deuxième tour de l’élection présidentielle de 2017 en prenant en compte l’abstention ainsi que les bulletins blancs et nuls.
En réalité, Emmanuel Macron n’a pas du tout obtenu la majorité des votes de l’ensemble du corps électoral. Bien sûr, on peut arguer que les abstentionnistes n’avaient qu’à aller voter. Imaginons un instant que le vote blanc soit en réalité comptabilisé dans les résultats finaux. Imaginons également que les abstentionnistes aient tous voté blanc, ce qui ne serait pas si farfelu. L’élection aurait été invalidée car aucun des deux candidats n’auraient atteint les 50 % nécessaires.
Poussons le raisonnement plus loin. En effet, la grande majorité de ceux qui ont voté pour Emmanuel Macron n’ont en réalité pas voté « pour » lui, mais « contre » Marine Le Pen. Mais si les votes blancs comptaient réellement, la logique de ces électeurs auraient été différente. Plutôt que de voter « contre », ils auraient voté blanc, s’assurant de toute façon que Marine Le Pen n’aurait pas obtenu non plus les 50 % nécessaires.
Ce simple changement aurait pu invalider l’élection. Et s’il avait fallu tout recommencer, cette fois avec des candidats différents ?
Appliquer la parité des temps de parole
Il ne s’agit pas ici de présenter une idée totalement folle, une nouveauté disruptive, une mesure scandaleuse. Mais seulement de respecter réellement ce qui nous est présenté comme ce qui existe déjà.
Bien évidemment, les temps de parole devraient être respectés à stricte égalité de temps. La règle actuelle qui est censée se baser sur le « poids » d’un candidat est biaisée et inapplicable, surtout pour les candidats qui n’ont jamais été présents. Non, il faut laisser la parole à chacun, à égalité. Les gens, et les maires en tout premier lieu, se rendront vite compte des candidats loufoques.
Il y a fort à gager que si Clara Egger avait eu le même temps de parole qu’Éric Zemmour, elle avait toutes ses chances d’obtenir ses parrainages. Les maires ont tout à gagner avec le RIC, car les citoyens sont généralement plus proches de leur maire que du Président de la République. Ils exigeraient plus de pouvoir pour les maires, se battraient pour les zones rurales oubliées, demanderaient des lois et des mesures pour relocaliser et redonner des moyens aux communes. Il me semble qu’il s’agit là d’évidences.
Changer le mode de scrutin
Une autre mesure simple pourrait être mise en place, qui permettrait d’être beaucoup plus « juste » : se débarrasser du système de majorité absolue à deux tours. En effet, le système à deux tours provoque comme on l’a vu des attitudes totalement contre-productives, tant au niveau des électeurs que des partis : vote utile, alliances contre nature, vote de barrage, etc.
Il existe une alternative simple, qui respecte les choix de chacun : le jugement majoritaire. Pour comprendre de quoi il s’agit, cette vidéo l’explique en 3 minutes :
Pour ceux qui veulent aller plus loin, je ne peux que conseiller cette vidéo :
Ce serait un changement assez simple à mettre en œuvre, finalement. Par ailleurs, il n’y aurait pas deux tours à faire ce qui simplifierait les choses pour tout le monde.
Il y a également d’autres systèmes, comme le scrutin de Condorcet randomisé. Le jugement majoritaire a l’avantage d’être extrêmement simple à comprendre, et résout déjà les principaux problèmes du système actuel. Alors, qu’est-ce qu’on attend ?
Le RIC
Le RIC permet d’introduire le ver dans la pomme, sans pour autant changer toute la pomme. Avec un RIC en toutes matières, il devient possible de :
proposer des nouvelles lois en faveur de la population et plus seulement des élites,
supprimer ou modifier des lois qui vont à l’encontre des intérêts du peuple,
modifier la Constitution pour rendre petit-à-petit, article après article, le pouvoir au peuple dans tous les pans de l’exercice du pouvoir,
révoquer un élu qui aurait trahi le peuple,
contrôler les médias et l’information en général, au lieu de laisser une poignée d’oligarques nous dicter leurs volontés,
etc.
À terme, le RIC permettrait de totalement réformer les institutions, car il serait facile pour le peuple de faire voter des lois ou des changements dans la Constitution qui éroderait progressivement le pouvoir tout-puissant des élus. Supprimer les pantouflages. Enfin lutter contre l’évasion fiscale. Relocaliser nos industries. Et surtout, augmenter le contrôle citoyen contre la corruption et les abus des élus.
Conclusion
Loin d’être une démocratie, la France est une oligarchie.
L’élection présidentielle est tout sauf démocratique. Elle est manipulable à souhait par les puissants. Dans les faits, ce sont les quelques oligarques possédant les médias qui élisent le nouveau président, trié sur le volet parmi un panel de « présidentiables acceptables ». De fait, le nouvel élu n’a aucune marge de manœuvre : il doit suivre les lignes directrices de ses bienfaiteurs.
Pire encore, une fois élu, le Président a les pleins pouvoirs pendant 5 ans. Quelles que soient ses décisions, le peuple est totalement impuissant. Au cas où il se soulèverait, la seule réponse est la répression violente.
Il existe pourtant des solutions simples pour rendre tout cela un peu plus « démocratique ». Si le peuple avait ne serait-ce même qu’un tout petit peu de pouvoir, le RIC, plébiscité par une très large majorité de Français, aurait été mis en place il y a belle lurette. Preuve s’il en fallait encore une que nous ne sommes pas du tout en démocratie.
Post-scriptum
Ce texte clairement à charge contre l’élection présidentielle n’est pas une invitation à l’abstention ou au vote blanc. Je ne fais que présenter l’état des choses. À chacun ensuite de décider pour lui-même les conclusions qu’il doit en tirer.
Les infos se déchaînent sur l’Ukraine. Ce qui se passe est très caractéristique du monde d’aujourd’hui : cela divise les gens. D’un côté, on clame que Poutine est le nouveau Staline opprimant les Ukrainiens. De l’autre, on raconte que Poutine nous sauve des néo-nazis ukrainiens.
Mais dans le fond, il ne s’agit en fait que d’une ènième guerre par procuration entre la Russie et les États-Unis d’Amérique.
La Russie ? Évidemment, elle est limitrophe de l’Ukraine. Mais les Américains ? Vraiment ? Qu’est-ce qu’ils feraient donc si loin de leur patrie ?
La géopolitique, la guerre et la manipulation
La géopolitique est toujours complexe. La guerre, en revanche, rend tout noir et blanc. Les médias se transforment immédiatement en outils de propagande. Ils « informent » le public pour pointer du doigt les méchants (eux) et les gentils (nous).
Bien sûr, la pièce de monnaie a toujours deux faces. Les « gentils » d’un côté sont les méchants de l’autre, et vice-versa.
Et pourtant, ce n’est jamais ni noir ni blanc.
La Première Guerre Mondiale a démarré soit-disant par l’assassinat de l’archiduc d’Autriche. Mais dès qu’on s’intéresse d’un peu plus près aux circonstances qui ont mené à la guerre, on se rend tout de suite compte que c’était beaucoup plus complexe que cela. La situation était déjà explosive, et cet événement n’a été qu’une petite étincelle qui a tout embrasé.
On peut en dire autant de la Deuxième Guerre Mondiale. Pour la comprendre, il faut se renseigner sur le contexte. Y compris les conséquences des traités de paix signés à la fin de la première, la crise économique des années 1930, les tensions existantes entre les différents peuples d’Europe, l’inaction de la France et de la Grande-Bretagne avant qu’il ne soit trop tard, et bien d’autres facteurs.
La guerre en Syrie est un autre exemple de complexité géopolitique. Le pétrole. Les intérêts économiques divers. Des cultures et religions différentes qui cohabitent. Des relations préexistantes entre les différents pays de la région, mais aussi à l’international, comme celles entre la Syrie et la Russie.
Ce n’est pas différent pour la crise ukrainienne.
Les ressources de l’Ukraine
L’Ukraine est un très grand pays en superficie. C’est également un partenaire économique extrêmement important pour quiconque arrive à négocier des partenariats. Elle est très riche en ressources naturelles, et a les industries qui permettent de transformer ces matières premières en produits finis. Cerise sur le gâteau, elle bénéficie d’un climat très propice et beaucoup d’eau, qui devient une ressource de plus en plus précieuse.
Par ailleurs, sa situation géographique en fait un passage obligé pour du transit économique, en particulier le gaz russe en direction de l’Europe.
Gazoducs russes amenant le gaz en Europe par l’Ukraine
C’est un tampon entre l’Europe et la Russie. Avec la crise énergétique en Europe, son importance est de plus en plus cruciale pour l’Europe.
L’Ukraine est riche en eau. Sais-tu, lecteur, que l’Ukraine a coupé la source principale d’eau potable de la Crimée lorsque celle-ci a déclaré son indépendance en 2014 ? Le barrage mis en place par les Ukrainiens a été l’une des toutes premières cibles lors de l’invasion russe pour rétablir l’eau en Crimée.
À cause de tous ces éléments, il est évident que l’Ukraine est un pays d’une importance capitale stratégiquement. Quiconque la contrôle ou s’en fait une alliée gagne considérablement en pouvoir. Mais pour comprendre ce qui se passe avec son invasion par la Russie, il est nécessaire de connaître aussi l’histoire de ces deux pays.
L’URSS, la Russie et l’OTAN
L’OTAN (Organisation Transatlantique de l’Atlantique Nord, NATO en anglais) ne s’est pas créée d’un coup. Il y a d’abord, au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale une série de traités entre pays européens. Les deux craintes majeures étaient un réveil de l’Allemagne nazie, d’une part, et une attaque de la part du bloc communiste, d’autre part. Finalement, les États-Unis entrent dans la danse et vont forger la direction principale suivie par l’OTAN : créer une union pour contrer le Pacte de Varsovie.
En effet, dans le camp communiste, l’URSS et les pays du bloc de l’est sont liés par ce pacte d’assistance militaire mutuelle. Voici à quoi ressemblaient les deux blocs en 1990, juste avant la dissolution de l’URSS :
Lors de l’effondrement de l’URSS en 1991, les anciens pays du bloc de l’est obtiennent enfin leur indépendance. Des pays qui existaient avant l’URSS, comme l’Ukraine, la Biélorussie et les trois pays baltes, renaissent de leurs cendres. Pour acter la défaite du communisme, la Russie perd des portions de territoire énormes. Et ce tant à l’ouest du côté européen qu’en Asie où le territoire immense du Kazakhstan ainsi que d’autres républiques sont maintenant indépendants.
Découpage de l’URSS après sa chute
Je pense que le découpage de l’époque est à la source de la crise que nous vivons aujourd’hui. Nous y reviendrons.
Les années 1990
Les années 1990 sont des années très sombres pour la Russie. La corruption est rampante et ronge le pays. La privatisation de l’ensemble du territoire est un terrain de jeu pour les oligarques qui achètent des villes entières, et se disputent des quartiers à coups de tanks.
Dans le même temps, la situation de la population est extrêmement précaire. L’inflation tue le pouvoir d’achat, les gens n’ont même pas de quoi se nourrir. Et, par-dessus tout, le président Eltsine, poivrot invétéré, est la risée du monde entier.
Eltsine ivre, tentant de délivrer un discours, déclenchant l’hilarité de Bill Clinton.
C’était également des temps difficiles pour tous les pays et nouvelles républiques qui venaient de gagner leur indépendance. Elles étaient souvent dans des états économiques catastrophiques. Sur le long terme, certaines d’entre-elles ont fini par s’en sortir très convenablement. D’autres sont encore rongées par la corruption. C’est même le cas pour des pays qui ont réussi à entrer dans l’Union Européenne comme la Bulgarie et la Roumanie. Mais c’est aussi le cas pour l’Ukraine.
Les difficultés des années 1990 culminent avec les deux guerres de Tchétchénie. La première, de 1994 à 1996 est une défaite cuisante qui ne résout absolument rien. Ce n’est finalement qu’en 2002, après la prise d’otages du théâtre à Moscou que la crise tchétchène prend un tournant décisif.
Renouveau dans les années 2000
Poutine résout le problème tchétchène, qui était secrètement soutenu par les Occidentaux, par une guerre sanglante. C’est un message très clair à ses « partenaires » occidentaux, comme il aime les appeler : « Ne jouez pas avec le feu avec moi ». C’est également un message très fort aux Russes : « Je ne suis pas Eltsine, je vous protégerai ainsi que votre honneur ».
Malgré tout, pendant ce temps, l’OTAN s’étend progressivement à l’est, en incorporant la Pologne, la Hongrie et la Tchéquie. On peut d’ailleurs se dire que, l’ours russe étant de toute façon en pleine décomposition et plus du tout une menace, l’OTAN ne servait en réalité plus à rien.
Poutine a commencé à remettre un peu d’ordre en Russie en arrêtant des oligarques, et à restaurer l’économie. Dans les faits, le rouble, qui plongeait comme dans un pays sous-développé, s’est stabilisé. La famine a quasiment disparu. Les infrastructures en ruine ont été reconstruites. Oh, tout n’était pas parfait, c’est certain. Mais il y a eu des progrès réels. On peut dire qu’il a ressuscité l’ours de ses cendres.
Pourtant, internationalement, c’en était fini de la Russie. Poutine était écarté, ridiculisé, ignoré, comme si la Russie était devenue un pays du Tiers Monde insignifiant. Il a tendu la main à de nombreuses reprises à l’ouest, sans succès. Beaucoup d’analystes internationaux, y compris américains, s’accordent à dire que cette humiliation constante a construit le Poutine d’aujourd’hui.
En 2007, il prononce un discours devenu célèbre aujourd’hui à Munich. Il y prévient les Occidentaux des dangers d’un monde unipolaire, où un seul pays, les États-Unis, tentent d’imposer leur marque partout.
