Le blog dâorigine ayant malheureusement disparu, je reproduis ici le post dâorigine. Il est normalement encore disponible sur lâarchive de lâinternet.
Lâeffrayante corrĂ©lation entre temps de parole et rĂ©sultats des Ă©lections (3) : les mĂ©canismes
Dans le premier billet sur ce sujet, nous avons mis en Ă©vidence lâexistence dâune forte corrĂ©lation entre temps de parole mĂ©diatique et suffrages. Dans le deuxiĂšme, nous avons comparĂ© notre observation Ă ce quâen disent les experts et avons conclu Ă lâexistence dâun lien quasi-mĂ©canique entre ces deux variables (les coefficients de corrĂ©lation allant de 0,80 Ă 0,97 !)
Le prĂ©sent billet vise Ă explorer les causes de cette corrĂ©lation. Si vous pensez que jâai oubliĂ© des explications possibles, nâhĂ©sitez pas Ă faire des suggestions dans les commentaires. Je mettrai ce billet Ă jour si je pense que des idĂ©es en valent la peine.
Je prĂ©viens le lecteur que ce troisiĂšme billet sur cette corrĂ©lation va enfoncer beaucoup de portes ouvertes. Si la relation dans le sens Temps de parole â Nombre de votes apparaĂźt comme la plus Ă©vidente, il est cependant facile de se faire accuser (câest dâailleurs un reproche qui mâa Ă©tĂ© fait) dâĂȘtre tombĂ©Â dans le piĂšge du sophisme Cum hoc ergo propret hoc, oĂč lâon conclut Ă une relation causale aprĂšs nâavoir observĂ© quâune simple corrĂ©lation. Je propose donc dâexplorer diverses hypothĂšses de causalitĂ© afin dâĂ©tayer (ou non) la plus Ă©vidente et Ă©carter (ou non) les autres mĂ©canismes possibles. Nous nâarriverons pas Ă des certitudes, puisque cela nĂ©cessiterait des Ă©tudes statistiques et historiques dĂ©taillĂ©es. LâidĂ©e est de dĂ©velopper quelques idĂ©es (certaines dâentre elles dĂ©jĂ Â Ă©voquĂ©es dans des billets prĂ©cĂ©dents ainsi que par des lecteurs, que je remercie pour leur interventions trĂšs pertinentes).
Les différents liens causaux
Les liens de causalité possibles
La Fig. 1 ci-dessous liste deux types de relations causales hypothĂ©tiques pouvant expliquer la corrĂ©lation. Les liens directs sont illustrĂ©s par les Fig. 1A et B, et les liens indirects par les Fig. 1C et D. La Fig. 1A illustre le lien causal le plus Ă©vident : plus le temps de parole P allouĂ© dans les mĂ©dias audiovisuels de masse est important, plus les Ă©lecteurs sont favorables au parti lors du scrutin S. La Fig. 1B illustre la relation inverse : le temps de parole est influencĂ© par le scrutin. Cette hypothĂšse est Ă Ă©carter dâemblĂ©e car le scrutin sâeffectue une fois les temps de parole Ă©coulĂ©s1. Enfin, les Fig. 1C et D illustrent des relations indirectes. Fig. 1C illustre une cause commune CC agissant Ă la fois sur le temps de parole et lâissue du scrutin. Le lien entre le temps de parole et la cause commune peut ĂȘtre bidirectionnel. La Fig. 1D illustre un ensemble de causes communes corrĂ©lĂ©es entre elles. Il est Ă noter que les mĂ©canismes A, C et D peuvent agir simultanĂ©ment Ă des degrĂ©s divers, renforçant ainsi la corrĂ©lation2. Voir le Paragraphe bonus en fin dâarticle pour lâhypothĂšse dâabsence de liens causaux.

Liens causaux pouvant expliquer la corrĂ©lation entre temps de parole et scrutin : (A) Le temps de parole P influence le scrutin S ; (B) Le scrutin influence le temps de parole (lien causal impossible) ; (C) Une cause commune CC â le lien entre la cause commune et le temps de parole peut ĂȘtre bidirectionnel ; (D) Un ensemble de causes communes interagissant entre elles.
Dans les paragraphes suivants, je liste des mécanismes possibles illustrant les liens causaux précédemment cités, et discute de leur importance.