L’expansion de l’OTAN
Pendant ce temps, l’OTAN continue de s’agrandir. Et ce, au mépris total des promesses faites par les États-Unis aux Russes en 1991. En effet, le Pacte de Varsovie n’a été dissout qu’après avoir eu des assurances que l’OTAN ne s’étendrait pas à l’est. Malheureusement, ces promesses n’étaient pas écrites, mais on en a encore des traces.
En 2004, l’OTAN se retrouve directement à la frontière avec la Russie, en intégrant les trois pays baltes. Cela déclenche l’ire des Russes. La Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie intègrent également l’OTAN la même année. La Roumanie autorise même les États-Unis à stationner des missiles nucléaires sur son sol.
En 2008, l’OTAN invite officiellement la Moldavie et l’Ukraine à rentrer dans l’OTAN, mais ce n’est encore qu’au stade de négociations. Poutine crie qu’il s’agit d’une ligne rouge à ne pas franchir, personne ne l’écoute.
Bon, après tout, l’Ukraine est un pays souverain, elle fait bien ce qu’elle veut ! Non ? Pourtant, il serait bien naïf de s’en tenir à la théorie sans regarder la réalité en face.
Il suffit de se rappeler ce qui s’est passé lorsque l’URSS a tenté d’installer des missiles sur le sol cubain. Nous étions au bord de la troisième guerre mondiale. Si les Russes n’avaient pas cédé, la première étape aurait été de raser Cuba, puis potentiellement de basculer dans un conflit ouvert entre les deux blocs. Ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine est exactement la même chose, les rôles sont simplement inversés.
Malgré tout, l’OTAN continue de s’étendre, pays par pays, ignorant ostensiblement l’ours qui gronde : l’Albanie et la Croatie en 2009, le Monténégro en 2017, la Macédoine du Nord en 2020.
Géorgie – 2008
Les Occidentaux continuent leur politique de déstabilisation de l’ancien bloc de l’est. C’est une tentative évidente des USA d’obtenir un contrôle total tout autour de la Russie, afin de la neutraliser pour de bon. La géopolitique est une histoire d’influence. Plus une nation unique en a d’autres à ses pieds, plus nous avançons vers un monde unipolaire. Et plus l’OTAN et les États-Unis ajoutent des missiles autour de la Russie, plus nous nous rapprochons d’une troisième guerre mondiale. Est-ce que la Russie ou même la Chine installent des missiles tout autour des États-Unis ? Pas à ma connaissance.
Mais revenons à la Géorgie. Tout ne s’est pas vraiment passé comme prévu. En voyant que le Gouvernement était de plus en plus phagocyté par l’Occident, les Russes ont commencé par soutenir des rebelles au nord de la Géorgie. En août 2008, les Géorgiens attaquent un bataillon russe qui aidait des rebelles. La réponse ne s’est pas fait attendre : l’armée russe envahit soudainement la Géorgie, provoquant un retrait des troupes géorgiennes jusqu’à la capitale.
Un accord de paix fut signé très vite. Depuis, la Géorgie est très « amicale » avec la Russie, tout en continuant à pas mesurés son rapprochement avec l’ouest.
Conclusion sur l’OTAN
L’OTAN est bien évidemment une menace pour la Russie, tout comme les missiles soviétiques à Cuba menaçaient les États-Unis. Au passage, c’est quand même pour ça qu’elle a été créée ! Aucun politicien de bonne foi ne peut le nier. Par ailleurs, l’OTAN s’est tellement développée en Europe qu’elle est maintenant aux portes de la Russie, avec des missiles capables de frapper Moscou et au-delà. Une carte vaut mille explications :
Pour conclure, j’ajouterais simplement que le diplomate américain Zbigniew Brzeziński a écrit que si les États-Unis parvenaient à mettre la main sur l’Ukraine, ce serait la fin de l’influence russe dans le monde. Rien de moins. Après avoir pris sa retraite, il a prévenu qu’il ne serait pas une bonne chose de prendre l’Ukraine dans l’OTAN.
Les révolutions populaires
Pour comprendre pourquoi les Américains jouent un rôle prépondérant dans la crise ukrainienne, il faut déjà comprendre leur mode opératoire.
Les printemps arabes
Les printemps arabes ont ébranlé le monde arabe depuis 2010. En Tunisie, en Égypte, au Bahreïn, en Libye, dans les États Arabes Unis, au Yémen, en Arabie Saoudite, le procédé est toujours le même.
Ça démarre par une étincelle qui entraîne des protestations populaires. Les gens descendent dans la rue, pacifiquement au début. Il suffit de financer des milices qui vont alors mettre le feu aux poudres. Elles ont pour cible principale le gouvernement, et créent l’environnement nécessaire pour fomenter un coup d’état.
Bien sûr, cette recette ne fonctionne que s’il y a déjà des résistances importantes contre le gouvernement en place. Les régimes autoritaires sont des cibles parfaites pour ce genre de manipulations.
L’avantage est énorme : il est possible de renverser un régime avec très peu d’efforts. Par ailleurs, comme tout cela est fait de manière non officielle, personne ne va venir pointer du doigt le manipulateur.
Malheureusement, les résultats ne bénéficient pas forcément à la population locale. Bien au contraire. Oui, les dictateurs, c’est pas cool, c’est évident. Mais le chaos, l’instabilité, la guerre, ont des conséquences encore bien plus funestes pour l’ensemble de la population.
Au passage, aucun pays de ce monde ne va dépenser des millions d’euros, mettre ses propres citoyens en danger, pour « libérer » des populations civiles étrangères des griffes d’un dictateur. Il faut être très naïf pour croire un conte de fées pareil. La démocratie, ça s’amène par l’éducation, pas autrement.
La Libye
La Libye est l’un des exemples le plus frappant, si je puis dire. Il n’y a aucun doute sur le fait que Kadhafi était un dictateur. Il réprimait brutalement toute opposition à son régime. On ne va pas m’accuser de le nier.
Malgré tout, son pays était en paix, bénéficiait d’une économie prospère aux infrastructures modernes, l’éducation et les soins médicaux étaient gratuits. Aujourd’hui, 10 ans après la « libération », c’est un champ de ruines qui manque d’eau et de ressources de première nécessité, et la guerre continue. C’est également devenu une porte corrompue pour faire passer les migrants africains en direction de l’Europe.
Par ailleurs, l’intervention militaire de la France était totalement illégale car non autorisée dans le territoire d’un pays souverain. Au passage, les motivations n’étaient pas du tout pour « amener la démocratie » ou je ne sais quelle fable. Pour résumer, Kadhafi était une menace pour le pétrodollar, risquait de miner l’influence du franc CFA dans l’ouest africain avec son « dinar or », et Nicolas Sarkozy, alors Président de la France, avait un intérêt personnel à faire tomber son ancien « pote ».
Dans tous les cas, vis-à-vis du droit international, l’intervention française était tout aussi illégale que ce que fait Poutine actuellement. Mais c’était la France. Pas un « dictateur ». Mais des « soldats de la paix ». Bien sûr. Exemple typique de propagande noir et blanc que je mentionnais en début d’article.
La Syrie
Il y aurait beaucoup à dire sur la Syrie. Je vais m’en tenir à l’essentiel. Les interventions militaires des pays occidentaux (États-Unis, France, Grande-Bretagne, Turquie, Israël entre-autres) sont totalement illégales vis-à-vis du droit international. Le moins qu’on puisse dire, c’est que, le droit international, on s’assoit volontiers dessus. Mais on est les gentils, nous. Alors pas besoin de droit.
D’un autre côté, les Russes ont été invités par le pouvoir en place pour venir apporter leur aide. Peu importe ce qu’on pense du sentiment de Poutine pour le Dictateur Assad, je vais donner ma lecture en quelques mots.
La Russie n’a qu’une seule base navale sur la Méditerranée. Elle se trouve à Tartous, une ville syrienne. Curieusement, la Russie n’est intervenue que lorsque les « rebelles » syriens ont commencé à s’approcher de cette base. Pas avant. Est-ce vraiment une coïncidence ? Je ne sais pas ce qui se serait passé si cette base n’avait pas existé.
De mon point de vue, la Syrie a été un tournant dans la psychologie de Poutine. Il a soudain réalisé que sa puissance militaire était plus importante qu’il ne le pensait. Au passage, il a envoyé un message clair à la communauté internationale : l’Occident qui se mêle des affaires d’un pays souverain, ça ne se passe pas toujours comme prévu.
C’est une humiliation pour les USA, qui ont évidemment des velléités de revanche.
La Biélorussie et le Kazakhstan
Je connais des Biélorusses, et comme eux, je ne suis pas particulièrement fan de leur gouvernement. Tout comme je n’aime pas du tout tous ces dictateurs aux quatre coins du monde. Il y a eu beaucoup de remous en Biélorussie dans la dernière décennie. Plus récemment, on a pu y voir les mêmes tactiques qui ont été utilisées lors des Printemps Arabes. Mettre le bazar. Armer des milices pour que ça dégénère. Tenter de déstabiliser le régime.
Mais cette fois, ça n’a pas fonctionné. La Russie soutient la Biélorussie et ces tactiques commencent à prendre de l’âge.
La même chose est arrivée au Kazakhstan encore plus récemment. Cette fois avec des islamistes radicaux. La Russie a réagi très rapidement, la tactique a échoué, comme en Biélorussie. La Russie ne peut pas se permettre de perdre le Kazakhstan, territoire immense et qui abrite l’un de ses principaux cosmodromes, Baïkonour.
On dirait bien que les États-Unis devraient envisager de changer leur modus operandi.
La russophobie
La phobie des oppresseurs
Les abus perpétrés par un groupe finissent toujours par générer une réaction de haine qui traverse les générations. Elle reste parfois pendant des siècles. Dans le même temps, les oppresseurs tendent de leur côté à avoir un sentiment de supériorité envers les opprimés, même longtemps après que la domination se soit arrêtée.
Partout dans le monde, on peut voir ce phénomène à beaucoup de niveaux :
les Américains sont perçus comme des impérialistes,
les Français sont haïs dans leurs anciennes colonies,
les « blancs » en général sont vus par les « noirs » comme des colonialistes et des esclavagistes, aux États-Unis, mais aussi en Afrique du Sud, etc.
la Chine ne s’est toujours pas remise des abus des Occidentaux aux 19ème siècle,
etc.
L’impérialisme soviétique
Évidemment, le régime autoritaire soviétique n’était pas seulement autoritaire envers sa propre population. Il était encore pire avec les « républiques » qui étaient sous son contrôle. Il n’hésitait pas à procéder à des purges ethniques, à déplacer des populations entières, voire à organiser volontairement des famines comme cela a été le cas en Ukraine.
La plupart des gens d’un certain âge des pays du bloc de l’est connaissent la langue russe : ils ont été obligés de l’apprendre à l’école. Ils cultivent également la haine du Russe. C’est particulièrement vrai en Pologne, en Tchéquie ainsi que dans les pays baltes. Les bruits des bottes et des chars soviétiques dans les rues de leurs villes sont encore des cauchemars très vivaces.
Qui pourrait leur en vouloir ? Pas moi.
Dans les pays baltes, ça se traduit par une situation un peu particulière. Sous les Soviets, ils ont enduré des déportations, et surtout une tentative de remplacer la population locale par des Russes, venus d’ailleurs. Vraiment pas chouette. Au passage, ils ont des cultures et langues très différentes des Russes. Le sentiment nationaliste à leur libération a littéralement explosé. Là encore, difficile de leur en vouloir. Certains Russes qui y vivent ont un statut un peu particulier. Par exemple, en Estonie, ils ne sont ni russes ni estoniens. Ils ont un « passeport gris ». Cela ne pose pas de problème particulier pour vivre mais c’est dire l’impact du passé sur le présent. C’est le reflet de cette appréhension du Russe.
Il y a de l’espoir
Malgré toutes ces difficultés, il y a de l’espoir. Je pense ici à l’exemple de l’Allemagne et des Nazis.
Inutile de rappeler la brutalité des Nazis à travers toute l’Europe, l’histoire est connue. Pourtant, la « haine du Boche » n’a pas persisté très longtemps. C’est par une auto-flagellation quasiment à l’extrême que l’Allemagne a fini par faire accepter au monde entier qu’ils ne sont pas des Nazis dans leur ensemble et que l’Allemand moyen n’est pas un SS.
Malheureusement, le sentiment anti-allemand revient en force ces dernières décennies, mais il a d’autres sources : elles sont économiques. Il devient de plus en plus évident que l’euro ne sert que l’Allemagne au détriment des autres pays d’Europe. Mais c’est vraiment un autre sujet.
Ce qu’il est intéressant de noter ici, c’est qu’un vocabulaire bien particulier peut être utilisé. Il suffit de distinguer ce qui caractéristique l’oppresseur d’un individu lambda. Lorsqu’on parle de « Nazis » d’un côté, et d’« Allemands » de l’autre, les choses sont plus claires. La haine diminue plus facilement.
Il est peut-être temps de prendre des bonnes habitudes et de nommer un chat un chat. L’occupation du Politburo vs citoyens russes. L’État Profond vs citoyens américains. « Le Gouvernement » plutôt que « les Français ». Les marchands d’esclaves vs des citoyens de la France, des USA, etc. Au passage, les « slaves » ont donné leur nom à l’« esclavage », car ils étaient des esclaves de choix au Moyen-Âge.
Enfin, peut-être que les Polonais peuvent également se rappeler que, sans l’intervention de l’URSS, nous serions peut-être tous encore sous le joug nazi.
Vue d’ensemble de la crise ukrainienne
L’Ukraine est le berceau de tous les Slaves. Les Rus de Kiev sont à l’origine de toute la culture russe. Ainsi, l’Ukraine est vue par la grande majorité des Russes comme la sœur de la Russie. Beaucoup d’Ukrainiens ont d’ailleurs également une vision très positive de la Russie. Une guerre entre ces deux pays est une guerre fratricide. Et il y a fort à parier que cela va renforcer le sentiment anti-russe.
Les frontières de l’Ukraine ont beaucoup changé au cours de l’histoire. Malgré tout, son territoire central a fait partie de la « Grande Russie » pendant des siècles, et l’essentiel de son existence. Le problème étant que le découpage actuel de l’Ukraine regroupe des populations qui ont subi des influences très diverses.
Une population non uniforme
À l’ouest, la grande majorité de la population parle ukrainien, une langue slave qui ressemble de loin au russe, mais qui a été fortement influencée par des langues aux frontières : le polonais à l’ouest, le biélorusse et les langues baltes au nord. Ces parties de l’ouest ukrainien ont également fait partie d’autres pays dans leur histoire : la Pologne et l’Empire Austro-hongrois notamment. Elles sont définitivement tournées vers l’ouest et le reste de l’Europe.
Au contraire, plus on se déplace à l’est, plus les gens parlent russe en passant par des dialectes qui sont des mélanges d’ukrainien et de russe. De manière générale, il y a de plus en plus de sympathie pour la Russie dès qu’on se déplace vers l’est.
Plus on s’éloigne du centre du pays, plus les liens culturels et économiques se font naturellement avec les pays qui bordent le pays des deux côtés. Avec les plus extrémistes d’un côté et de l’autre de part et d’autre du pays.
Pour ceux qui seraient sceptique de cette vision qui peut paraître caricaturale, il suffit de regarder les résultats des élections, comme par exemple celles de 2004 :
L’ultra nationalisme
Le sentiment ultra-nationaliste, accompagné d’une russophobie aiguë, n’existe vraiment que dans l’ouest ukrainien. Le parti nazi Svoboda, le Parti National Socialiste de l’Ukraine (ça ne s’invente pas) en est la manifestation typique. Il a créé son emblème avec des références particulièrement parlantes :
De gauche à droite : la 2ème division SS de Panzers, l’ancien logo de l’ancien parti dont est issu Svoboda, et le logo actuel
Alors, qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit. Les partis ultra-nationalistes et les malades existent partout. Autre point à noter, Svoboda n’a à l’heure actuelle qu’un seul siège au Parlement. C’est totalement vrai, ces nazis ne sont qu’une toute petite minorité lorsqu’on considère l’Ukraine dans son ensemble. Mais malheureusement, ils sont proches de la majorité dans certaines petites régions en fonction des circonstances.
Résultats de Svoboda aux élections de 2012, avec un score avoisinant les 40 % dans certains endroits…
Par ailleurs, ce qui les distingue particulièrement des autres pays, c’est qu’ils sont aidés et armés par le pouvoir en place.
Le multiculturalisme existe ailleurs
Bien sûr, il y a plein de pays dont les populations sont parfois très hétérogènes, et qui s’en sortent très bien sans se taper dessus. Mais pour que ça fonctionne vraiment, je ne connais que deux recettes. Un dictateur qui va étouffer tout sentiment indépendantiste. Ou bien une intention scellée sur le papier de respecter son voisin et d’être en paix.
La Suisse nous en donne un parfait exemple. Quatre cultures et langues cohabitent, et le pays n’a connu aucune guerre depuis deux siècles.
Pour prendre un autre exemple, la situation interne en Ukraine n’est finalement pas très différente de celle des États-Unis, avec les Républicains au sud qui correspondent aux états sécessionnistes lors de la guerre civile, et les Démocrates au nord. Le problème en Ukraine, c’est que ces divisions sont utilisées par des puissances étrangères pour semer le trouble.
Au 20ème siècle
L’Ukraine tente une première fois de prendre son indépendance en profitant de la Révolution d’Octobre en Russie. Mais ça ne dure pas, l’URSS toute neuve fait main basse sur l’Ukraine en 1922.
Au début de la Deuxième Guerre Mondiale, les Ukrainiens de l’est voient dans la guerre le moyen de se détacher du joug russe. Pour rappel, ce sont les plus nationalistes, et certains vont jusqu’à sympathiser avec les Nazis. Les partis extrémistes d’aujourd’hui n’en sont qu’un héritage.
À la fin de la guerre, au vu de la résistance des Ukrainiens contre les Bolcheviks, Staline provoque une famine et fait du « nettoyage ». Mais en 1954, l’Ukraine est devenue le « bon élève » et est l’un des plus gros producteurs du bloc soviétique. Khrouchtchev décide de donner la Crimée à l’Ukraine en signe de reconnaissance. Une action non sans conséquences plus tard…
Dans tous les cas, le sentiment anti-russe, surtout dans l’ouest, provient évidemment de ces décennies d’abus. Les premières actions d’un régime autoritaire sont de détruire toute culture et langue locale. Mais les gens ont tendance à oublier que le Russe moyen d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec Staline.
1991-2004
Avec la chute de l’URSS, l’Ukraine obtient finalement son indépendance pour de bon. Elle signe des accords avec les USA, la Grande-Bretagne et la Russie qui assurent qu’elle restera un pays souverain, à la condition qu’elle renonce à tout l’arsenal nucléaire provenant de l’ex-URSS.
De mon point de vue, c’est le découpage géographique lors de ces accords qui a donné lieu à la situation que nous vivons aujourd’hui. Mettre ensemble deux populations qui ont la tête tournée à l’opposé l’une de l’autre n’était peut-être pas la meilleure idée qui soit. Peu de gens comprennent cela. La Yougoslavie nous a montré dans les années 1990 les conséquences que peuvent avoir une erreur de ce genre. Il y a probablement une leçon à en tirer.
La corruption
Je m’autorise une petite pause historique pour m’arrêter sur un autre problème qui est également en partie responsable de la situation actuelle.
La corruption est profondément ancrée en Ukraine, du même style que la corruption en Russie dans les années 1990.
Depuis, la Russie a su faire un peu de ménage, même s’il reste beaucoup à faire. Mais des oligarques ont été arrêtés, des sanctions et mesures prises pour tenter de limiter les dégâts. Elle a aussi relevé son économie et la redistribution de richesses fonctionne déjà un peu mieux. Elle est parmi les pays du monde ayant la dette publique la plus faible. Tout cela malgré les sanctions imposées par l’Occident depuis 2014. Il y a encore beaucoup de défis à relever et la corruption y est encore élevée, mais la situation n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était dans les années 1990. Et avant de critiquer, nous pourrions déjà nous regarder dans la glace…
En Ukraine, en revanche, tout cela n’a pas eu lieu. Le résultat est que, malgré une industrie et un secteur agricole extrêmement productifs, des ressources naturelles en pagaille, la pauvreté est toujours un problème énorme. Je recommande un documentaire qui montre l’un des symptômes : les orphelins de la rue (en anglais). En 2012, Ernst and Young classe l’Ukraine parmi les trois premiers pays les plus corrompus du monde. Elle est neuvième en 2017. La situation s’améliore très très lentement, mais l’Ukraine reste l’un des pays les plus corrompus au monde.
L’Ukraine est parmi les 4 pays les plus cités dans les dernières révélations en date, l’affaire du Crédit Suisse :
Au passage, le président lui-même est aussi enfoncé dans la boue, malgré de grands discours anti-corruption.
2004 : La Révolution Orange
Revenons à notre voyage dans le temps. En 2004, deux candidats sont en lice pour la présidence :
Viktor Iouchtchenko appuyé par Ioulia Tymochenko => camp occidental
Viktor Ianoukovytch => pro-russe
Tous deux reçoivent de l’aide de leur camp respectif. Russes d’un côté, et de l’autre des fondations comme la Fondation Soros ou la Freedom House et autres organisations américaines « pour la démocratie » (lire : pour faire des coups d’état et renverser les gouvernements qui ne sont pas alignés avec les USA).
Il se trouve que, manque de chance, le pro-russe Ianoukovytch est élu de justesse. Des manifestations sont organisées à Kiev, évidemment organisées et orchestrées par les Occidentaux, pas trop contents. Les élections sont annulées. Iouchtchenko est mystérieusement empoisonné (je te laisse deviner par qui) mais survit. Il est cette fois élu lui-aussi de justesse. Pas de protestations. Les gentils ont gagné.
L’un des facteurs majeurs ici est de savoir que Kiev se situe dans la partie « pro-occidentale » de l’Ukraine. Il est donc beaucoup plus facile d’y organiser un renversement de régime pour les Occidentaux que pour les Russes.
La claque de 2010
La crise de 2008 passe par là, le bilan de Iouchtchenko est assez catastrophique, et c’est Ianoukovytch qui l’emporte lors des élections de 2010, cette fois sans protestations. Il semblerait que les Russes aient gagné. Mais c’est seulement parce que Ianoukovytch a lancé des signes qui indiquent qu’il a l’intention de se rapprocher de l’Occident.
En effet, il commence à négocier des accords économiques avec l’Union Européenne. Cela ne fait pas du tout l’affaire des gens de son parti, qui sont particulièrement inquiets des répercussions qu’un accord avec les Européens pourraient avoir sur leurs propres relations avec la Russie côté est. Malgré tout, il donne l’espoir à la population qu’une ouverture est possible. Quelques mois plus tard, il envoie tout balader d’un coup et se tourne soudain vers Moscou. Difficile de savoir ce qui a provoqué ce changement d’humeur.
2013 Maïdan
Malheureusement, si l’espoir fait vivre, la déception est source de violence. Des manifestations commencent à Kiev, dans la place Maïdan, pour protester contre ce revirement soudain.
Là où ça devient intéressant, c’est qu’on voit des diplomates européens et américains venir soutenir les manifestants en personne. Que dirions-nous si des diplomates russes venaient se mêler aux manifs des gilets jaunes pour les soutenir ? Ce serait clairement inacceptable.
Ah, mais non. Nous, on est les gentils. Donc ça va.
Le sénateur américain McCain au milieu des manifestants
Et dans le même temps, les Américains utilisent la même tactique que dans les Révolutions Arabes. Ils se servent cette fois des extrémistes nazis de l’ouest pour faire le sale boulot. Ces organisation radicales jouent un rôle décisif dans la tournure que vont prendre les événements. Ne reculant devant rien, des snipers tirent dans les manifestants et dans les policiers pour provoquer l’escalade.
De très sympathiques snipers de Maïdan… au passage, il me semble voir quelques drapeaux intéressants sur cette photo (oui oui, c’est bien le drapeau de l’OTAN à gauche)
Ça fonctionne. Le gouvernement est renversé.
L’implication occidentale
Bon, mis à part les sénateurs occidentaux qui vont faire les beaux dans les manifs, on pourrait se dire que tout ça est finalement une affaire interne à l’Ukraine. Mais ça ne s’arrête pas là.
L’Occident a soutenu financièrement des organisations nazies. Tout est bon dans le cochon. Pire, les soutiens sont carrément officiels. D’ailleurs, un enregistrement révélera plus tard que la Sous-Secrétaire d’État américaine, Victoria Nuland, a appelé l’ambassadeur américain en Ukraine pour lui indiquer qui il fallait mettre au pouvoir. Tout en ajoutant « que les Européens aillent se faire voir » (avec le mot en F en anglais, oui oui).
La photo suivante est particulièrement parlante. L’homme au milieu est le chef de Nuland, John Kerry, Secrétaire d’État des États-Unis. On comprend qu’il soit content, mais quand même… à gauche Oleksandr Tourtchynov le nouveau président par intérim de l’Ukraine après le coup d’état, et à droite le Premier Ministre Arseni Yatsenjouk. Mais pas d’inquiétude, on est les gentils !
Si j’étais ukrainien, avec tout ça j’aurais un peu l’impression d’être pris pour un imbécile. Mais passons.
Évidemment, sans surprise, le nouveau gouvernement est composé quasiment de membres pro-ouest.
Au passage, comme je m’intéresse beaucoup à la monnaie, voici le nouveau billet ukrainien de 500 Hryven :
Il y a tout de suite un truc qui m’a sauté aux yeux… si je puis dire. Au centre, on a un clin d’œil… enfin une référence assez évidente, quoi, au billet américain :
En tout cas, ces événements sont une véritable catastrophe pour les Russes qui n’ont pas réussi à stopper le coup d’état. Et la partie russophone de l’est ukrainien ne voit pas tout cela d’un bon œil, justement.
Imaginons un instant le Mexique…
D’une certaine manière le Mexique est aux États-Unis ce que l’Ukraine est à la Russie. Une large frontière commune. Des interactions économiques fortes. Un relatif continuum de populations à la frontière.
Imaginons maintenant un soulèvement au Mexique, orchestré par la Russie qui financerait des guérilleros mexicains pour éjecter le gouvernement, avec en plus le soutien ouvert des officiels russes. Par-dessus le marché, une fois le nouveau gouvernement fantoche mis en place par les Russes, le Mexique signe une coopération militaire avec la Russie, en mémoire de la guerre perdue contre les États-Unis au XIXème siècle, permettant l’installation d’ogives nucléaires au nord du Mexique, histoire aussi de bien montrer leur désaccord avec le mur à la frontière.
Il se passerait quoi à ton avis, cher lecteur ? Les États-Unis resteraient-ils les bras croisés ?
Oui, je suis d’accord, Poutine n’est pas tout blanc, loin de là. Mais la nature explosive de la situation en Ukraine est causée en premier lieu par les abus et l’arrogance visible des Occidentaux. Pour clore le débat, voici le président ukrainien (à gauche), Volodymyr Zelensky implorant l’OTAN en décembre 2021 d’accepter l’Ukraine en son sein. Ce qui peut expliquer en grande partie les événements qui ont suivi.