La relation directe Temps de parole â Nombre de votes (A)
Câest naturellement Ă la fois lâhypothĂšse la plus Ă©vidente et la plus probable. Les interactions entre les mĂ©dias audiovisuels de masse et la population est une relation quasi-unidirectionnelle oĂč le tĂ©lĂ©spectateur (ou lâauditeur) est dans une situation de rĂ©ception de lâinformation. Câest littĂ©ralement une relation dâĂ©metteur Ă rĂ©cepteur. Il est donc trĂšs facilement concevable que sâil y a un mĂ©canisme direct, câest celui selon lequel lâinformation portĂ©e au public influence le vote. Ceci est dâautant plus probable que la population sâinforme sur la politique dâabord et avant tout via les mĂ©dias de masse (Vedel, 2006 ; Brouard et Zimmermann, 2012).
Comme lâindique un sondage de 20 Minutes (2011), les Français ne sont pas dupes sur lâinfluence des mĂ©dias, puisquâils pensent Ă 75 % que les mĂ©dias influencent le vote⊠des autres ! En revanche, ils sont beaucoup plus naĂŻfs lorsquâon leur pose la question sur leur propre vote puisque seulement 25 % pensent ĂȘtre influencĂ©s eux-mĂȘmes par les mĂ©dias !
Pour Ă©tayer cette hypothĂšse, lâexemple de la genĂšse des nouveaux partis politiques sâoffre Ă nous. Les deux exemples suivants confirment que, du moins dans certains cas, la mĂ©diatisation prĂ©cĂšde la montĂ©e en popularitĂ© et le nombre de votes :
â LâarrivĂ©e du Front national sur la scĂšne politique française
Ce court article de lâUnion Populaire RĂ©publicaine3 indique que des journalistes, ainsi que Roland Dumas (ministre des affaires Ă©trangĂšres sous Mitterrand) affirment que câest bien la mĂ©diatisation du FN Ă partir de fĂ©vrier 1984 qui a bel et bien prĂ©cĂ©dĂ© sa montĂ©e en popularitĂ©. Avant sa mĂ©diatisation, voulue par Mitterrand Ă des fins tactiques pour affaiblir la droite, le FN Ă©tait un groupuscule. Ici, une dĂ©cision politique causa une augmentation du temps de parole gĂ©nĂ©rant une augmentation de la popularitĂ© et du nombre de votes.
â Nouvelle donne, Nous Citoyens et lâUnion Populaire RĂ©publicaine
Câest un exemple que jâai dĂ©jĂ citĂ© dans le premier billet sur le sujet : Nouvelle donne (ND) et Nous Citoyens (NC) sont deux partis crĂ©Ă©s en novembre et octobre 2013 respectivement.  LâUnion Populaire RĂ©publicaine (UPR) fut crĂ©Ă©e en 2007. Alors que, dĂšs leur lancement et pendant la campagne des europĂ©ennes, ND et NC bĂ©nĂ©ficiĂšrent de reportages et interviews dans les mĂ©dias de masse, lâUPR, avait les plus grandes difficultĂ©s Ă sây faire inviter, malgrĂ© ses 7 ans dâexistence et ses 5000 adhĂ©rents. Pendant la campagne des europĂ©ennes, ND et NC ont bĂ©nĂ©ficiĂ© de 1,95 % et 1,37 % du temps de parole respectivement, et lâUPR 0,37 %. En reprenant lâĂ©chelle imagĂ©e du billet prĂ©cĂ©dent sur le sujet, lâUPR est de la taille dâun chat alors que ND et NC sont de la taille dâun homme4. Cette diffĂ©rence dâordre de grandeur se retrouve dans celle des portions de scrutin de chaque parti : 2,9 % et 1,41 % pour ND et NC et 0,41 % pour lâUPR.