Le Donbass et la Crimée
Le Donbass, une région à l’extrême est de l’Ukraine, et la Crimée, une péninsule au sud, ont une large majorité de locuteurs russes. Après le coup d’état de Maïdan, ces deux parties du pays rejettent massivement Porochenko, le nouveau président.
Par ailleurs, le nouveau gouvernement de Kiev s’attaque de plus en plus à la langue russe et tente d’en bannir l’usage par des lois, ce qui provoque un mécontentement bien compréhensible à l’est.
La Crimée
En Crimée, le processus est rapide. L’une des raisons est que la péninsule est isolée géographiquement de l’Ukraine par un isthme, et donc beaucoup plus difficile à atteindre pour les forces ukrainiennes. Un référendum est organisé, lors duquel les criméens appellent à rejoindre la Russie avec un score sans appel de 96,77 %.
Bien sûr, la Russie est derrière tout cela, c’est une évidence. Peut-on questionner la légitimité du référendum ? Sans doute. Mais il est tout de même avéré que les criméens sont historiquement beaucoup plus proches des Russes que des Ukrainiens. Pour rappel, elle n’a été donnée à l’Ukraine qu’en 1954.
Alors, est-ce pour le meilleur ou pour le pire ? Je pense que si la Crimée était restée en Ukraine, son sort n’aurait pas été bien différent de celui du Donbass. Pourquoi Poutine est-il intervenu si rapidement dans la péninsule, alors qu’il a laissé pourrir la situation plus au nord ? La réponse me paraît évidente : Sébastopol, la ville principale, qui est la plus grande base militaire russe sur la Mer Noire. La ville a d’ailleurs un statut spécial et est restée russe même après l’indépendance de l’Ukraine.
En tout cas, l’« annexion » de la Crimée par la Russie, donc par les méchants, a donné lieu à des sanctions internationales contre l’économie russe.
Quant à la légalité du procédé, il a un précédent. En 2008, le Kosovo, une province officielle de la Serbie, a déclaré son indépendance, approuvée « légalement » par les États-Unis et une bonne partie des pays du monde. Mais c’était les gentils, alors ça ne pose pas de problème.
Le Donbass
Au Donbass, en revanche, la situation est beaucoup plus compliquée. Les insurgents ont pourtant eux-aussi saisi les bâtiments administratifs et on pris de facto le contrôle des territoires et déclaré leur indépendance. La Russie n’a pourtant pas reconnu ces territoires. Évidemment, les Occidentaux non plus. Il ne faudrait tout de même pas exagérer. Quelle différence avec le Kosovo ? Il y a eu aussi des massacres de pro-Russes en Ukraine en particulier lors de l’épisode Maïdan ainsi qu’à Odessa, ce qui rend la situation finalement très proche de celle du Kosovo en son temps.
En tout cas, depuis, c’est la guerre civile, aidée bien évidemment par les Russes, tout contents de pouvoir créer de l’instabilité dans cette Ukraine tombée dans les mains occidentales. Quand je dis « guerre civile », il ne s’agit pas de quelques coups de feu par-ci par-là. Cette guerre a fait la bagatelle de 14.000 morts depuis 2014, dont au moins 3.000 civils. C’est une vraie guerre, au milieu des civils.
Peu de gens parlent de cette guerre, comme si elle n’existait pas et que tout allait bien en Ukraine. Il est indispensable de comprendre que la population locale est particulièrement remontée contre le pouvoir central et soutient activement les séparatistes, sinon cette guerre n’aurait pas pu durer aussi longtemps.
Les accords de Minsk (1 et 2)
Les séparatistes et le gouvernement ukrainien tentent des négociations. Ils signent par deux fois des accords de paix et de désescalade des tensions militaires à Minsk. Mais ceux-ci ne sont pas respectés, en particulier par les Ukrainiens. Il est clair qu’après 8 ans à s’envoyer des tirs de mortiers et autres obus, la situation n’est pas près d’être résolue.
Bien sûr, comme je l’ai déjà mentionné, les Russes n’y sont pas pour rien dans cette histoire. Poutine ne veut évidemment pas que l’Ukraine devienne un vassal des États-Unis. La frontière entre l’Ukraine et la Russie fait 1500 km. De ce point de vue, avoir les troupes américaines tout le long deviendrait un cauchemar. Non seulement pour la Russie, mais pour la paix dans le monde tout court. Pas besoin d’être sorti des Mines pour le comprendre.
Les USA utilisent la force partout où ils le jugent nécessaire… c’est-à-dire partout. Comme je l’ai mentionné dans mon livre « La monnaie : ce qu’on ignore », la section 301 de la loi américaine de 1974, qui est toujours appliquée aujourd’hui, « autorise le Président à prendre toute mesure appropriée […] pour obtenir le retrait de tout acte, politique ou pratique d’un gouvernement étranger […] qui restreindrait le commerce avec les États-Unis ». Impérialisme, quand tu nous tiens.
Volodymyr Zelensky
Faisons un petit zoom sur le président Zelensky. Il a accédé au pouvoir par des moyens assez peu conventionnels. On peut d’ailleurs le comparer à Macron en France, ou Trudeau au Canada. Sa campagne n’a pas été « classique » :
il n’est pas politicien professionnel, c’est un comédien héros d’une série télé où il jouait justement son propre rôle de « type normal » devenant président, une sorte de prophétie auto-réalisatrice, et promet un « renouveau en politique »,
un homme assez jeune pour la fonction présidentielle, avec une campagne particulièrement axée sur sa personne plutôt que sur des idées,
l’usage de nouvelles technologies et des réseaux sociaux,
beaucoup de promesses non tenues et une chute dans les sondages peu après son élection.
Par ailleurs, alors qu’il a juré de combattre la corruption, le « serviteur du peuple » est lui-même en plein dedans. Son principal soutien, Igor Kolomoisky, un oligarque anti-américain, possède la plus grande chaîne de télévision. Mais il est aussi régulièrement impliqué dans des scandales de corruption.
Les Pandora Papers révèlent en outre que Zelensky possédait un compte offshore, cédé peu avant son élection à un ami… hum. Serviteur du peuple, mon œil.
En fait, les Ukrainiens eux-mêmes ne sont pas ravis de leur président. Voici les résultats de sondages en 2021, par un site qui n’a pas d’affiliation avec les Russes et qu’on peut donc qualifier de « neutre » :
Réponses à la question « En général, approuvez-vous les activités de Volodymyr Zelensky ou non »
Sa popularité, déjà bien entamée en juin 2021, descend encore davantage avec 28 % d’opinion favorable.
Je ne serais pas surpris d’apprendre que l’oligarque s’est senti trahi et s’est finalement tourné vers Poutine.
Les demandes russes
En décembre 2021, les Russes envoient aux Occidentaux une liste formelle de demandes. C’est de mon point de vue un piège car Poutine sait parfaitement que ses « partenaires » ne signeront jamais. Ils l’auraient fait depuis longtemps s’ils l’avaient voulu. Mais il veut tenter de tendre la main une dernière fois.
Évidemment, ces demandes sont purement et simplement ignorées, et la réponse parle de demandes de la part des Occidentaux, totalement différentes.
Aurions-nous pu éviter la guerre en Ukraine ? Oui. J’en suis persuadé. Si les Européens ou les Américains avaient au moins pris ces demandes au sérieux, il y avait de très fortes chances d’éviter une guerre militaire. À la place, Macron nous a fait un grand cirque, a joué des mécaniques en se faisant passer pour le Saint Sauveur en clamant que Poutine lui avait promis de ne pas attaquer l’Ukraine. Ce que le Kremlin a formellement démenti dans la foulée. Quel clown !
Il est bien malheureux de constater que personne n’a pris Poutine au sérieux. Comme toujours. Mais évidemment, cela ne justifie pas, ne justifiera jamais, un conflit armé.
La décision d’attaquer
Difficile de dire ce qui a déclenché la décision finale de lancer l’assaut contre l’Ukraine. C’est d’autant plus surprenant que la date choisie est un contresens total en terme militaire. En effet, c’est la période de l’année où les champs se transforment en boue. De fait, les colonnes militaires sont totalement coincées sur les axes routiers, ce qui fait des cibles parfaites. Si l’attaque avait été prévue de longue date, elle aurait eu lieu en été ou en plein cœur de l’hiver.
Difficile, donc, de savoir ce qui a motivé Poutine à prendre cette décision soudaine. Je pense que c’est un ensemble de facteurs. Il me semble que l’expérience syrienne lui a donné une assurance de ce dont son armée était capable. Les récents événements au Kazakhstan l’ont probablement sérieusement irrité. Et la récente provocation de Zelensky demandant à rejoindre l’OTAN a vraisemblablement été la goutte de trop.
Petit rappel d’événements marquants de l’attaque sur l’Ukraine, qui ne sont de toute façon que des prétextes, la décision était déjà prise à mon avis à ce moment-là :
21 février : attaques d’une position russe à la frontière par les Ukrainiens,
22 : la Russie reconnaît les deux républiques séparatistes à l’est dans le Donbass, envoie des troupes pour « maintenir la paix »,
23 : déploiement au Donbass, Poutine déclare vouloir « démilitariser » et « « dénazifier » l’Ukraine qui menace l’intégrité de la Russie, un discours de guerre très classique pour faire peur,
24 : attaque de l’Ukraine par le nord, l’est et le sud, avec bombardement de zones militaires pour tenter de prendre le contrôle de l’espace aérien,
25 : l’armée russe fonce sur Kiev.
Personne ne peut prédire ce qui va advenir. Il semblerait que les Ukrainiens, armés massivement par les Occidentaux, offrent plus de résistance que prévu à l’avance des troupes russes.
Les buts de Poutine
Évidemment, je ne suis pas dans sa tête. Malgré tout, il me semble que les buts qu’il poursuit sont très clairs.
Je ne crois pas une seconde qu’il veuille occuper l’Ukraine sur le long terme. Toutes les invasions de ce type ont conduit à des conflits de guérilla interminables et impossibles à gagner lorsqu’on n’a pas le soutien de la population, et il le sait. Peu importe ce qu’on pense de lui, c’est un fin tacticien, il ne ferait pas une erreur aussi grossière.
Il veut se débarrasser de Zelensky, c’est indéniable. Et probablement mettre un président pro-russe au pouvoir. Le peut-il ? Cela reste à voir.
Il est parfaitement possible qu’il veuille couper l’Ukraine en deux. Cela aurait l’avantage de régler les problèmes internes. Et cela lui ferait le pays tampon dont il a besoin du côté est. Tant pis si l’ouest bascule du côté atlantiste. Ce serait en tout cas gagnant-gagnant pour lui, surtout s’il contrôle le fleuve Dniepr au milieu. L’est ukrainien contient beaucoup de ressources et des industries lourdes, ce qui lui permettrait de renforcer et diversifier l’économie russe.
Évidemment, l’un des autres buts est de délivrer un message très clair aux Occidentaux : ne m’ignorez plus, je ne rigole pas, ne franchissez pas mes lignes rouges. En d’autres termes, l’Ukraine ne devrait jamais faire partie de l’OTAN, inutile d’en rêver.
Une guerre mondiale ?
Est-ce que Poutine veut un conflit international ? Non, je ne pense pas.
Les États-Unis et l’Union Européenne, en revanche, ne refuseraient probablement pas une petite guerre en ce moment. Je parle évidemment des fous qui nous gouvernent, pas du peuple, qui n’a jamais envie de guerre. Mais les pays occidentaux ont beaucoup de problèmes avec des populations de plus en plus opposées à leurs gouvernements, une dette massive et irremboursable, une crise économique et énergétique qui n’ont pas de solutions.
À l’inverse, la Russie n’a quasiment pas de dette, a du gaz à ne pas savoir qu’en faire, et le gouvernement n’a pas particulièrement de problèmes avec sa population. Poutine n’a aucune raison particulière de faire la guerre, si ce n’est pour montrer qu’il en a raz-le-bol qu’on se paie sa tête. Une chose est sûre, l’ours est énervé.
Conclusion
Que va-t-il se passer ? Je n’en sais rien, je ne suis pas médium. Même si elle ne semble pas vraiment se passer comme prévu, je pense que cette guerre ne va pas durer très longtemps. Les Russes ont à mon avis attaqué beaucoup trop tard dans la saison, ils auraient dû attaquer au cœur de l’hiver pour un « blitz ». Nous allons tous suer pendant un moment… il va y avoir des dégâts. Mais je pense que Poutine va finalement obtenir ce qu’il demande depuis des années, voire des décennies : être entendu.
Les Occidentaux ne sont pas vraiment préparés à une guerre. La Russie, elle, l’est, et a un avantage technologique au niveau militaire. Les Ukrainiens vont devoir se bagarrer tout seuls, et il me semble qu’il n’est que pure folie de leur donner davantage de matériel. Cela ne fait que retarder l’inévitable, tout en augmentant les chances de dérapages et les morts. Mais il faut bien écouler le matos et se faire des cacahuètes en or.
Bien sûr, si l’OTAN décidait d’intervenir, cela pourrait conduire à la catastrophe. C’est impossible. Enfin, ça le serait si on n’était pas gouvernés par des pyromanes.
Est-ce que j’aime la situation actuelle ? Non, évidemment. J’aime la France suffisamment pour être atterré de voir qu’on en est arrivés là. Est-ce que Poutine est seul coupable ? Je pense qu’après avoir lu autant de paragraphes, il est évident que la situation n’est ni blanche ni noire. En fait, les pays Occidentaux sont totalement responsables de l’escalade de ces deux dernières décennies.
C’est un peu comme quelqu’un qui te harcèle continuellement en te filant des claques à répétition. Exaspéré, tu lances le premier coup de poing et du coup tu es seul responsable. Vraiment ?
Ma seule inquiétude est que cela crée un précédent qui inviterait les Chinois à attaquer Taïwan. Pas sûr que ça se passe aussi bien.
L’Arcom, anciennement CSA, est en charge de surveiller les temps de parole des candidats dans les médias avant une élection.
Mais… pourquoi donc surveiller les temps de parole ? Après tout, c’est à chaque citoyen de voter en son âme et conscience pour le candidat qui lui plaît le plus.
Non ?
Les temps de parole décident du candidat élu
L’excellent blog « Notre Époque » a fait un excellent travail de recherches (y compris bibliographique) sur le sujet. Malheureusement, ce blog a disparu. J’ai donc reproduit les articles de l’époque sur mon propre blog à des fins d’archives :
Les conclusions sont sans appel : le pourcentage de temps de parole dans les médias permet d’avoir un pourcentage de votes équivalent lors de l’élection. C’est une relation directe, immuable, mathématique.
Ni plus, ni moins.
Il y a des études éparpillées à l’étranger, car c’est un sujet assez peu étudié, qui arrivent aux mêmes conclusions. Certaines vont même d’ailleurs plus loin : le contenu positif ou négatif pour un candidat n’a que peu d’importance. C’est principalement le temps d’exposition dans les médias qui est décisif. Peu importe qu’on dise du mal ou du bien de ce candidat, c’est le fait d’en parler qui est crucial.
Ce n’est pas pour rien…
… que le CSA est censé veiller.
L’un des rôles de cet organisme est de veiller à « la pluralité » en terme de temps de parole politique en période électorale. S’il était démontré qu’il n’y a aucun lien entre temps de parole et résultats des votes, il y a fort à parier que ce rôle n’existerait tout simplement pas.
Ainsi donc, le CSA veille.
Mais comme tant de ces « API » (Autorité Publique Indépendante) et autres « Hautes Autorités » aux rôles pourtant cruciaux pour le bon fonctionnement de la République, cet organisme n’a aucun pouvoir.
Il peut s’époumoner autant qu’il veut, publier les chiffres qu’il veut. Aucun problème. Parfois, il va même jusqu’à émettre des « mises en garde ».
Il est purement et simplement ignoré.
Il n’est qu’une entité fantôme qui ne sert qu’à agiter l’épouvantail : « Pas d’inquiétude de ce côté-là, on a le CSA qui veille ».
Une loi infâme pour éliminer les petits
En avril 2016 est votée une loi scandaleuse sur les temps de parole. Adieu l’égalité absolue ! Les temps de parole seront maintenant proportionnels à la « représentativité » des candidats. Cette loi aux définitions floues et subjectives est un nouveau clou enfoncé dans le dos des « petits candidats ». Ils sont petits, qu’ils le restent !
On peut effectivement se dire que, si un clown se présente comme candidat, il paraît logique de ne pas trop lui donner la parole pour éviter aux gens de perdre leur temps. Le problème de la loi en question est : qui décide ? Les « petits candidats » n’ont-ils réellement tous « rien à dire » ? Qui juge qu’ils sont « petits » ?
Quelques précisions
La loi précise trois manières de « calibrer » l’importance des candidats :
en fonction des résultats obtenus aux plus récentes élections par les candidats ou par les partis et groupements politiques qui les soutiennent,
en fonction des sondages d’opinion,
la contribution de chaque candidat à l’animation du débat électoral.
Le premier point est totalement hors sol. C’est un peu comme si les opinions des peuples ne changeaient jamais, comme si l’environnement ne se transformait pas, comme si aussi les formations politiques ne variaient jamais leurs discours. Comme si la politique était quelque chose de statique. Quel intérêt à élire de nouvelles têtes, dans ce cas ? La loi est clairement faite pour que rien ne change.
Quant au deuxième point, les « sondages d’opinion » sont financés par les mêmes qui financent les médias. Ils ont donc exactement les mêmes conflits d’intérêts et mettent donc en avant exactement les mêmes candidats. Qui contrôle le bon fonctionnement de ces sondages ? Ah oui, une autre coquille vide, la « commission des sondages ».
Heureusement que le ridicule ne tue pas, car le dernier point est évidemment une mesure qui se mort la queue. Un candidat ne peut contribuer au débat que si on le laisse parler en premier lieu…
Le test du terrain
Prenons un exemple précis pour juger de la pertinence de cette loi.
Le candidat ayant le plus de temps de parole cumulé en janvier 2022 est de très loin… Éric Zemmour.
Or, il n’a jamais été candidat, n’est pas dans un parti. Par ailleurs, il est crédité tout au plus de 15 % des votes.
À l’autre extrémité du spectre, tout en bas du graphique, une candidate, Clara Egger, a eu droit à 0 secondes de temps de parole dans les principaux médias. Pourtant, le programme de cette candidate est axé sur une mesure soutenue par une grande majorité de Français. En effet, elle soutient le RIC. Un sondage Ifop montre que 73 % des Français y sont favorables.
On a donc d’un côté un candidat qui se répète en boucle sur tous les plateaux télé alors qu’il attire moins d’un Français sur 5, et de l’autre côté une candidate soutenant une mesure plébiscitée par les 3/4 des Français qui n’a pas eu le droit à une seule seconde de temps de parole.
Un véritable scandale…
Loin du discours officiel et lissé, les temps de parole sont donc choisis par les médias. Évidemment, les discours les plus clivants sont retenus en priorité, tandis que les idées qui pourraient rassembler le peuple sont recalées.
Cela a un impact majeur sur le fonctionnement de la République et de la représentativité des élus. En effet, comme l’indique très justement le blog que j’ai reproduit plus haut, la conclusion qui en découle est que :
Le candidat vainqueur de l’élection n’est pas le candidat privilégié des Français, mais celui des médias.
Ainsi, les quelques milliardaires qui se partagent le contrôle des médias sont en réalité ceux qui élisent le futur candidat. Pas vous, cher lecteur, navré de vous délivrer peut-être un petit électro-choc.
Dans mon roman « Le Président Providentiel », c’est un candidat totalement inconnu du peuple qui se présente. Plébiscité par les médias, le résultat n’est pas surprenant.
Un petit outil à disposition
Les fichiers du CSA étant assez indigestes pour le citoyen lambda, je mets à disposition un petit outil pour visualiser les temps de parole des candidats. Il s’agit de graphes qui permettent de voir d’un seul coup d’œil le gouffre qui sépare les « baleines » des « sauterelles », pour reprendre l’analogie du blog « Notre Époque ».
Pour y accéder, cliquer sur l’image ci-dessous :
On va me dire qu’il y a bien parité pour les 4 ou 5 premiers candidats. Mais il faut se rendre à l’évidence, tous sont extrêmement clivants. Par ailleurs, ils se ressemblent tous sur les sujets les plus essentiels :
création monétaire,
évasion fiscale,
répartition des richesses,
corruption,
souveraineté nationale,
impuissance du peuple.
Où sont les rares candidats qui pourraient changer quelque chose à ces points essentiels ? Ils obtiennent littéralement mille fois moins de temps de parole que les autres. Autant dire que, pour qu’ils soient élus, il faudrait un miracle, une licorne statistique, de ce genre :
Visualisé ainsi, c’est déjà beaucoup plus clair.
Conclusion
La fameuse « parité des temps de parole » est une vaste farce. Il n’y a strictement aucune parité, tout le temps de parole est donné aux futurs vainqueurs élus par les médias.
Où sont donc les « autorités » censées s’assurer du « bon fonctionnement » de la République ? Mais que fait la police ? Comment croire encore à la « démocratie » pourtant dans toutes les bouches ?
Dans le billet précédent, une des hypothèses que j’ai émises — et réfutées — pour tenter d’expliquer la corrélation entre temps de parole et suffrage est celle selon laquelle les critères de sélection des journalistes sont les mêmes que ceux de l’électeur moyen. Entre autres arguments, je donne l’exemple de la notoriété sur Internet pour illustrer la disparité entre la popularité d’un parti sur Internet et celle auprès des journalistes. Je propose dans ce billet d’étudier ce phénomène d’un peu plus près.
Une manière indirecte de mesurer l’intérêt de la population pour les différents partis est d’observer la popularité de leurs sites Internet. Ce n’est naturellement pas une mesure indépendante du temps de parole dans les grands médias, puisque, comme nous l’avons vu précédemment, les premières sources d’information politique en France sont les médias de masse que sont la télévision et la radio (Vedel, 2006 ; Brouard et Zimmermann, 2012). Mais Internet est un média intéressant puisqu’il permet à la personne de choisir l’information politique qu’il désire. Le lien unidirectionnel émetteur–récepteur des médias traditionnels, où l’auditeur ou téléspectateur subit le choix de présélection des journalistes, devient bidirectionnel avec Internet. Le traffic des sites Internet des partis est donc corrélé à l’intérêt politique des internautes. Le temps de parole médiatique, comme nous l’avons vu précédemment, est, lui, directement lié à l’intérêt des journalistes, nonobstant les quelques contraintes du CSA. (Voir ce billet pour les mécanismes influençant le temps de parole médiatique.)
Il est donc très pertinent d’utiliser la popularité sur Internet pour tenter d’évaluer la popularité intrinsèque d’un parti, puisque, du fait de la structure même du réseau, toutes les idées sont a priori à armes égales. Alors que le temps de parole médiatique mesure ce qui sort d’un haut parleur, même si personne n’écoute, la popularité Internet mesure la curiosité des internautes pour les différentes formations politiques.
Popularité des sites Internet des partis politiques
Les graphiques des Figures 1 et 2 montrent la popularité des sites Internet des listes principales s’étant présentées aux dernières élections européennes. J’ai relevé la popularité mesurée par le site Alexa, le 11 septembre 2014, date où j’ai commencé à faire des analyses pour ce billet1. Alexa génère un classement mondial des sites en fonction du nombre de visiteurs (uniques et non uniques). Je sais bien qu’il aurait fallu, pour être plus précis, obtenir les rangs pendant la campagne électorale, mais je pense que d’une certaine manière, les mesures en « période creuse » offrent aussi un certain intérêt, puisqu’elles permettent d’observer les popularités des partis en temps normal, non biaisées par l’insistance des médias de masse qui caractérisent les campagnes électorales. Observons tout d’abord ces fameux rangs sur les Figures 1 et 2 :
Fig. 1—Rang mondial normalisé des sites des différents partis politiques, selon Alexa.com. Mesuré le 11 septembre 2014. À noter que les Fédéralistes et les Féministes ne sont pas répertoriés sur Alexa du fait d’un traffic trop faible. Ils n’apparaissent donc pas sur ce graphique.
Fig. 2—Rang mondial normalisé des sites des partis politiques, selon Alexa.com. Mesuré le 11 septembre 2014. Détail du graphique de la Fig. 1, renormallisé de manière à ce que DLR = 0%.
Qu’il a-t-il à dire sur ces graphiques ? La première chose est que l’on observe un grand nombre de partis ayant une popularité relativement similaire, allant du FN à DLR. Le détail (Fig. 2) montre qu’il y a en fait une diminution à peu près linéaire du FN à DLR. Ensuite, à partir de DLR (Fig. 1), on observe une diminution linéaire plus brutale. On n’observe pas, comme c’est le cas pour les temps de parole médiatique, deux ou trois partis largement devant, et les deux tiers des « plus petits » écrasés par les autres (voir le premier graphique de ce billet). La popularité sur Internet semble donc plus égalitaire que le temps de parole médiatique mesuré pendant la campagne électorale 2014.
Il faut cependant faire attention en interprétant ces données, parce que le rang n’est pas une mesure linéaire (la plupart des sites Internet ont un traffic moyen ou très faible, et il y a moins de très gros sites). Une mesure permettant de comparer plus précisément la popularité des différents partis serait le nombre de visiteurs journaliers moyen, auquel je n’ai pas accès.
Une première hypothèse pouvant expliquer la distribution plus égalitaire, du moins pour les partis dits petits, est que le traffic est en grande partie constitué par des habitués de chaque site : des militants, membres ou sympathisants, qui vont s’informer sur leur formation politique préférée. Ces rangs pourraient donc mesurer en partie la capacité de ces partis à faire venir leurs sympathisants sur leur site Internet (via les médias traditionnels, le terrain ou les réseaux sociaux). Les partis peu médiatisés s’efforcent d’utiliser Internet pour faire connaitre leur parti, ce qui est inutile pour les partis médiatisés. Une autre hypothèse (pouvant compléter la première) : Internet étant utilisé comme prolongement des médias traditionnels en ce qui concerne l’information politique (TNS-Sofres, 2007), on peut imaginer que les gros partis, déjà largement médiatisés, ne nécessitent pas d’aller chercher des informations complémentaires sur la toile, alors que pour les autres, leur temps de parole médiatique réduit piquerait la curiosité des auditeurs, qui iraient chercher des informations complémentaires sur Internet. C’est l’hypothèse la plus probable à en juger l’audience des sites partisans (TNS-Sofres, 2007, 4e tableau).
Temps de parole médiatique contre Popularité du site : les tendances
Pour ce billet, j’ai étendu l’étude de corrélation initiale (rapportée dans le premier billet de la série) en effectuant une analyse de corrélation multiple, avec portion du temps de parole médiatique (son logarithme) et popularité du site (inverse du logarithme décimal du rang) en variables indépendantes et portion des suffrages en variable dépendante (son logarithme). Avec ces deux variables, 86,5 % de la variance des résultats du suffrage aux dernières élection est expliquée. Si le temps de parole seul est utilisé, 85 % en sont expliqués2. La popularité du site Internet a donc un très faible pouvoir explicatif complémentaire au temps de parole médiatique pour comprendre la répartition des suffrages.