(C et D)Â Des causes indirectes
â La logique dâaudimat
Selon cette hypothĂšse, si un homme ou parti politique gĂ©nĂšre plus dâaudimat, les mĂ©dias, cherchant Ă maximiser leur nombre de tĂ©lĂ©spectateurs, auront tendance Ă augmenter la mĂ©diatisation de ces partis populaires (et vice versa). Il est cependant peu probable que cette hypothĂšse explique les diffĂ©rences de temps de parole Ă©normes que nous avons relevĂ©es. En effet, selon cette hypothĂšse, il faut dâabord mĂ©diatiser un parti pour pouvoir mesurer son audimat. Sans mĂ©diatisation prĂ©alable, pas de mesure dâaudimat, et pas dâadaptation de la mĂ©diatisation. Je reprendrai ici lâexemple donnĂ© plus haut avec ND, NC et lâUPR : les diffĂ©rences de mĂ©diatisation entre ces partis ne se sont pas faites Ă partir dâun temps de parole Ă lâorigine égal, qui se serait ensuite ajustĂ©Â par un mĂ©canisme itĂ©ratif. La mĂ©diatisation de ND et de NC a dĂ©butĂ© le jour mĂȘme de leur lancement officiel (Le Parisien, 2013, Le Figaro, 2013) : il Ă©tait donc impossible de savoir sâils gĂ©nĂ©reraient plus dâaudimat que lâUPR, qui nâavait Ă©tĂ© quasiment jamais Ă©tĂ© mĂ©diatisĂ©.
â LâadĂ©quation entre les critĂšres des journalistes et des Ă©lecteurs
Selon cette hypothĂšse, câest le goĂ»t des journalistes, reprĂ©sentatif de celui de la population, qui expliquerait cette corrĂ©lation. Ce serait donc lâĂ©loquence, le charisme ou encore les idĂ©es ou la crĂ©dibilitĂ© des reprĂ©sentants de lâUMP par rapport à , disons, ceux de lâUPR qui expliquerait Ă la fois le rapport de temps de parole de 1/60 entre les deux listes et le rapport de 1/50 en nombre de voix. Dans certains cas, on peut effectivement supposer que des candidats largement Ă©cartĂ©s par les journalistes seraient aussi Ă©cartĂ©s par la population mĂȘme sâils Ă©taient largement mĂ©diatisĂ©s (voir par exemple la candidate Cindy Lee â qui dâailleurs a tout de mĂȘme eu droit Ă un reportage au JT de 13h). Mais le corps des journalistes ne constituant pas du tout un Ă©chantillon reprĂ©sentatif de la population française et â ce nâest, je pense, un secret pour personne â Ă©tant de plus soumis Ă des pressions politiques et Ă©conomiques leur empĂȘchant dâopĂ©rer en toute indĂ©pendance, il serait en fait Ă©tonnant que leurs choix soient reprĂ©sentatifs de ceux de la population française. Je reprendrai ici pour la troisiĂšme fois â je mâen excuse â lâexemple de Nouvelle donne, Nous Citoyens et lâUnion Populaire RĂ©publicaine5. De maniĂšre trĂšs Ă©vidente, les mĂ©dias ont prĂ©fĂ©rĂ© Nouvelle donne, puis Nous Citoyens, et, loin derriĂšre, lâUPR lors des Ă©lections europĂ©ennes. Quâest-ce qui justifie cela ? Si on peut comprendre que Nouvelle donne propose des idĂ©es intĂ©ressantes qui mĂ©ritent dâĂȘtre diffusĂ©es, il est difficile de dire la mĂȘme chose de Nous Citoyens (ou alors quâon mâexplique ce quâil y a de neuf dans leurs idĂ©es !). A contrario, lâUPR a, elle, beaucoup dâidĂ©es originales et en fort contraste avec le reste des partis politiques, et avec de nouvelles tĂȘtes (sachant que les Français sont trĂšs dĂ©fiants envers la classe politique actuelle â voir CEVIPOF (2014) â et que le fondateur de ND, Larrouturou, est un habituĂ© du PS et de EELV). Ce que je veux dire par lĂ , câest quâil nây a pas de raison Ă©vidente pour que les mĂ©dias fassent le choix arbitraire dâĂ©carter lâUPR par rapport Ă ces deux autres formations si leurs critĂšres Ă©taient en adĂ©quation avec celle des citoyens, sachant que lâUPR est le deuxiĂšme site visitĂ©Â sur Internet et comptait 5000 adhĂ©rents lors de la campagne. (Pour la comparaison entre mĂ©diatisation et popularitĂ© Internet des partis, voir ce billet.)