Rentrons maintenant dans le vif du sujet et regardons le lien entre temps de parole médiatique (pendant la campagne des européennes 2014) et popularité du site Internet, avec la Figure 3 :
Fig. 3—Corrélation entre temps de parole médiatique pendant la campagne des élections européennes et popularité du site de chaque parti. Temps de parole croissant de bas en haut, et popularité croissante de gauche à droite. La corrélation est positive. NB : Les sites des Fédéralistes et des Féministes étaient trop peu populaires pour être indexés par Alexa.com. Ils ne figurent donc pas sur ce graphique.
On observe que le temps de parole médiatique est corrélé positivement à la popularité du parti sur Internet. Le taux de corrélation est de 47 %, qui est un taux assez moyen.
La corrélation positive s’explique certainement par le fait qu’Internet est utilisé comme le prolongement des médias traditionnels (TNS-Sofres, 2007), eux-mêmes première source d’information politique. Un parti médiatisé est un parti connu, sur lequel on cherchera des renseignements complémentaires sur Internet. Inversement, un parti peu médiatisé est un parti méconnu, dont il ne viendra pas à l’idée d’aller chercher des informations sur Internet. La relative faiblesse de la corrélation (du moins par rapport aux 85 % que nous avons vu entre temps de parole et suffrages) est certainement du fait des facteurs suivants :
– Premièrement, la population utilisant Internet pour s’informer sur la politique n’est pas représentative de la population française : elle est plus éduquée, plus masculine, et avec plus forte proportion de cadres, de fonctionnaires et de travailleurs indépendants, et une plus faible proportion d’ouvriers (TNS-Sofres, 2007).
– Deuxièmement, même s’il est difficile de le prouver, il est probable que la faiblesse de la corrélation reflète le décalage entre les centres d’intérêt des journalistes et ceux de la population française.
Sous-médiatisations et sur-médiatisations flagrantes par rapport à la popularité sur Internet
Si nous reprenons notre exemple entre le NPA, Nouvelle Donne (ND), Nous Citoyens (NC) et l’Union Populaire Républicaine (UPR) — je rappelle que cet exemple est intéressant parce qu’il permet de contrôler plusieurs variables, dont le temps de parole médiatique (NPA ≈ ND ≈ NC), l’ancienneté du parti (ND ≈ NC ≈ UPR) ainsi que, supposément, la taille en nombre d’adhérents —, on observe sur la Figure 3 que ND, NC et le NPA se trouvent près de la droite de régression : c’est-à-dire que la popularité de leur site Internet reflète bien leur taux de médiatisation. L’UPR, par contre, se trouve bien au-dessus de la moyenne : ce parti est sous-médiatisé par rapport à sa popularité sur Internet (ou bien sa popularité sur Internet est bien supérieure à son taux de médiatisation). C’est d’ailleurs le troisième site le plus visité après le Front National et le FdG — eux aussi tout-à-fait dans la moyenne. À l’inverse, le PS, l’UMP, le MoDem, ou encore Force Vie, ne génèrent que peu d’intérêt sur Internet, au vu de leur médiatisation.
Les Figures 4 et 5 présentent des cas de sur- et de sous-médiatisation de partis par rapport à leur popularité sur Internet (ces deux graphiques ne diffèrent que par leur axe des ordonnées) :
Fig. 4—Temps de parole médiatique de différents partis en fonction de leur popularité sur Internet. Les différentes couleurs indiquent si un parti est sous-médiatisé (bleu), moyennement médiatisé (rouge) ou sur-médiatisé (vert) par rapport à sa popularité sur Internet. Échelle logarithmique.
Fig. 5—Même chose que la Figure 4, mais avec une échelle linéaire.
Des partis de popularité Internet très différentes, mais traités identiquement par les grands médias
On observe d’une part trois partis (PPLD, le Parti pirate et l’UPR) dont la portion de temps de parole médiatique est à peu près la même (entre 0,25 % et 0,37 %), mais dont la popularité sur Internet est très différente (PPLD est dans les moins populaire et l’UPR est le troisième plus populaire). Sur notre échelle d’ordre de grandeur allant de la sauterelle à la baleine, le temps de parole de ces trois partis est équivalent au chat (voir ce billet).
Des partis populaires, voire très populaires sur Internet, mais sans accès aux médias
C’est le cas, comme le montrent les Figures 4 et 5, du Parti pirate — 11e site le plus populaire sur Internet, deux places devant DLR — et de l’UPR — 3e site le plus populaire de tous.
– Le cas de l’UPR est flagrant : subissant le même traitement médiatique que des partis quasiment absents sur Internet comme le Parti pour la décroissance malgré sa très forte popularité sur la toile. Comparé à EELV, situé dans la moyenne avec 8,70 % de temps de parole, l’UPR est un chat à côté d’un homme (voir ce billet). Dans le même temps, l’UMP, de popularité sur Internet équivalente à l’UPR et EELV, apparaît largement sur-médiatisée. Sur notre échelle, UMP est une baleine. Pour les partis très populaires sur Internet, nous avons donc des temps de parole médiatique d’ordre de grandeur allant du chat à la baleine en passant par l’homme. Or l’UPR n’est pas un parti fantaisiste (son président-fondateur est un haut fonctionnaire ayant travaillé dans des cabinets ministériels) et suscite aussi de l’intérêt sur le terrain, puisqu’il rassemblait déjà plus de 5000 adhérents pendant la campagne des européennes (il approche désormais les 6000).
– Moins flagrant mais tout aussi remarquable est la sous-médiatisation du Parti pirate au vu de sa grande popularité sur Internet. Il est à souligner que le Parti pirate est membre du Parti pirate international, dont certains de ses partis membres ont obtenu de nombreux sièges dans d’autres pays, notamment en Allemagne. Ce n’est donc pas non plus un parti fantaisiste comme l’est par exemple le Parti du plaisir. Remarquons cependant que les propositions phares du parti ont trait aux libertés individuelles, en particulier sur Internet, ce qui contribue sûrement à sa popularité auprès des internautes et sa forte présence sur la toile. Toujours est-il que le Parti pirate est plus populaire que DLR sur Internet mais obtient une portion de temps de parole 10 fois inférieure. Le MoDem, de popularité Internet quasiment identique, obtient, lui, une portion de temps de parole 30 fois supérieure et est donc sur-médiatisé selon cette échelle.
Le cas « Force Vie »
Le cas Force Vie est intéressant : un parti quasiment inexistant sur la toile mais bénéficiant d’un temps de parole comparable à celui de DLR ou de ND. Force vie est avant-avant-dernière dans le classement Alexa des listes que nous avons pris en compte, juste avant les partis tellement peu populaires sur Internet qu’ils ne sont même pas répertoriés (les Fédéralistes et les Féministes) ! Le site de Force vie est tellement peu populaire que même le site Notre Époque le dépasse !! Voir Figures 6 et 7 :
Fig. 6—J’ai le plaisir d’annoncer que le 14 septembre 2014, le site Notre Époque était le 11 457 310e site le plus visité au monde !
Fig. 7—J’ai le regret d’annoncer que le site de Force vie se trouve plus de 2 millions 500 mille places derrière Notre Époque…
De plus, au vu de sa médiatisation (2,17 % du temps de parole), Force Vie a obtenu un très faible résultat aux élections : 0,73 % des suffrages. À titre de comparaison, DLR a bénéficié de 3,45 % du temps de parole et a obtenu 3,82 % des suffrages ; Nouvelle donne 1,95 % et 2,90 % ; Nous Citoyens 1,37 % et 1,41 % ; Lutte Ouvrière 1,64 % et 1,17 %.
Force vie bénéficie donc d’un temps de parole très élevé dans les médias lorsqu’on observe l’absence d’intérêt des électeurs et des internautes.On peut se demander pour quelle raison Force vie est mis en avant par les journalistes plutôt que le Parti pirate ou l’UPR.
Conclusion
On observe donc une corrélation positive entre intérêt des internautes pour un parti et sa médiatisation. Cependant, cette corrélation est relativement faible, et de forts écarts de médiatisation existent pour un intérêt sur Internet similaire (inversement, de fortes différences d’intérêt sur Internet existent pour un même taux de médiatisation). Quelques cas extrêmes ont attiré notre attention :
Tout d’abord, Force vie est un parti largement sur-médiatisé compte tenu à la fois de l’absence intérêt qu’il suscite sur la toile et pour les urnes. À l’inverse, le Parti pirate, parti aussi populaire que DLR ou le MoDem sur Internet, bénéficie d’un temps de parole très faible. Un exemple encore plus flagrant est celui de l’UPR, qui est plus populaire sur la toile que l’UMP ou EELV mais qui est beaucoup moins médiatisé que Force vie (voir Figures 4 et 5).
Le rôle des journalistes politiques est d’informer la population générale sur l’ensemble des options d’idées et mouvements politiques existants dans le pays, suivant le principe d’équité. C’est un devoir en temps normal, mais c’est d’autant plus vrai en ces temps de crise politique, où tous les partis médiatisés ont perdu leur légitimité (TNS-Sofres, 2014, p. 20) et d’où tombent de manière quasi-hebdomadaire de nouveaux scandales (je ne vais pas faire la liste).
L’analyse que j’ai présentée, dans ce billet et dans les autres, ne peut nous mener qu’à la conclusion que les journalistes politiques des grands médias ne fonctionnent pas de manière démocratique et faillissent à leur devoir d’information : ils mettent sous les feux de la rampe certains partis, à commencer par l’UMP, le PS et le FN, menant de manière quasi-mécanique à leur élection, mettent en avant des « petits » partis, y compris ceux qui n’intéressent nullement les Français, tel que Force vie, donnant ainsi l’illusion de diversité de l’offre politique, et bloquent l’accès au médias de certains autres, pour des raisons obscures, y compris ceux suscitant manifestement l’intérêt d’une partie de la population, comme le Parti pirate ou l’UPR.
TNS-Sofres (2007). Les internautes et la politique. Par Sylvain BROUARD, Vincent TIBERJ, Thierry VEDEL. 21/03/2007.
TNS-Sofres (2014). Le baromètre politique Figaro Magazine, Septembre 2014.
Vedel (2006). Les électeurs français et l’information télévisée. Le Baromètre Politique Français (2006-2007) CEVIPOF – Ministère de l’Intérieur.
Notes de bas de page
Pour le Front de Gauche, la mesure a été prise le 14 septembre sur le site du blog de Mélenchon, qui est plus populaire que le site officiel du parti. ↩
Le résultat est légèrement différent que pour le premier billet parce que j’ai utilisé un logiciel différent. Certainement une histoire de chiffres arrondis. ↩
Dans le premier billet sur ce sujet, nous avons mis en évidence l’existence d’une forte corrélation entre temps de parole médiatique et suffrages. Dans le deuxième, nous avons comparé notre observation à ce qu’en disent les experts et avons conclu à l’existence d’un lien quasi-mécanique entre ces deux variables (les coefficients de corrélation allant de 0,80 à 0,97 !)
Le présent billet vise à explorer les causes de cette corrélation. Si vous pensez que j’ai oublié des explications possibles, n’hésitez pas à faire des suggestions dans les commentaires. Je mettrai ce billet à jour si je pense que des idées en valent la peine.
Je préviens le lecteur que ce troisième billet sur cette corrélation va enfoncer beaucoup de portes ouvertes. Si la relation dans le sens Temps de parole → Nombre de votes apparaît comme la plus évidente, il est cependant facile de se faire accuser (c’est d’ailleurs un reproche qui m’a été fait) d’être tombé dans le piège du sophisme Cum hoc ergo propret hoc, où l’on conclut à une relation causale après n’avoir observé qu’une simple corrélation. Je propose donc d’explorer diverses hypothèses de causalité afin d’étayer (ou non) la plus évidente et écarter (ou non) les autres mécanismes possibles. Nous n’arriverons pas à des certitudes, puisque cela nécessiterait des études statistiques et historiques détaillées. L’idée est de développer quelques idées (certaines d’entre elles déjà évoquées dans des billets précédents ainsi que par des lecteurs, que je remercie pour leur interventions très pertinentes).
Les différents liens causaux
Les liens de causalité possibles
La Fig. 1 ci-dessous liste deux types de relations causales hypothétiques pouvant expliquer la corrélation. Les liens directs sont illustrés par les Fig. 1A et B, et les liens indirects par les Fig. 1C et D. La Fig. 1A illustre le lien causal le plus évident : plus le temps de parole P alloué dans les médias audiovisuels de masse est important, plus les électeurs sont favorables au parti lors du scrutin S. La Fig. 1B illustre la relation inverse : le temps de parole est influencé par le scrutin. Cette hypothèse est à écarter d’emblée car le scrutin s’effectue une fois les temps de parole écoulés1. Enfin, les Fig. 1C et D illustrent des relations indirectes. Fig. 1C illustre une cause commune CC agissant à la fois sur le temps de parole et l’issue du scrutin. Le lien entre le temps de parole et la cause commune peut être bidirectionnel. La Fig. 1D illustre un ensemble de causes communes corrélées entre elles. Il est à noter que les mécanismes A, C et D peuvent agir simultanément à des degrés divers, renforçant ainsi la corrélation2. Voir le Paragraphe bonus en fin d’article pour l’hypothèse d’absence de liens causaux.
Liens causaux pouvant expliquer la corrélation entre temps de parole et scrutin : (A) Le temps de parole P influence le scrutin S ; (B) Le scrutin influence le temps de parole (lien causal impossible) ; (C) Une cause commune CC — le lien entre la cause commune et le temps de parole peut être bidirectionnel ; (D) Un ensemble de causes communes interagissant entre elles.