Naturellement, lâabsence dâadĂ©quation parfaite des critĂšres des journalistes et des Ă©lecteurs est trĂšs difficile Ă prouver, puisque pour tester cette hypothĂšse, il faudrait que les deux parties aient une connaissance exhaustive de lâensemble des listes ou candidats. Or, la vision de la population est dâemblĂ©e biaisĂ©e puisque, encore une fois, ses connaissances se dĂ©veloppent dâabord et avant tout par les mĂ©dias de masse (Vedel, 2006 ; Brouard et Zimmermann, 2012).
â Le passif des partis
Une autre cause commune possible est le passif de chaque parti. Cette hypothĂšse est tout Ă fait plausible. PremiĂšrement, le score de chaque parti aux élections prĂ©cĂ©dentes influence le taux de mĂ©diatisation, puisque câest un des critĂšres du CSA, ainsi que son budget (voir paragraphe suivant). DeuxiĂšmement, si un parti obtient des siĂšges, cela peut contribuer Ă renforcer sa crĂ©dibilitĂ© auprĂšs des Ă©lecteurs. Câest probablement ce qui sâest passĂ© une fois la mĂ©diatisation du FN amorcĂ©e. Une premiĂšre mĂ©diatisation aura crĂ©Ă© une rĂ©action en chaĂźne amenant Ă plus de popularitĂ©, plus de moyens et plus de mĂ©diatisation : un phĂ©nomĂšne auto-entretenu qui tient Ă lâhistoire du parti.
â Le budget des partis
Un budget consĂ©quent permet beaucoup de choses. Sans parler de la possibilitĂ© dâacheter directement son passage dans les mĂ©dias, un gros budget permet de se faire des amis et de se crĂ©er un rĂ©seau influent (on peut se crĂ©er un rĂ©seau sans argent, mais celui-ci sera certainement beaucoup moins influent), dâorganiser des Ă©vĂ©nements dâune taille consĂ©quente qui seront repris par les mĂ©dias ou qui les contourneront, etc. Je nâai pas vĂ©rifiĂ© les donnĂ©es, mais ce visuel circulant sur Internet montre quâil y a une corrĂ©lation entre temps de parole, nombre de votes et recettes de campagne.

Corrélation entre temps de parole, nombre de votes et recettes de campagne pour les présidentielles 2012.
â Le temps de parole indirect
Le temps de parole Ă©tant une mesure tellement grossiĂšre, il est Ă©tonnant dâobserver une corrĂ©lation dâune telle force. En considĂ©rant que la mĂ©diatisation est la cause principale du vote, il est trĂšs probable que dâautres aspects de la mĂ©diatisation nâĂ©tant pas pris en compte renforcent la corrĂ©lation. Ainsi, le nombre de publications de presse Ă©crite dĂ©diĂ©s Ă chaque candidat est probablement corrĂ©lĂ© au temps de parole. Il ne serait pas Ă©tonnant non plus que les candidats bĂ©nĂ©ficiant du temps de parole le plus Ă©levĂ© sont aussi ceux qui sont invitĂ©s aux Ă©missions de grande Ă©coute6. Enfin, certains thĂšmes sont immĂ©diatement associĂ©s Ă certains partis. Par exemple, certains experts considĂšrent que le score du FN en 2002 sâexplique en partie par la sur-mĂ©diatisation des problĂšmes dâinsĂ©curitĂ©Â (Darras, 2009). De mĂȘme, le discours eurocritique est systĂ©matiquement associĂ© au FN. Inversement, on nâentend pas plus parler du rĂ©tablissement de la royautĂ© que du parti royaliste, ou pas plus de la souhaitabilitĂ© dâune rĂ©duction du PIB que du parti de la dĂ©croissance. Donc, au temps effectif du temps de parole des partis sâajoute le temps durant lequel il est question de ces partis, et le temps durant lequel il est question de thĂšmes associĂ©s aux partis, et il est fort probable que, une fois ces dĂ©comptes ajustĂ©s, les disparitĂ©s de temps de parole « étendu » entre partis soient accentuĂ©es.
Conclusion
Pour rĂ©sumer : la logique dâaudimat, lâĂ©quivalence entre lâintĂ©rĂȘt et les critĂšres des journalistes par rapport Ă Â ceux de la population ne semblent pas ĂȘtre des explications convaincantes Ă la corrĂ©lation observĂ©e. Du fait du caractĂšre unidirectionnel des mĂ©dias traditionnels, câest bel et bien la mĂ©diatisation, comprenant le temps de parole direct et indirect, qui semble ĂȘtre la principale cause Ă lâorigine des rĂ©sultats du scrutin. Cette mĂ©diatisation permet dâentretenir le status quo, garantissant de construire un historique et un budget robustes, favorisant mĂ©diatisation et succĂšs aux scrutins futurs.
Cela me permet donc de conclure exactement de la mĂȘme maniĂšre que les billets prĂ©cĂ©dents.
Ainsi, comme le dit Pierre Bourdieu dans sa confĂ©rence tĂ©lĂ©visĂ©e : « La tĂ©lĂ©vision devient lâarbitre de lâaccĂšs Ă lâexistence sociale ». Pour dĂ©truire donc un objet social (parti politique, idĂ©eâŠ), rien de plus simple : il suffit de le nier 7.
RĂ©mon (2004) rejoint dâailleurs exactement Bourdieu sur ce point :
« Les mĂ©dias jouent un rĂŽle par la sĂ©lection mĂȘme de lâinformation, lâimportance quâils dĂ©cident dâaccorder ou de refuser Ă tel Ă©vĂ©nement : ce dont ils ne parlent pas nâexiste pas. Il leur est possible en quelque sorte de refuser lâexistence Ă un homme, un parti, une institution, ou un Ă©vĂ©nement ; or, lâĂ©lecteur nâentre en rapport avec la politique que par leur intermĂ©diaire et en particulier par le truchement de la tĂ©lĂ©vision. »
Cette sĂ©lection se fait par lâoctroi dâun ordre de grandeur du temps de mĂ©diatisation direct et indirect. Des candidats peuvent ainsi ĂȘtre mis Ă lâindex par les mĂ©dias avec un octroi de 5 %, 1 %, 0,1 % voire 0,01 % du temps de parole. Les Ă©lecteurs votent en masse pour les candidats bĂ©nĂ©ficiant du temps de parole le plus important. Leur choix sâexerce sur cette liste prĂ©-sĂ©lectionnĂ©e par le systĂšme mĂ©diatique.
Dans un prochain billet sur ce sujet, je parlerai des forces contraires à cette corrélation et sur les maniÚres de sortir de ce cercle vicieux, en partie responsable de la crise politique que nous sommes en train de traverser.
Paragraphe bonus : LâhypothĂšse dâabsence de lien
Une derniĂšre hypothĂšse que jâai Ă©cartĂ©e du billet pour des raisons de concision : celle selon laquelle il nâexisterait aucune relation causale. Autrement dit : les corrĂ©lations observĂ©es seraient le fruit du hasard â câest tout-Ă -fait possible8. Je ne vais pas me lancer dans le calcul de la p-value afin dâĂ©valuer la probabilitĂ© que nos rĂ©sultats soient fortuits. Dâabord parce que je nâai pas envie dây passer du temps (ce nâest pas un papier scientifique mais un blog), et deuxiĂšmement parce que ce nâest pas nĂ©cessaire. [Mise Ă jour 17/07/2015 : Suite Ă une discussion, jâai calculĂ© les-dites p-values. Voir plus bas.] Nous avons effectivement relevĂ©Â des corrĂ©lations trĂšs fortes, toutes supĂ©rieures Ă Â Ï = 0,80 (je rappelle quâune relation linĂ©aire parfaite aurait un coefficient de 1), pour tout une sĂ©rie de scrutins :
â Les prĂ©sidentielles de 2002 (Ï = 0,82 dâaprĂšs Darras, 2009) ;
â Les prĂ©sidentielles de 2007 (Ï = 0,97 toujours dâaprĂšs le mĂȘme auteur) ;
â Les prĂ©sidentielles de 2012 (Ï = 0,94 dâaprĂšs nos propres calculs) ;
â Les europĂ©ennes de 2014 (Ï = 0,86 aussi dâaprĂšs nos propres calculs).