Dans les paragraphes suivants, je liste des mécanismes possibles illustrant les liens causaux précédemment cités, et discute de leur importance.
La relation directe Temps de parole → Nombre de votes (A)
C’est naturellement à la fois l’hypothèse la plus évidente et la plus probable. Les interactions entre les médias audiovisuels de masse et la population est une relation quasi-unidirectionnelle où le téléspectateur (ou l’auditeur) est dans une situation de réception de l’information. C’est littéralement une relation d’émetteur à récepteur. Il est donc très facilement concevable que s’il y a un mécanisme direct, c’est celui selon lequel l’information portée au public influence le vote. Ceci est d’autant plus probable que la population s’informe sur la politique d’abord et avant tout via les médias de masse (Vedel, 2006 ; Brouard et Zimmermann, 2012).
Comme l’indique un sondage de 20 Minutes (2011), les Français ne sont pas dupes sur l’influence des médias, puisqu’ils pensent à 75 % que les médias influencent le vote… des autres ! En revanche, ils sont beaucoup plus naïfs lorsqu’on leur pose la question sur leur propre vote puisque seulement 25 % pensent être influencés eux-mêmes par les médias !
Pour étayer cette hypothèse, l’exemple de la genèse des nouveaux partis politiques s’offre à nous. Les deux exemples suivants confirment que, du moins dans certains cas, la médiatisation précède la montée en popularité et le nombre de votes :
– L’arrivée du Front national sur la scène politique française Ce court article de l’Union Populaire Républicaine3 indique que des journalistes, ainsi que Roland Dumas (ministre des affaires étrangères sous Mitterrand) affirment que c’est bien la médiatisation du FN à partir de février 1984 qui a bel et bien précédé sa montée en popularité. Avant sa médiatisation, voulue par Mitterrand à des fins tactiques pour affaiblir la droite, le FN était un groupuscule. Ici, une décision politique causa une augmentation du temps de parole générant une augmentation de la popularité et du nombre de votes.
– Nouvelle donne, Nous Citoyens et l’Union Populaire Républicaine C’est un exemple que j’ai déjà cité dans le premier billet sur le sujet : Nouvelle donne (ND) et Nous Citoyens (NC) sont deux partis créés en novembre et octobre 2013 respectivement. L’Union Populaire Républicaine (UPR) fut créée en 2007. Alors que, dès leur lancement et pendant la campagne des européennes, ND et NC bénéficièrent de reportages et interviews dans les médias de masse, l’UPR, avait les plus grandes difficultés à s’y faire inviter, malgré ses 7 ans d’existence et ses 5000 adhérents. Pendant la campagne des européennes, ND et NC ont bénéficié de 1,95 % et 1,37 % du temps de parole respectivement, et l’UPR 0,37 %. En reprenant l’échelle imagée du billet précédent sur le sujet, l’UPR est de la taille d’un chat alors que ND et NC sont de la taille d’un homme4. Cette différence d’ordre de grandeur se retrouve dans celle des portions de scrutin de chaque parti : 2,9 % et 1,41 % pour ND et NC et 0,41 % pour l’UPR.
(C et D) Des causes indirectes
– La logique d’audimat Selon cette hypothèse, si un homme ou parti politique génère plus d’audimat, les médias, cherchant à maximiser leur nombre de téléspectateurs, auront tendance à augmenter la médiatisation de ces partis populaires (et vice versa). Il est cependant peu probable que cette hypothèse explique les différences de temps de parole énormes que nous avons relevées. En effet, selon cette hypothèse, il faut d’abord médiatiser un parti pour pouvoir mesurer son audimat.Sans médiatisation préalable, pas de mesure d’audimat, et pas d’adaptation de la médiatisation. Je reprendrai ici l’exemple donné plus haut avec ND, NC et l’UPR : les différences de médiatisation entre ces partis ne se sont pas faites à partir d’un temps de parole à l’origine égal, qui se serait ensuite ajusté par un mécanisme itératif. La médiatisation de ND et de NC a débuté le jour même de leur lancement officiel (Le Parisien, 2013, Le Figaro, 2013) : il était donc impossible de savoir s’ils généreraient plus d’audimat que l’UPR, qui n’avait été quasiment jamais été médiatisé.
– L’adéquation entre les critères des journalistes et des électeurs Selon cette hypothèse, c’est le goût des journalistes, représentatif de celui de la population, qui expliquerait cette corrélation. Ce serait donc l’éloquence, le charisme ou encore les idées ou la crédibilité des représentants de l’UMP par rapport à, disons, ceux de l’UPR qui expliquerait à la fois le rapport de temps de parole de 1/60 entre les deux listes et le rapport de 1/50 en nombre de voix. Dans certains cas, on peut effectivement supposer que des candidats largement écartés par les journalistes seraient aussi écartés par la population même s’ils étaient largement médiatisés (voir par exemple la candidate Cindy Lee – qui d’ailleurs a tout de même eu droit à un reportage au JT de 13h). Mais le corps des journalistes ne constituant pas du tout un échantillon représentatif de la population française et – ce n’est, je pense, un secret pour personne – étant de plus soumis à des pressions politiques et économiques leur empêchant d’opérer en toute indépendance, il serait en fait étonnant que leurs choix soient représentatifs de ceux de la population française. Je reprendrai ici pour la troisième fois – je m’en excuse – l’exemple de Nouvelle donne, Nous Citoyens et l’Union Populaire Républicaine5. De manière très évidente, les médias ont préféré Nouvelle donne, puis Nous Citoyens, et, loin derrière, l’UPR lors des élections européennes. Qu’est-ce qui justifie cela ? Si on peut comprendre que Nouvelle donne propose des idées intéressantes qui méritent d’être diffusées, il est difficile de dire la même chose de Nous Citoyens (ou alors qu’on m’explique ce qu’il y a de neuf dans leurs idées !). A contrario, l’UPR a, elle, beaucoup d’idées originales et en fort contraste avec le reste des partis politiques, et avec de nouvelles têtes (sachant que les Français sont très défiants envers la classe politique actuelle — voir CEVIPOF (2014) — et que le fondateur de ND, Larrouturou, est un habitué du PS et de EELV). Ce que je veux dire par là, c’est qu’il n’y a pas de raison évidente pour que les médias fassent le choix arbitraire d’écarter l’UPR par rapport à ces deux autres formations si leurs critères étaient en adéquation avec celle des citoyens, sachant que l’UPR est le deuxième site visité sur Internet et comptait 5000 adhérents lors de la campagne. (Pour la comparaison entre médiatisation et popularité Internet des partis, voir ce billet.) Naturellement, l’absence d’adéquation parfaite des critères des journalistes et des électeurs est très difficile à prouver, puisque pour tester cette hypothèse, il faudrait que les deux parties aient une connaissance exhaustive de l’ensemble des listes ou candidats. Or, la vision de la population est d’emblée biaisée puisque, encore une fois, ses connaissances se développent d’abord et avant tout par les médias de masse (Vedel, 2006 ; Brouard et Zimmermann, 2012).
– Le passif des partis Une autre cause commune possible est le passif de chaque parti. Cette hypothèse est tout à fait plausible. Premièrement, le score de chaque parti aux élections précédentes influence le taux de médiatisation, puisque c’est un des critères du CSA, ainsi que son budget (voir paragraphe suivant). Deuxièmement, si un parti obtient des sièges, cela peut contribuer à renforcer sa crédibilité auprès des électeurs. C’est probablement ce qui s’est passé une fois la médiatisation du FN amorcée. Une première médiatisation aura créé une réaction en chaîne amenant à plus de popularité, plus de moyens et plus de médiatisation : un phénomène auto-entretenu qui tient à l’histoire du parti.
– Le budget des partis Un budget conséquent permet beaucoup de choses. Sans parler de la possibilité d’acheter directement son passage dans les médias, un gros budget permet de se faire des amis et de se créer un réseau influent (on peut se créer un réseau sans argent, mais celui-ci sera certainement beaucoup moins influent), d’organiser des événements d’une taille conséquente qui seront repris par les médias ou qui les contourneront, etc. Je n’ai pas vérifié les données, mais ce visuel circulant sur Internet montre qu’il y a une corrélation entre temps de parole, nombre de votes et recettes de campagne.
Corrélation entre temps de parole, nombre de votes et recettes de campagne pour les présidentielles 2012.
– Le temps de parole indirect Le temps de parole étant une mesure tellement grossière, il est étonnant d’observer une corrélation d’une telle force. En considérant que la médiatisation est la cause principale du vote, il est très probable que d’autres aspects de la médiatisation n’étant pas pris en compte renforcent la corrélation. Ainsi, le nombre de publications de presse écrite dédiés à chaque candidat est probablement corrélé au temps de parole. Il ne serait pas étonnant non plus que les candidats bénéficiant du temps de parole le plus élevé sont aussi ceux qui sont invités aux émissions de grande écoute6. Enfin, certains thèmes sont immédiatement associés à certains partis. Par exemple, certains experts considèrent que le score du FN en 2002 s’explique en partie par la sur-médiatisation des problèmes d’insécurité (Darras, 2009). De même, le discours eurocritique est systématiquement associé au FN. Inversement, on n’entend pas plus parler du rétablissement de la royauté que du parti royaliste, ou pas plus de la souhaitabilité d’une réduction du PIB que du parti de la décroissance. Donc, au temps effectif du temps de parole des partis s’ajoute le temps durant lequel il est question de ces partis, et le temps durant lequel il est question de thèmes associés aux partis, et il est fort probable que, une fois ces décomptes ajustés, les disparités de temps de parole « étendu » entre partis soient accentuées.
Conclusion
Pour résumer : la logique d’audimat, l’équivalence entre l’intérêt et les critères des journalistes par rapport à ceux de la population ne semblent pas être des explications convaincantes à la corrélation observée. Du fait du caractère unidirectionnel des médias traditionnels, c’est bel et bien la médiatisation, comprenant le temps de parole direct et indirect, qui semble être la principale cause à l’origine des résultats du scrutin. Cette médiatisation permet d’entretenir le status quo, garantissant de construire un historique et un budget robustes, favorisant médiatisation et succès aux scrutins futurs.
Cela me permet donc de conclure exactement de la même manière que les billets précédents.
Ainsi, comme le dit Pierre Bourdieu dans sa conférence télévisée : «La télévision devient l’arbitre de l’accès à l’existence sociale ». Pour détruire donc un objet social (parti politique, idée…), rien de plus simple : il suffit de le nier7.
Rémon (2004) rejoint d’ailleurs exactement Bourdieu sur ce point :
« Les médias jouent un rôle par la sélection même de l’information, l’importance qu’ils décident d’accorder ou de refuser à tel événement : ce dont ils ne parlent pas n’existe pas. Il leur est possible en quelque sorte de refuser l’existence à un homme, un parti, une institution, ou un événement ; or, l’électeur n’entre en rapport avec la politique que par leur intermédiaire et en particulier par le truchement de la télévision. »
Cette sélection se fait par l’octroi d’un ordre de grandeur du temps de médiatisation direct et indirect. Des candidats peuvent ainsi être mis à l’index par les médias avec un octroi de 5 %, 1 %, 0,1 % voire 0,01 % du temps de parole. Les électeurs votent en masse pour les candidats bénéficiant du temps de parole le plus important. Leur choix s’exerce sur cette liste pré-sélectionnée par le système médiatique.
Dans un prochain billet sur ce sujet, je parlerai des forces contraires à cette corrélation et sur les manières de sortir de ce cercle vicieux, en partie responsable de la crise politique que nous sommes en train de traverser.
Paragraphe bonus : L’hypothèse d’absence de lien
Une dernière hypothèse que j’ai écartée du billet pour des raisons de concision : celle selon laquelle il n’existerait aucune relation causale. Autrement dit : les corrélations observées seraient le fruit du hasard — c’est tout-à-fait possible8. Je ne vais pas me lancer dans le calcul de la p-value afin d’évaluer la probabilité que nos résultats soient fortuits. D’abord parce que je n’ai pas envie d’y passer du temps (ce n’est pas un papier scientifique mais un blog), et deuxièmement parce que ce n’est pas nécessaire. [Mise à jour 17/07/2015 : Suite à une discussion, j’ai calculé les-dites p-values. Voir plus bas.] Nous avons effectivement relevé des corrélations très fortes, toutes supérieures à ρ = 0,80 (je rappelle qu’une relation linéaire parfaite aurait un coefficient de 1), pour tout une série de scrutins : – Les présidentielles de 2002 (ρ = 0,82 d’après Darras, 2009) ; – Les présidentielles de 2007 (ρ = 0,97 toujours d’après le même auteur) ; – Les présidentielles de 2012 (ρ = 0,94 d’après nos propres calculs) ; – Les européennes de 2014 (ρ = 0,86 aussi d’après nos propres calculs). Il est donc extrêmement peu probable que cette série de corrélations soit le fruit du hasard. Je parle d’une probabilité de l’ordre de 1 chance sur mille voire beaucoup plus9. [Mise à jour 17/07/2015 : J’ai finalement calculé ces probabilités. Elles sont effectivement extrêmement faibles : p < 2×10-17, p < 5×10-6 et p < 3×10-11 pour les Présidentielles2012+Européennes2014, les Présidentielles 2012 seules et les Européennes 2014 seules, respectivement.] Il y a donc un mécanisme logique, quelque part, expliquant cette corrélation.
Références
20 Minutes (2011). Les Français et l’information à l’occasion de l’élection présidentielle : Attentes, comportements, usages. Étude « 20 Minutes » avec Ipsos. Novembre 2011.
CEVIPOF (2014). Le baromètre de la confiance politique. Vague 5 – janvier 2014.