Il est donc extrĂȘmement peu probable que cette sĂ©rie de corrĂ©lations soit le fruit du hasard. Je parle dâune probabilitĂ© de lâordre de 1 chance sur mille voire beaucoup plus9. [Mise Ă jour 17/07/2015 : Jâai finalement calculĂ© ces probabilitĂ©s. Elles sont effectivement extrĂȘmement faibles : p < 2Ă10-17, p < 5Ă10-6 et p < 3Ă10-11 pour les PrĂ©sidentielles2012+EuropĂ©ennes2014, les PrĂ©sidentielles 2012 seules et les EuropĂ©ennes 2014 seules, respectivement.] Il y a donc un mĂ©canisme logique, quelque part, expliquant cette corrĂ©lation.
Références
20 Minutes (2011). Les Français et lâinformation Ă lâoccasion de lâĂ©lection prĂ©sidentielle : Attentes, comportements, usages. Ătude « 20 Minutes » avec Ipsos. Novembre 2011.
Brouard et Zimmermann (2012). Les pratiques médiatiques des Français pendant la campagne présidentielle 2012.
CEVIPOF (2014). Le baromĂštre de la confiance politique. Vague 5 â janvier 2014.
Darras (2009). « Free Journalism Under Control: Election Coverage in France » [« Le journalisme libre sous contrĂŽle : la couverture mĂ©diatique des Ă©lections en France »] dans J. StrömbĂ€ck et L. Lee Kaid (Eds.) The handbook of Election News Coverage Around the World [« Manuel sur la couverture mĂ©diatique des Ă©lections Ă travers le monde »], (p. 90â108). Taylor & Francis e-Library.
Le Parisien (2013). Larrouturou, lâhomme des 32 heures, crĂ©e son parti. 27 novembre 2013.
Nouvelle reprise immédiatement par Le Monde, le Nouvel Obs, Le Figaro, etc.
Le Figaro (2013). Les six propositions de Nous Citoyens pour renouveler la vie politique. Emmanuel Galiero. 18/11/2013.
Mais voir aussi Le Nouvel Obs, Le Monde, Libération, etc.
RĂ©mond (2004). Les mĂ©dias font-ils lâĂ©lection ? Retour sur une controverse. Le Temps des mĂ©dias n°3, automne 2004, p. 175-181. Propos recueillis par Christian Delporte et Marie LhĂ©rault.
Vedel (2006). Les Ă©lecteurs français et lâinformation tĂ©lĂ©visĂ©e. Le BaromĂštre Politique Français (2006-2007) CEVIPOF â MinistĂšre de lâIntĂ©rieur.
Notes de bas de page
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Bien que la rĂ©trocausalitĂ©Â soit un phĂ©nomĂšne pris au sĂ©rieux par certains philosophes et scientifiques ! â©
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Je ne parlerai pas ici des liens causaux inverses, câest-Ă -dire agissant contre la corrĂ©lation, qui existent et qui expliquent entre autres les bons scores du FN au vu de son temps de parole. Nous Ă©voquerons ces mĂ©canismes dans un autre billet. â©
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Si je cite souvent lâUPR, câest parce quâils fournissent des analyses trĂšs pertinentes sur ce sujet. Par ailleurs, leurs publications ont inspirĂ© ces billets et les citer me permet donc de leur rendre hommage. Enfin, leur cas est assez symptomatique de lâinĂ©galitĂ© du temps de parole dans les mĂ©dias. â©
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LâĂ©chelle en question est la suivante : chaque ordre de grandeur de temps de parole correspond Ă lâordre de grandeur de la taille dâun animal. Ainsi 0,01 % ~ sauterelle, 0,1 % ~ chat, 1 % ~ homme, 10 % ~ baleine. â©
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La reprise ad nauseam de cet exemple sâexplique du fait que cet Ă©chantillon permet de contrĂŽler plusieurs variables indĂ©pendantes, en particulier lâĂąge du parti et sa taille. â©
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Pour ĂȘtre beaucoup plus prĂ©cis, le CSA devrait pondĂ©rer le temps de parole par lâaudimat. â©
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Je cite ici le commentaire trĂšs pertinent dâAlain. â©
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Voir Ă ce sujet les nombreux exemples, souvent hilarants â oui, bon, chacun son humour â, du site Spurious Correlations (« Fausses corrĂ©lations »), qui recense des corrĂ©lations fortuites. â©
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La norme scientifique impose de considĂ©rer quâune hypothĂšse est validĂ©e statistiquement lorsque lâeffet mesurĂ© passe le seuil de cinq chances sur cent. â©