Darras (2009). « Free Journalism Under Control: Election Coverage in France » [« Le journalisme libre sous contrôle : la couverture médiatique des élections en France »] dans J. Strömbäck et L. Lee Kaid (Eds.) The handbook of Election News Coverage Around the World [« Manuel sur la couverture médiatique des élections à travers le monde »], (p. 90–108). Taylor & Francis e-Library.
Rémond (2004). Les médias font-ils l’élection ? Retour sur une controverse. Le Temps des médias n°3, automne 2004, p. 175-181. Propos recueillis par Christian Delporte et Marie Lhérault.
Vedel (2006). Les électeurs français et l’information télévisée. Le Baromètre Politique Français (2006-2007) CEVIPOF – Ministère de l’Intérieur.
Notes de bas de page
Bien que la rétrocausalité soit un phénomène pris au sérieux par certains philosophes et scientifiques ! ↩
Je ne parlerai pas ici des liens causaux inverses, c’est-à-dire agissant contre la corrélation, qui existent et qui expliquent entre autres les bons scores du FN au vu de son temps de parole. Nous évoquerons ces mécanismes dans un autre billet. ↩
Si je cite souvent l’UPR, c’est parce qu’ils fournissent des analyses très pertinentes sur ce sujet. Par ailleurs, leurs publications ont inspiré ces billets et les citer me permet donc de leur rendre hommage. Enfin, leur cas est assez symptomatique de l’inégalité du temps de parole dans les médias. ↩
L’échelle en question est la suivante : chaque ordre de grandeur de temps de parole correspond à l’ordre de grandeur de la taille d’un animal. Ainsi 0,01 % ~ sauterelle, 0,1 % ~ chat, 1 % ~ homme, 10 % ~ baleine. ↩
La reprise ad nauseam de cet exemple s’explique du fait que cet échantillon permet de contrôler plusieurs variables indépendantes, en particulier l’âge du parti et sa taille. ↩
Pour être beaucoup plus précis, le CSA devrait pondérer le temps de parole par l’audimat. ↩
Voir à ce sujet les nombreux exemples, souvent hilarants — oui, bon, chacun son humour —, du site Spurious Correlations(« Fausses corrélations »), qui recense des corrélations fortuites. ↩
La norme scientifique impose de considérer qu’une hypothèse est validée statistiquement lorsque l’effet mesuré passe le seuil de cinq chances sur cent. ↩
[Ce billet est le 2e de la série sur la corrélation temps de parole–suffrages. Pour l’intégrale des billets sur les médias, voir cette page.]
[Suite du premier billet sur ce sujet, dans lequel je mettais en évidence la très forte corrélation entre temps de parole audiovisuel alloué aux candidats pendant les campagnes européenne et présidentielle, et nombre de suffrages obtenus.Le troisième billet sur ce sujet, portant sur les mécanismes pouvant expliquer la corrélation, se trouve ici.]
Un lecteur du blogue que je remercie grandement au passage, a eu l’amabilité de partager ses réflexion ainsi que des références sur le sujet. Dans ce billet, je voudrais rebondir sur certains éléments de la discussion pour me consacrer à la seule question : y a-t-il vraiment une corrélation entre temps de parole et scrutin ? Je m’y attarde un peu parce que d’après les experts, la chose n’est pas si simple…
Ce que disent les experts en science politique
De manière très étonnante, les universitaires sont très prudents sur cette question de corrélation. Premièrement, c’est une question peu étudiée (je n’ai trouvé que quelques références via Google Scholar en plus des références fournies par le lecteur), et quand elle est étudiée, elle conclut à une influence faible, voire nulle, des médias.
Ainsi, Darras (2009, p. 100) fournit l’exemple du référendum de 1992 sur le traité de Maastricht en citant Gerstlé (1995) qui note « l’absence de lien direct entre temps de parole et résultats électoraux » puisque « toutes choses égales par ailleurs, si 80 % du temps de parole [pour le “oui”] génère 47 % des votes, 20 % du temps de parole [pour le “non”] en produit 52 % ».
De la même manière, René Rémond (2004) affirme que « l’effet [de la télévision] n’est pas déterminant et ne concerne jamais que 6 à 7 % du corps électoral ». Il se fonde sur une étude qu’il a publiée en 1963 sur le référendum de 1962, demandant aux électeurs de se prononcer sur l’élection du Président de la République au suffrage universel1. Cette étude ne mesurera qu’une corrélation nulle, voire légèrement négative, entre taux de pénétration de la télévision dans les foyers et résultat du suffrage (voir Rémond et Neuschwander, 1963). D’où son point de vue.
Après avoir cité le contre-exemple de Maastricht, Darras relève l’exemple de la présidentielle de 2007 qui présente une corrélation de… 0,97 (!!!)2 Non-non, je n’ai pas fait de faute de frappe ! C’est bien 0,97 — je rappelle que le maximum est 1.
Darras explique ensuite que, quand même, tout n’est pas si simple puisqu’en 2002, Jospin a bénéficié d’un temps de parole presque 5 fois plus élevé que Le Pen, mais que ce dernier l’a quand même devancé de presque 200 000 votes. Et puis aussi, cette fois, la corrélation entre temps de parole et vote n’était que de… 0,82 (!!!!).
Un problème vraiment si compliqué ?
Non mais franchement…
Présenter deux corrélations : l’une d’un coefficient de 0,97 et l’autre de 0,82, en sciences humaines, et oser prétendre que le lien entre les deux variables est compliqué, c’est quand même un peu fort de café3…
Dans le billet précédent, nous observions une corrélation de 0,90, combinant à la fois la présidentielle 2012 et les européennes 2014. La corrélation pour les européennes seules est de 0,86 et pour la présidentielle seule de 0,94 !
[Mise à jour 17/07/2015 : Les p-values, sont respectivement p < 2×10-17, p < 5×10-6 et p < 3×10-11. La p-value correspond à la probabilité pour laquelle une corrélation égale ou plus élevée arriverait pas hasard en considérant l’hypothèse nulle (c’est-à-dire l’hypothèse selon laquelle il n’y a pas de lien entre temps de parole et suffrages).]
Il est donc très, très clair que ce n’est pas un hasard. Si la corrélation, même très forte, ne nous dit rien sur les relations causales entre les deux variables (je prévois d’écrire un billet sur ce sujet), il est néanmoins très, très clair qu’il y a un lien quasi-mécanique entre suffrages et médiatisation, et ce malgré toute la prudence des experts, qu’ils soient normaliens, académiciens ou agrégés en science politique.
Le Pen devançant Jospin ? Une histoire de sauterelles et de baleines…
Comment donc expliquer la prudence de nos experts ? C’est simple : ils ne raisonnent pas en termes statistiques. Ils prennent un microscope alors qu’il faut prendre un grand angle. Après avoir découvert pourquoi le vin rouge est rouge et le vin blanc est blanc, ils nous expliquent que la relation entre « couleur du vin » et « variété des raisins » est beaucoup plus compliquée que ça, parce qu’elle n’explique pas la différence de robe entre le Château Mouton-Rotschild de 1982 et celui de 1994.
Se focaliser sur les différences de médiatisation et de suffrages entre Le Pen et Jospin ou le oui/non d’un référendum n’offre aucun intérêt d’un point de vue statistique. D’un point de vue politique et sociologique, bien sûr (« Pourquoi ce malheur ? », « Vis-je dans un pays de fachos ? », « Les médias ont-ils été trop gentils avec Le Pen ? », etc.), mais d’un point de vue statistique pour la question qui nous intéresse, zéro, puisqu’on on se focalise sur seulement deux points de données très proches entre eux sur la droite de régression. En effet, on compare des partis à qui l’on a accordéle même ordre de grandeur de temps de médiatisation : même si un facteur 5 peu paraître élevé, c’est tout de même peu, comparé au facteur 450 que l’on a pu observer par exemple lors de la campagne aux européennes.
Et aux européennes, il y avait 4 ordres de grandeur : les sauterelles (~0,01 mètre), les chats (~0,1 m), les hommes (~1 m), et les baleines (~10 m). Ce sont les mêmes comparaisons des ordres de grandeur respectifs entre les Communistes (~0,01 %), l’UPR (~0,1 %), Lutte Ouvrière (~1 %) et l’UMP (~10 %). Vous l’avez compris : pour ces dernières européennes, l’UMP, le PS et le FN sont chacun de la taille d’une baleine (plus ou moins grosse), et les Communistes, c’est une sauterelle.
La taille de la baleine eubalaena est à la taille de l’homme ce que le temps de parole de l’UMP est au temps de parole de Lutte Ouvrière : un ordre de grandeur de différence. Source : National Geographic. Photographie de Brian Skerry.
Tout comme la quantité de nourriture ingérée reflète notre taille (en ordre de grandeur), le pourcentage de suffrages reflète le pourcentage du temps de parole (toujours en ordre de grandeur). Il est très clair qu’en règle générale, je mange beaucoup plus que mon chat, qui mange beaucoup plus que la sauterelle qui traîne dans le jardin. En général, je mange aussi plus que ma petite cousine qui a 15 ans, mais si elle a passé l’après-midi à la piscine et qu’elle a très faim, et que moi, je me sens un peu barbouillé à cause de la pizza de ce midi, il se peut qu’elle mange plus que moi.
De même, une petite baleine peut manger plus qu’une grosse, et là, effectivement, il faut chercher d’autres facteurs explicatifs que la taille de la baleine : l’une est peut-être en croissance, ou enceint, l’autre malade, ou peut-être est-ce la qualité de la nourriture, etc.
Ainsi, les facteurs expliquant la différence de suffrages entre le FN et le PS (ou le « oui » et le « non ») ne sont pas à chercher dans leurs temps de parole respectifs, mais effectivement du côté du contexte politique ou médiatique, de la situation économique, de la qualité de la campagne, de la qualité des candidats, etc. (et ça, nos experts le font très bien) parce que le temps de parole est trop similaire entre ces deux partis.4
Par contre, le temps de parole est un excellent élément explicatif de la différence de suffrages entre, par exemple, l’UPR et le PS, à qui l’on a accordé des temps de parole d’ordre de grandeur différents.
Pour conclure
La relation entre médiatisation et suffrages est une relation tellement forte qu’elle est quasi-mécanique.Les experts affirmant le contraire se trompent, et la raison est qu’ils étudient des points de données trop proches entre eux et dont les différences ne peuvent s’expliquer exclusivement par le temps de parole, brouillant ainsi leur vision globale et les menant à une conclusion générale erronée. Pourtant, Rémond (2004) semble avoir la bonne intuition lorsqu’il affirme :
« Les médias jouent un rôle par la sélection même de l’information, l’importance qu’ils décident d’accorder ou de refuser à tel événement : ce dont ils ne parlent pas n’existe pas. Il leur est possible en quelque sorte de refuser l’existence à un homme, un parti, une institution, ou un événement ; or, l’électeur n’entre en rapport avec la politique que par leur intermédiaire et en particulier par le truchement de la télévision. »
En prenant l’hypothèse que le lien de causalité va effectivement dans le sens « temps de parole implique suffrage », cette sélection se ferait par l’octroi d’un ordre de grandeur du temps de parole. Des candidats peuvent ainsi être mis à l’index par les médias avec un octroi de 5 %, 1 %, 0,1 % voire 0,01 % du temps de parole. Les électeurs votent pour les baleines, c’est tout. Le reste (hommes, chats, sauterelles) est tout simplement mis de côté.
Darras (2009). « Free Journalism Under Control: Election Coverage in France » [« Le journalisme libre sous contrôle : la couverture médiatique des élections en France »] dans J. Strömbäck et L. Lee Kaid (Eds.) The handbook of Election News Coverage Around the World [« Manuel sur la couverture médiatique des élections à travers le monde »], (p. 90–108). Taylor & Francis e-Library.
Gerstlé (1995). La dynamique nationale d’une campagne européenne. dans P. Perrineau et C. Ysmal (Eds.) Le vote des douze, les élections européennes de juin (p. 203–228). Paris : Presses de SciencesPo. Cité dans Darras (2009).
Rémond et Neuschwander (1963). Télévision et comportement politique. Revue française de science politique. Vol. 13(2). p. 325–347.
René Rémond (2004). Les médias font-ils l’élection ? Retour sur une controverse. Le Temps des médias n°3, automne 2004, p. 175-181. Propos recueillis par Christian Delporte et Marie Lhérault.
Notes de bas de page
À l’époque, nous explique Rémond, la victoire du « oui » avait surpris puisqu’elle était en contradiction avec le vote des parlementaires, qui avaient voté une censure à presque 60 %. La cause était toute trouvé : la télévision, qui était en train de pénétrer les foyers et qui avait influencé les électeurs en faveur du « oui ». Rémond a donc voulu tester cette hypothèse scientifiquement (c’est tout à son honneur !). Il mena une étude (que je trouve très élégante, d’ailleurs) afin d’évaluer la corrélation entre le taux de pénétration de la télévision dans les foyers (à l’époque très hétérogène) et le taux de « oui ». ↩
En prenant le temps de parole de tous les candidats sur les trois chaînes principales. ↩
Probablement tellement émus par le passage de Le Pen au deuxième tour ou du fait que Maastricht soit passé avec justesse qu’ils en ont oublié leurs statistiques élémentaires… ↩
Après, pour les référendums, il y a peut-être aussi d’autres spécificités propres à ce type de scrutin, qui font que la médiatisation est moins importante. Il est vrai que vendre un mot de trois lettres est plus abstrait que de vendre un candidat auquel les gens peuvent s’identifier. Le candidat c’est un peu le produit qu’on achète dans le magasin : on sait à quoi il ressemble, on l’imagine chez soi pour voir si ça ira bien avec la moquette, etc. Répondre à un référendum fait donc peut-être aussi intervenir d’autres mécanismes psychologiques, qui sont peut-être moins influençables par les médias audiovisuels. À creuser… ↩